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Le grand entretien

« Une politique RSE efficace a un impact sur le bien-être au travail »

Le grand entretien | publié le : 14.03.2021 | Gilmar Sequeira Martins

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« Une politique RSE efficace a un impact sur le bien-être au travail »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Les actions RSE peuvent-elles modifier les comportements des collaborateurs ? Pour Assâad El Akermi, spécialiste du management et du comportement organisationnel, la réponse qu’il tire d’une étude menée sur plus de 1 500 employés d’une grande entreprise du secteur de l’énergie est positive. Et ce changement se produit au sein de l’entreprise mais aussi à l’extérieur.

Dans quelle optique avez-vous mené votre étude ?

Cette étude part d’une question sur le rôle que peuvent jouer les entreprises et les organisations dans le développement de la citoyenneté. Alors que certains discours assimilent les actions de RSE à de la communication, ces travaux voulaient cerner la perception qu’en ont les salariés et leur réaction dans le cadre d’initiatives centrées sur l’impact social et environnemental. Elle démontre qu’il n’y a pas d’effet direct de ces actions sur les comportements mais un enchaînement d’effets. Le premier est l’amélioration de l’image de l’entreprise et de la marque employeur. En interne, l’action RSE augmente le sentiment de fierté et d’appartenance. Cela a pour effet d’augmenter aussi le niveau d’identification à l’entreprise et, comme l’ont démontré les théoriciens de l’identité sociale, les salariés adoptent des comportements et des valeurs en cohérence avec les pratiques de l’entreprise, dont celles relatives à la RSE. Cette identification à l’entreprise entraîne une adhésion plus forte aux valeurs de l’entreprise qui sont véhiculées, entre autres, par ce type d’actions. Notre étude longitudinale est basée sur une analyse des comportements de plus de 1 500 salariés sur une durée supérieure à une année. Elle montre qu’il existe un lien statistique significatif entre les actions RSE et les comportements à l’extérieur de l’entreprise. Une politique RSE peut générer un comportement citoyen social. Le sentiment d’identification évolue différemment selon les actions menées. Lorsqu’elles sont orientées vers l’amélioration du bien-être des communautés, comme l’engagement dans des actions caritatives, le sentiment d’identification a augmenté de 33 % en un an. Lorsque les actions sont orientées vers la protection de l’environnement – tri des déchets, énergies propres, contribution à la biodiversité, etc. –, le sentiment d’identification augmente de 40 %.

L’impact sur les collaborateurs est-il homogène ?

Non, il est conditionné par leurs caractéristiques personnelles, particulièrement la sensibilité générative. Les personnes qui en sont dotées ont un souci élevé du monde qu’elles laisseront aux générations futures. L’âge ou la durée de présence dans l’entreprise ne semblent pas jouer sur cette caractéristique. Ce sont les femmes qui manifestent le plus cette orientation, les hommes en sont moins dotés mais l’échantillon est trop réduit pour en tirer plus de conclusions. C’est sur les personnes dotées de sensibilité générative que l’effet des politiques RSE axées sur l’impact social et environnemental est le plus élevé. Ces personnes sont celles dont le comportement à l’extérieur de l’entreprise sera le plus impacté.

Ce type de personnalité est-il source d’intérêt pour les entreprises ?

Les entreprises devraient se montrer plus sensibles aux candidats qui ont ces caractéristiques car elles conditionnent l’impact de leurs politiques RSE. Elles auraient intérêt à mieux en tenir compte dans leur process de recrutement et de formation. Dans le recrutement, peut-être pourraient-elles ne pas se limiter à des questions sur les compétences techniques mais étendre les échanges à ce qui touche au projet de vie des candidats ou à la trace qu’ils veulent laisser derrière eux. La formation est un champ dans lequel il est aussi possible d’agir sur cette sensibilité et de la développer.

Peut-on mesurer l’effet d’une politique RSE sur la performance des entreprises ?

Les politiques RSE ont un réel impact sur la performance. En premier lieu, elles augmentent le sentiment d’appartenance et d’identification. C’est déjà un résultat très positif car il augmente le niveau d’engagement des salariés, qui est très faible en France, de 6 % selon le baromètre Gallup de 2018. Dans l’Union européenne, ils figurent en fin de classement, au même niveau que les salariés grecs ou espagnols. Cette augmentation du taux d’engagement a des répercussions positives sur toute une série d’indicateurs importants pour l’entreprise. Il contribue à la réduction de l’absentéisme mais aussi du turnover. Faut-il rappeler le coût du turnover pour les entreprises ? Tous les RH peuvent le calculer. Ils savent combien d’argent et de temps implique un recrutement. La seconde série d’impacts positifs va au-delà de la question du sentiment d’appartenance et d’identification à l’organisation. Elle a trait à l’évolution des comportements. Les actions de RSE contribuent à l’adoption de comportements citoyens, aussi bien en interne qu’en externe. En interne, les salariés prêteront une attention plus importante à leur impact sur l’environnement. Ils seront plus vigilants à la consommation d’énergie, d’eau, de chauffage ou de fournitures. Cela peut contribuer à une meilleure gestion des ressources grâce à la réduction des dépenses de l’entreprise et donc de son empreinte environnementale.

Ces gains pour l’entreprise font-ils consensus ?

Sur ce point, il y a un débat car certaines études font aussi état d’un effet de compensation, c’est-à-dire qu’il y aurait des comportements différents selon les situations. Autrement dit, les salariés pourraient être très respectueux de l’environnement au sein de l’entreprise et beaucoup moins à l’extérieur, ou l’inverse. Quelques études semblent accréditer cet effet de compensation mais la nôtre indique au contraire un impact positif et homogène aussi bien au sein de l’entreprise qu’à l’extérieur. D’autres études montrent aussi que les politiques RSE permettent d’améliorer la marque employeur auprès des jeunes générations, plus sensibles à la dimension environnementale. Notre étude montre que les politiques RSE ont un impact sur le comportement des salariés à l’extérieur de l’entreprise. Or devenir meilleur citoyen est aussi une façon d’améliorer indirectement l’attractivité de l’entreprise. Les salariés ne s’identifient pas à des organisations qui leur causent un tort ou dont le comportement est en contradiction avec leurs valeurs.

Les politiques RSE ont-elles d’autres vertus ?

Celles qui sont efficaces améliorent, on l’a dit, le sentiment d’appartenance et d’identification, et elles ont aussi, en cela, un impact positif sur leur bien-être grâce à une meilleure cohérence entre les valeurs individuelles des salariés et celles de l’organisation. C’est un déterminant très important pour le bien-être. Les études de l’INRS ont démontré que l’opposition entre les valeurs des personnes et celles de l’organisation où elles travaillent est un facteur récurrent de détérioration de leur bien-être. Établir un fort sentiment d’identification permet de réduire ce facteur. L’amélioration de la qualité de vie au travail fait aussi partie de la RSE, dont le S signifie à mes yeux « social » puisque les salariés sont l’une des parties prenantes concernées par la marche de l’entreprise.

Parcours

Professeur des universités en management et comportement organisationnel à l’université de Toulouse Capitole, Assâad El Akremi est également chercheur à Toulouse School of Management-Research, dans une unité mixte de recherche du CNRS (UMR 5303). Il conseille aussi des entreprises sur les domaines RSE et de transformation organisationnelle en tant qu’associé au sein de Cap RH Groupe.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins