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Les clés

Une économiste bouscule la vision « patriarcale » de l’égalité professionnelle

Les clés | À lire | publié le : 15.03.2021 | Lydie Colders

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Une économiste bouscule la vision « patriarcale » de l’égalité professionnelle

Crédit photo Lydie Colders

Faudrait-il un souffle féministe pour sortir des théories économiques dominées par des hommes ? C’est l’avis de l’économiste Hélène Périvier. Dans L’économie féministe, elle pointe les « biais » masculins de cette science. Un livre intéressant, qui appelle à penser autrement le travail des femmes.

Les problèmes de discrimination des femmes au travail, subissant le plafond de verre, sont connus. Mais on oublie trop que la science économique, dont l’esprit irrigue notre organisation sociale, « a été pensée par des hommes, pour être mise au service d’une société dirigée par les hommes », rappelle Hélène Périvier. Dans ce livre militant, cette économiste à l’OFCE, spécialisée dans l’étude du genre, analyse les travers de ces théories « patriarcales » dominantes. Retraçant l’histoire des penseurs (Friedman, Hayek, et même dans une certaine mesure Keynes), elle estime que cette vision masculine a poussé à faire de l’économie « un cadre rationnel », le marché étant « la seule grille de lecture des comportements humains » de l’homme-entrepreneur. La question de l’émancipation et du travail des femmes a ainsi été renvoyée « à la moralité ». Si quelques économistes libéraux ou socialistes ont dénoncé les inégalités entre les sexes au travail, « ce sont surtout les femmes qui vont penser les conditions de vie » féminines au XIXe siècle. Mais elles n’étaient qu’une poignée d’économistes engagées, et l’auteure rend hommage à ces femmes oubliées : Julie-Victoire Daubié et ses écrits sur la précarité des femmes et « leur nécessaire instruction », Millicent Fawcett qui posera en 1918 le principe « à travail égal, salaire égal », ou Clémence Royer sur le salaire des femmes élevant des enfants. Si les femmes économistes sont plus nombreuses de nos jours, les valeurs masculines perdurent : « L’économie est la science sociale la moins féminisée », avec un tiers de femmes en France en 2020, souligne l’auteure.

Une politique égalité trop liée à la performance

Hélène Périvier n’a rien d’une féministe radicale, jugeant que les débats économiques gagneraient à mixer hommes et femmes pour repenser « l’égalité des sexes » dans le travail. Car, aujourd’hui encore, les questions de discrimination, d’inégalités salariales qui frappent les salariées restent perçues comme des mesures de rattrapage, de compensation « des erreurs » de la concurrence. D’un œil critique et rigoureux, son livre décortique tous les aspects de « cette ségrégation sexuée » qui perdure dans l’emploi. L’égalité doit se penser « comme une fin en soi », et non comme gage d’efficacité, soutient la chercheuse. Or, dans la pensée de l’homo oeconomicus néolibéral, tout est pensé « en fonction de la performance » en matière d’égalité. L’économiste l’illustre par l’exemple des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grands groupes, présenté comme « une amélioration de la gouvernance » par la Commission européenne. Encore une vision biaisée de la « performance fantasmée » des femmes au pouvoir, au lieu de penser de penser « justice ». Sans céder aux clichés, cette relecture de l’économie interpelle et séduit.

Auteur

  • Lydie Colders