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Les clés

Un médecin du travail alerte sur la souffrance au travail

Les clés | À lire | publié le : 14.03.2021 | Lydie Colders

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Un médecin du travail alerte sur la souffrance au travail

Crédit photo Lydie Colders

Dans Le monde du travail est devenu fou, le médecin du travail Marielle Dumortier s’inquiète de la flambée des RPS. Les conditions de travail se dégradent, et de plus en plus de salariés craquent. Recueil de témoignages, son livre exhorte les employeurs à prendre ces maladies très au sérieux.

En 2006, Marielle Dumortier dénonçait déjà dans un ouvrage les méthodes de management délétères d’un hypermarché. Dans son nouveau livre, après 35 ans de carrière, ce médecin du travail tire cette fois la sonnette d’alarme sur la montée des risques psychosociaux, qu’elle « craint » de voir augmenter encore avec la Covid-19. « La souffrance psychique se propage, elle est devenue le deuxième groupe pathologique le plus fréquent dans le monde du travail », « la surcharge mentale » est le premier motif de consultation. Un enjeu de santé publique, pour ce médecin d’un service interentreprises en banlieue parisienne. En vingt ans, elle dit avoir vu « le monde du travail se transformer complètement ». Autrefois, les employés se plaignaient du bruit, des charges, de la poussière. Mais aujourd’hui, « les salariés me disent : je n’en peux plus, on m’en demande trop, je suis épuisé, c’est toujours plus… » Entre les flux tendus, le numérique et la suppression d’effectifs au nom « de la rentabilité », le travail s’est intensifié et dégradé, note-t-elle. Et il faut cesser de renvoyer ce problème à la fragilité psychologique du salarié : « Cela permet surtout au management de s’exonérer au sujet des conditions de travail et de ne pas se remettre en question. » Si certains tombent malades, c’est « qu’ils perdent le sens de leur travail » ou doivent faire « plus avec moins de moyens ». À ce jeu-là, ce médecin prévient : « Le corps s’épuise. »

De l’épuisement au burnout

À travers une foule de témoignages d’employés et de cadres reçus en consultation, Marielle Dumortier tente d’éclairer cette souffrance psychique multiple. Stress, burnout, harcèlement moral, les récits s’enchaînent. Certaines histoires illustrent des cas flagrants de burnout, comme Louise, VRP en cosmétique qui estime « qu’on veut lui faire payer son congé parental », mutée de secteur suite à sa demande de quatre cinquièmes. Mais les objectifs augmentent et sa fatigue s’accumule dangereusement, jusqu’à « ne plus réussir à être à jour ». Un matin, Louise « ne peut plus sortir de sa voiture ». Elle s’effondre. Crise de sanglots, lombalgie, deux arrêts plus tard, Marielle Dumortier la déclarera « inapte à ce travail ». D’autres histoires montrent des maux plus silencieux. Comme cet ouvrier qui redouble de travail pour compenser l’inexpérience des jeunes et des pièces défectueuses, jusqu’à « ne plus en avoir la force » et pleurer à l’usine. Syndrome « d’épuisement professionnel » diagnostique l’auteure, qui l’orientera vers une consultation spécialisée dans la souffrance professionnelle. « Se donner à fond », avoir le sentiment de « bâcler » peut conduire « à mettre sa santé en danger », prévient-elle.

Encore du « déni »

Rappelant la responsabilité de l’employeur, l’auteure dresse une liste surprenante de ces « pathologies de surcharge » mentales : dépression, diabète, hypertension… jusqu’à l’infarctus, dont décédera Gérard, chef de quai dans un entrepôt totalement surmené. Bouleversant, ce livre interpelle sur l’organisation du travail. C’est aussi, en creux, une illustration des relations parfois tendues entre médecins du travail et employeurs. Marielle Dumortier avoue jongler entre des entreprises qui « l’écoutent » et changeront de poste un salarié à bout de nerfs et « le déni » de certains DRH qui « n’ont pas de solution ». Si la Covid-19 a redoré le blason de la médecine du travail, son ouvrage est un plaidoyer convaincant pour que cette souffrance interrogeant « le collectif » soit entendue…

Auteur

  • Lydie Colders