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Le point sur

« Le salaire n’est que la partie visible des inégalités professionnelles »

Le point sur | publié le : 14.03.2021 | L. Z.

L’enseignante et chercheuse Séverine Lemière, membre du Haut conseil à l’égalité et auteur de plusieurs ouvrages sur le thème de l’égalité professionnelle1, est également engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Elle détaille les obstacles qui subsistent encore dans le monde du travail.

Quel est le rôle des entreprises en matière d’égalité hommes-femmes ?

Cela fait déjà vingt ans que les entreprises de plus de 50 salariés doivent s’engager en matière d’égalité hommes-femmes. Car, après les premières grandes lois sur l’égalité salariale de 1972 puis sur l’égalité professionnelle de 1983, l’égalité est devenue en 2001 un thème de négociation collective obligatoire. Plus récemment, l’Index égalité renforce l’obligation de résultat. Cela dit, l’index est très insuffisant pour mesurer réellement les inégalités. À cet égard, avec Rachel Silvera, nous rappelons dans nos travaux que le cadre juridique ne dit pas seulement « à travail égal, salaire égal », mais aussi « un salaire égal pour un travail de valeur égale ». Il s’agit donc de comparer des métiers à prédominance féminine et des métiers à prédominance masculine, et si leur valeur est égale, alors les salaires doivent l’être aussi. Dans une jurisprudence de 2010, une responsable RH a pu être comparée au directeur financier et au directeur commercial de l’entreprise, selon les responsabilités – taille de l’équipe, budget, niveau de diplômes, charge nerveuse du stress… – et elle a eu gain de cause. Mais le salaire n’est que la partie visible de toutes les inégalités professionnelles : écarts de carrière, de temps de travail, effet de la maternité, différences de métiers occupés… Beaucoup d’entreprises veulent mesurer les écarts salariaux toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire en neutralisant toutes ces inégalités professionnelles, pour isoler un écart, dit injustifié et assimilé à de la discrimination salariale. Cette méthode est très restrictive : les effets salariaux des inégalités professionnelles disparaissent et le principe juridique de l’égalité salariale pour des emplois différents mais de même valeur n’est alors pas appliqué.

La crise a mis en lumière nombre de métiers sous-valorisés, principalement exercés par des femmes…

Jusqu’à présent, les pratiques d’égalité professionnelle ont surtout eu pour objectif d’augmenter la mixité des métiers. Dans cette logique, les entreprises ont mis l’accent sur la féminisation des cadres, 40 % d’entre eux étant désormais des femmes. Par ailleurs, des quotas ont été imposés dans les conseils d’administration, et demain peut-être, dans les Codir et les Comex. Avoir plus de femmes aux fonctions dirigeantes est bien sûr important pour la juste représentation ainsi qu’en termes de rôles modèles. Mais l’approche est comprise uniquement de manière quantitative et ne règle pas les inégalités plus structurelles. Avec la crise sanitaire, la société a pris conscience de l’utilité sociale de certains métiers très féminisés – des soignantes aux caissières – mais il reste encore à en reconnaître la valeur professionnelle : compétences, technicité et responsabilités de ces emplois. Reconnaître la valeur professionnelle de ces métiers demande une approche collective, et revaloriser leurs salaires a un coût. Or les partenaires sociaux et l’État ne semblent pas tous prêts à y consacrer les sommes nécessaires…

Quelles sont ces nouvelles frontières sur lesquelles travaillent les entreprises ?

Dans le cadre de la RSE, les entreprises ont commencé à s’emparer, avant la crise, mais encore plus maintenant, de la question des violences conjugales. Si ce sujet semble en dehors de la sphère professionnelle, ces violences ont un impact sur le travail – absences, retards, baisse de concentration et de productivité. Certaines entreprises commencent à apporter des ressources à leurs salariées victimes de ces violences sous forme d’aide financière, de nuitées d’appart-hôtels, d’aide au logement, mais aussi de changement de numéro de téléphone et d’e-mail professionnels. Dans un diagnostic mené chez EDF, Marie Becker et moi avons vu que 40 % des personnes considérées comme ressources dans l’entreprise – assistantes sociales, RH en charge de l’égalité, services de santé du travail, représentants du personnel – avaient déjà entendu parler ou eu à gérer une telle situation dans l’entreprise. Lorsque les entreprises s’engagent, il est important de construire des actions de formation et de sensibilisation, ce que nous avons fait avec EDF et l’association FIT Une femme, un toit. Enfin, les syndicats commencent eux aussi à s’emparer du sujet et à revendiquer des droits pour les salariées victimes de violences conjugales.

(1) Le Genre au travail, recherches féministes et luttes des femmes, sous la direction de Nathalie Lapeyre, Jacqueline Laufer, Séverine Lemière, Sophie Pochic et Rachel Silvera (éditions Syllepse, 2021).

Auteur

  • L. Z.