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Quels nouveaux apprentissages pour les entreprises ?

Chroniques | publié le : 14.03.2021 |

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Quels nouveaux apprentissages pour les entreprises ?

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Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur émérite à HEC, président de l’AGRH Senior Advisor chez Korn-Ferry

Près d’un an après le début de la pandémie, il est temps de s’interroger sur les nouveaux apprentissages que les entreprises ont su développer au cours de cette période totalement inédite et durant laquelle les dirigeants, et en particulier les DRH, ont inventé et déployé des initiatives qui, autrement, auraient pris des années à être mises en œuvre dans un contexte plus normal1. Dans cette perspective, certains nouveaux apprentissages, parmi d’autres, méritent d’être rappelés ici car ils sont susceptibles d’impacter durablement le fonctionnement de nos entreprises sans tomber dans l’illusion de leur prétendue refondation2.

En tout premier lieu, le télétravail que de nombreuses entreprises ont découvert à partir du 16 mars 2020. Présenté par certains gourous ou autres cabinets de conseil comme une véritable révolution du travail avec le titre ronflant de NWOW (New Way Of Working), le télétravail n’est en rien une innovation puisque les premières expérimentations datent des années 80 avec le Minitel et surtout depuis plus de deux décennies avec la croissance exponentielle de l’usage des outils nomades dont l’iconique Blackberry au début des années 20003. Ce qui est en jeu ici pour les entreprises, c’est d’apprendre à utiliser intelligemment cette flexibilité nouvelle offerte par les technologies en réinterrogeant d’abord leurs pratiques managériales et surtout en formalisant des accords qui prennent en compte les réalités individuelles collectives pour éviter le risque du tsunami de la détresse psychologique particulièrement préoccupante chez les jeunes salarié(e)s4.

Vient ensuite la question de l’organisation et du fonctionnement de nos entreprises largement encore dominées par le modèle hiérarchique fondé sur le fameux « command and control ». Cette crise a été l’occasion pour de nombreuses entreprises, petites et grandes, de découvrir la puissance de la responsabilité et de la subsidiarité5 que certains grands noms comme Michelin ont expérimentée avec succès depuis plus d’une décennie6. Pendant et depuis le premier confinement, les exemples sont nombreux de ces initiatives locales, mises en œuvre souvent en dérogation des règles établies, qui ont permis aux entreprises de continuer à fonctionner voire de développer de nouveaux business. Ici aussi, les entreprises peuvent apprendre beaucoup de cette période inédite pour se débarrasser enfin des scories de l’organisation hiérarchique avec son excès de reporting dénoncé depuis longtemps par le sociologue François Dupuy notamment dans sa trilogie « Lost in Management »7.

C’est enfin le rôle même des entreprises qui est réinterrogé par cette crise avec, tout d’abord, la prise de conscience par les dirigeants de l’importance cruciale des problématiques de santé et de sécurité de leurs collaborateurs au début de la pandémie qui ont été mises en haut de l’agenda stratégique. Cette réinterrogation porte aussi sur la question du sens, dans ses deux dimensions principales : la direction et le pourquoi, plus importante encore aujourd’hui pour remobiliser des managers et des collaborateurs légitimement inquiets. Par ailleurs, cette remise en perspective des entreprises ne peut pas faire l’économie d’une vraie réflexion sur le rôle qu’elles vont jouer dans les années et les décennies à venir vis-à-vis de la transition climatique faute de quoi elles risquent d’être négativement impactées par des clients et des collaborateurs qui n’hésiteront plus à les quitter. Cette crise peut être vue comme un « wake-up call » sur un rôle nouveau que peuvent jouer les entreprises vis-à-vis de la société comme le suggéraient déjà la loi Pacte de 2019 et Pascal Demurger, DG de la MAIF, dans son livre très remarqué et publié plus de six mois avant la pandémie8.

Et les DRH dans tout ça ? Leur rôle est éminent pour permettre que ces apprentissages deviennent des réalités pérennes dans les entreprises. Cette crise est une opportunité formidable pour qu’ils/elles investissent plus encore le champ de l’organisation, renforcent leur positionnement de coach de l’équipe dirigeante et des managers, et soient les principaux acteurs de la création de sens notamment par la prise de conscience collective de l’urgence climatique.

(1) Autissier, D. Peretti, J.M., & Besseyre des Horts, CH. (coord.), Trajectoire de crises : adaptation des organisations aux crises sanitaires, économiques et sociales de la Covid-19, MA Editions-ESKA, septembre 2020.

(2) Besseyre des Horts, C. H. : « Le monde d’après : l’illusion de la refondation de l’entreprise », Entreprise & Carrières, n° 1484, 8 au 14 juin 2020, p. 22.

(3) « Bien maîtrisé le télétravail renforce l’agilité de l’entreprise, mal dosé il provoque son atomisation », entretien avec C. H. Besseyre des Horts, Discerner & Décider, n° 12, pp. 19-20.

(4) Besseyre des Horts, C. H. : « La détresse psychologique : comment éviter un tsunami dans les entreprises ? » Entreprise & Carrières, n° 1514, 8 au 14 février 2021, p. 23.

(5) Besseyre des Horts, C. H. : « Apprendre de la crise sanitaire : responsabilité et subsidiarité ? » Entreprise & Carrières, n° 1510, 11 au 17 janvier 2021, p. 22.

(6) Hamel, G. & Zanini, M. : Humanocracy, Harvard Business Review Press, Août 2020. (qui sera publié en français avant l’été 2021 chez Diateino).

(7) Dupuy, F. : On ne change pas les entreprises par décret, Lost in Management 3, Le Seuil, octobre 2020.

(8) Demurger, P : L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus, Éditions de l’Aube, juin 2019.