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Formation : Le contrôle qualité est-il un atout business ?

Le point sur | publié le : 15.03.2021 | Benjamin d’Alguerre

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Formation : Le contrôle qualité est-il un atout business ?

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Dans moins d’un an, la norme qualité Qualiopi s’imposera pour tous les organismes de formation. Certains prestataires redoutent un nouvel excès d’administration du système de formation, d’autres voient dans ce label un moyen de rebattre les cartes de la qualité pour établir un nouveau « contrat de confiance » avec leur clientèle et développer leur activité.

Il reste un peu moins d’un an aux organismes de formation (« OF ») pour obtenir la certification Qualiopi, le label qualité qui, à compter du 1er janvier 2022, deviendra indispensable aux prestataires souhaitant se positionner sur le marché de la formation professionnelle, financée par des fonds paritaires ou publics. Soit actuellement un peu plus de 40 % du marché total comprenant notamment l’apprentissage, les bilans de compétences, le CPF, la VAE, le plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés, mais aussi les appels d’offres de Pôle emploi ou des conseils régionaux pour les demandeurs d’emploi et certains publics spécifiques (jeunes, handicapés, etc.). Bref, un segment de marché encore minoritaire, mais dont l’attrait augmente petit à petit sous le double effet de l’effondrement des plans de développement des compétences des entreprises désormais affranchies de l’obligation légale de la dépense formation et, plus récemment, de la crise Covid, qui a bousculé les priorités budgétaires des ETI et des grands groupes.

Éric*, dirigeant d’un petit organisme de formation breton spécialisé dans le management, la communication et le marketing, qui réalise 100 % de son chiffre d’affaires sur le marché privé, est un témoin attentif de cette mutation. D’abord farouchement réfractaire à la certification Qualiopi, il n’est pas loin de virer sa cuti. « Depuis que l’application MonCompteFormation a été ouverte aux possibilités d’abondements des employeurs, il y a sans doute des choses à faire sur le CPF coconstruit », explique-t-il.

7 500 OF certifiés en 2020

Tous les prestataires ne partagent pas son analyse. Loin de là, à en croire les chiffres de l’enquête « Qualiopi : objectif 2022 » que la DGEFP, France compétences et Centre Inffo ont dévoilé le 21 janvier dernier. Loin de se ruer sur les démarches de certification Qualiopi, les organismes de formation ont plutôt tendance à jouer l’attentisme. « À fin décembre 2020, d’après les données de la DGEFP, environ 7 500 prestataires étaient déjà certifiés et 4 500 en cours de certification. Sachant qu’on compte au global 76 364 organismes de formation », annonce Béatrice Delay, cheffe de projet Évaluations-Études qualitatives au sein de France compétences. Malgré une remontée des entrées dans la démarche qualité constatée en fin d’année 2020, Qualiopi demeure un dispositif globalement boudé par la profession.

À titre de comparaison, le Datadock, cette base de données qualité des organismes de formation mise en place en 2015 et gérée conjointement par les Opca (puis les Opco) et les Fongecif, recense 54 000 organismes. Principale raison invoquée pour expliquer la tiédeur des OF face à Qualiopi : la crise. Confrontés à l’obligation de digitaliser leur offre pour maintenir leur activité en période Covid, les prestataires de formation auraient négligé Qualiopi. Résultat : « Pour de nombreux OF, la crise sanitaire a reporté Qualiopi au second plan des priorités derrière d’autres urgences. Cela fait craindre à certains des engorgements au second semestre 2021. C’est ce qu’indique l’étude réalisée par France compétences entre juin et octobre 2020 sur les positions et les logiques d’action des prestataires de formation », indique Béatrice Delay. Dans ces conditions, les 26 organismes sélectionnés par le Comité français d’accréditation (Cofrac) pour délivrer la certification Qualiopi s’attendent à redoubler d’efforts en fin d’année pour faire face aux demandes. « Si le mouvement de démarche certification se poursuit à ce rythme, on peut s’attendre à terminer avec 20 000 prestataires labellisés. Ce n’est pas le raz-de-marée auquel on s’était attendu », témoigne Loïc Lebigre, consultant-expert en certification à Centre Inffo. Un retard inquiétant car, en 2020, on comptait 31 000 OF actifs sur le marché mutualisé et public…

Épurer l’offre ?

Mais, au-delà de la crise, Qualiopi effraie. Surtout les petites structures qui, parfois, se sentent noyées sous la masse de la documentation à fournir pour assurer qu’elles respectent bien les sept critères qualité exigés par la certification (lire l’encadré) et leurs trente-deux indicateurs d’appréciation associés. « Le septième critère qui concerne l’amélioration continue de la démarche de formation prévoit que l’organisme formateur organise un recueil méticuleux des retours des apprenants. Est-ce qu’une fac appelle ses anciens étudiants pour savoir s’ils ont trouvé du boulot après leur cursus ? Non ! Alors pourquoi l’exige-t-on d’un consultant-formateur indépendant ? », s’énerve l’un de ces professionnels freelances.

