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L’expérience est une compétence

Chroniques | publié le : 14.03.2021 |

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L’expérience est une compétence

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Benoît Serre vice-président délégué de l’ANDRH

Nous devons protéger les seniors ! Comme un mantra de cette crise, cette affirmation d’évidence rythme nos vies depuis un an avec les inévitables débats qui en découlent. C’est heureux et sans doute le signe d’une société responsable. Pour autant, il apparaît que cette intention s’arrête au seuil de la vie économique. Le plan de relance de 100 milliards d’euros fait une impasse totale sur les seniors au travail dont la définition fixe l’âge à 45 ans, ce qui est une première absurdité. La commission Bellon avait proposé en 2018 de mettre fin à cette appellation en proposant « expérimenté ». Les mots ont leur importance et malgré cela, cette suggestion est restée lettre morte. La France n’est pas le pays le plus performant en Europe dans la gestion des seniors dans l’entreprise malgré une volonté évidente de le devenir. La mise en place du contrat de professionnalisation après 45 ans, la tentative avortée parce que mal conçue du contrat de génération, l’apparition des congés de fin de carrière sont autant d’actions positives qui ont cherché à résoudre cette équation terrible : l’emploi des seniors.

La crise sociale qui couve va évidemment remettre sur le devant cette question puisque toutes les études montrent que ce seront ces populations de salariés qui pourraient être demain les premières victimes. On l’observe déjà dans les plans sociaux peu à peu annoncés qui creusent encore l’inégalité de traitement entre le salarié de grande entreprise bénéficiant d’un congé de fin de carrière et celui d’une plus petite qui perd son emploi de manière plus brutale parfois, car les dispositifs d’accompagnement sont trop coûteux. Si, au fur et à mesure des années, les entreprises ont su de plus en plus conserver leurs collaborateurs les plus anciens, chacun sait que celui qui se trouverait en rupture d’emploi au-delà de 55 ans a fort peu de chances d’en retrouver un. C’est une réalité ignorée et qui pourtant s’apparente à une véritable discrimination à l’embauche contre laquelle – contrairement à toutes les autres – on ne lutte pas.

Se saisir de cet enjeu est pourtant fondamental à plusieurs égards. Sociétal d’abord, car nous savons que la génération des quinquas assume souvent d’aider ses parents – comme le prouve d’ailleurs la récente législation sur les aidants – mais également de soutenir ses enfants confrontés à la cherté du logement ou à la difficulté de trouver un emploi stable. Un quinqua et pire encore un sexta qui perd son emploi déséquilibre et met en risque à son corps défendant trois générations. Le projet de réforme des retraites à ce stade suspendu du fait de la crise visait à allonger une durée de vie au travail alors même que le taux d’emploi des plus de 60 ans est de 46 %. Il semble inconcevable de se lancer dans une telle démarche sans proposer dans le même temps des solutions pour maintenir durablement dans l’emploi sans quoi nous irons irrémédiablement vers un appauvrissement générationnel d’une part, mais surtout vers des coûts de solidarité certainement plus élevés que le déficit des retraites. Naturellement, les entreprises elles-mêmes portent une part de responsabilité dans cette réalité et elles doivent apprendre à combattre les présupposés d’inadaptation, de complexité de management ou de difficulté à suivre le mouvement digital. Ce dernier point est d’ailleurs un peu absurde puisque les seniors d’aujourd’hui travaillent depuis près de quinze ans avec le digital. C’est un faux procès en incompétence qui leur est fait et qui d’ailleurs se révélera de plus en plus erroné au fil des années.

Enjeu de société, enjeu économique, l’emploi des seniors est aussi un enjeu de performance surtout dans les périodes que nous vivons. L’expérience, le recul, la sérénité et la compétence éprouvée sont autant de qualités essentielles dans les phases de crise. Certaines entreprises l’ont compris et, à ce titre, ont engagé des politiques d’emploi adaptées à ce constat. Cela ne suffit pas, car nous sommes aussi confrontés à une réalité financière : nos structures de rémunération reposent pour partie sur l’ancienneté faisant de l’âge un coût supplémentaire.

Répondre à cet enjeu est donc essentiel et mérite un engagement de tous les acteurs économiques et étatiques. Nous avons été capables de produire un plan Jeunes qui donne des résultats. Nous devons faire de même pour les seniors, car sinon notre société du travail se fracturera encore plus. L’unité du corps social et la stabilité de la compétence exercée sont essentielles en permanence, mais vitales en période de crise. Nous devons donc protéger l’expérience dans l’entreprise comme dans la vie !