Le mécontentement n’est pas nouveau. En 2015, déjà, Datadock avait subi les mêmes critiques. Et nourri les mêmes soupçons de vouloir, in fine, épurer l’offre de formation française, via le couperet de la bureaucratie, afin de réguler brutalement une offre devenue pléthorique (près de 80 000 organismes recensés) pour l’aligner sur son homologue allemande : outre-Rhin, le marché se partage entre une quinzaine de milliers de prestataires. Ce sentiment est renforcé par quelques expériences malheureuses en début d’année 2020, certains auditeurs indépendants envoyés par les 26 organismes choisis par le Cofrac s’étant davantage comportés en contrôleurs auprès des prestataires de formation qu’en conseillers à l’obtention du label.

« Il existe une différence entre audit, contrôle et inspection. Tous les certificateurs Cofrac n’ont pas forcément été professionnalisés sur cette nouvelle mission. Or, il s’agit d’une charge qui nécessite de savoir adopter une démarche professionnelle propre à un audit, de bien connaître le secteur de la formation et de disposer de la capacité de dialoguer avec l’audité. Certains auditeurs étaient encore dans une logique de certification Cnefop et posaient des questions sur le passé de l’OF avant 2018, ce qui est totalement hors sujet ! », explique-t-on du côté de l’Association française de réflexion et d’échanges sur la formation (Afref). Et de poursuivre : « Il ne faudrait pas que ces mauvaises expériences découragent les formateurs de se faire certifier. Qualiopi nous permet pour la première fois d’engager une vraie démarche qualité dans laquelle les certificateurs ne sont pas juges et parties – comme les Opca et les Fongecif l’étaient avec Datadock. C’est l’occasion pour les professionnels de se regarder dans le miroir et de se demander comment améliorer leur offre de service ? »

Norme de marché

Un avis partagé par la Fédération de la formation professionnelle (FFP), le plus grand acteur patronal du secteur. Malgré un certain agacement à voir encore le poids de la preuve retomber sur les OF. « On exige de nous de passer à Qualiopi : c’est normal, il faut professionnaliser l’offre. Mais les mêmes critères qualité devraient s’appliquer aux Opco et aux autres financeurs. Or ce n’est pas le cas », grince Pierre Courbebaisse, président de la FFP. Pour autant, la Fédération encourage ses adhérents à se faire labelliser et même à faciliter la labellisation de leurs sous-traitants. Les syndicats professionnels ont d’ailleurs été associés à la création de la certification. Et malgré la difficulté administrative, même le Sycfi, la première organisation représentative des consultants-formateurs indépendants (CFI), encourage ses troupes à se lancer « malgré le coût de l’opération pas toujours facile à assumer », lance sa présidente, Martine Guérin. Il est vrai que le prix y est pour beaucoup. Pour la certification d’une entreprise de formation faisant moins de 150 000 euros de chiffres d’affaires (la très grande majorité), l’intervention d’un auditeur coûtera à l’organisme audité entre 800 et 1 150 euros par jour et par certification recherchée.

Y a-t-il péril en la demeure ? Le label Qualiopi serait-il mal aimé avant même d’être déployé ? Loïc Lebigre relativise : la plupart des organismes de formation finiront par se positionner en faveur de la certification. « Au-delà de l’accès aux fonds publics et paritaires, Qualiopi aura tendance à devenir une norme de marché qui, bien entendu, démonétisera les anciennes certifications qualité en formation qui n’apportent pas de plus-value », explique-t-il. La plupart des normes actuelles (OPQF, ICPF &PSI, Afnor…) n’auront pas vocation à exister sous leur forme actuelle après le passage à Qualiopi et les organismes qui les portent devront, bon gré, mal gré, se rapprocher de la nouvelle certification. La plupart des certificateurs historiques, comme l’Afnor, se sont d’ailleurs positionnés dès le départ comme certificateurs Cofrac. D’autres, à l’image de Bureau Veritas, ont déjà anticipé le changement, abandonnant leurs vieilles normes au profit de Qualiopi. Quant à l’espoir de pouvoir se replier sur le seul marché privé pour les réfractaires, il reste mince : « Nous venons récemment de répondre à un appel d’offres relevant du plan de développement des compétences d’une entreprise et c’est notre certification Qualiopi qui a fait la différence avec la concurrence », témoigne Pierre Dubuc, dirigeant de l’organisme Openclassrooms (lire aussi son interview ci-après). Le marché de la formation est-il déjà en train de se reconfigurer autour de la nouvelle certification qualité ?

Les sept critères de Qualiopi

Pour être éligibles à la certification Qualiopi, les organismes candidats doivent garantir :

1) les conditions d’information du public sur les prestations proposées, les délais pour y accéder et les résultats obtenus ;

2) l’identification précise des objectifs des prestations proposées et l’adaptation de ces prestations aux publics bénéficiaires, lors de la conception des prestations ;

3) l’adaptation aux publics bénéficiaires des prestations et des modalités d’accueil, d’accompagnement, de suivi et d’évaluation mises en œuvre ;

4) l’adéquation des moyens pédagogiques, techniques et d’encadrement aux prestations mises en œuvre ;

5) la qualification et le développement des connaissances et compétences des personnels chargés de mettre en œuvre les prestations ;

6) l’inscription et l’investissement du prestataire dans son environnement professionnel ;

7) le recueil et la prise en compte des appréciations et des réclamations formulées par les parties prenantes aux prestations délivrées.

(*) Le prénom a été modifié.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre