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Mad skills : Les « troisièmes compétences » ont la cote

Le point sur | publié le : 01.03.2021 | Lucie Tanneau

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Mad skills : Les « troisièmes compétences » ont la cote

Crédit photo Lucie Tanneau

En plus des compétences techniques (hard skills) et comportementales (soft skills), les recruteurs chercheraient désormais des « mad skills » ou, littéralement, compétences folles. Les candidats baroudeurs, champions de patinage artistique ou coachs de yoga prénatal développeraient en effet des aptitudes utiles, invisibles sur un diplôme.

Et si les « hobbies » ou « expériences personnelles », longtemps relégués tout en bas du CV, devenaient la base de l’entretien d’embauche ? Fou ? C’est le mot, car ce dévoilement de la vie privée révélerait de nouvelles compétences, recherchées par les employeurs : des mad skills, ou compétences folles. À la différence des hard skills, compétences techniques, et des soft skills, compétences comportementales ou savoir-être, les mad skills sont des habiletés moins normées, plus atypiques. « C’est davantage une expérience de votre vie dont vous avez tiré une compétence particulière », illustre Noémie Cicurel, directrice du recrutement interne et de la formation chez Robert Half. Un rugbyman international a certainement développé un esprit d’équipe, de corps, ainsi qu’une habitude de s’entraîner sérieusement et de faire abstraction du contexte, tout en restant concentré sur des objectifs de compétition et de performances. Un baroudeur qui a fait le tour du monde a utilisé plusieurs langues, s’est adapté face à des imprévus, a su s’organiser pour mener à bien son projet… « Ce qu’on va chercher à voir, c’est en quoi cette expérience, et les mad skills qu’elle nous a apportées, peut amener quelque chose dans le business et devenir ainsi une soft skill », définit Noémie Cicurel.

Cette recherche n’est pas totalement nouvelle. Les mad skills reviennent de temps à autre sur le bureau des recruteurs depuis dix ans, avec plus ou moins de force. Mais la crise de la Covid inciterait ces derniers à se rassurer sur l’adaptabilité des collaborateurs en allant chercher dans les mad skills pour éviter le turnover. « Elles sont utilisées depuis plusieurs années pour les fonctions managériales, créatives et la gestion de projets », rappelle Mathieu Loué, executive manager senior chez Hays. « Les mad skills permettent de mieux cerner le profil des personnes alors que les carrières sont de plus en plus découpées et que les références professionnelles ne permettent pas forcément d’avoir toutes les informations quand on a passé seulement trois ans dans une entreprise ou dans le cas d’une reconversion. Quand on évoque avec un candidat la stabilité de ses activités extraprofessionnelles, on découvre l’engagement ou la fidélité à une équipe de sport, ça peut être rassurant », analyse-t-il. Pour lui, les mad skills arrivent donc avec l’âge. « Même si on a commencé un sport jeune, c’est en le continuant qu’on acquière de la stabilité, un engagement dans le temps, donc les mad skills signifient quelque chose pour l’entreprise plutôt pour des profils plus expérimentés, à partir de 35-40 ans », souligne-t-il.

Un intérêt pour de nouveaux profils

Si tout le monde possède des mad skills, toutes ne sont pas intéressantes pour l’entreprise. « Faire du yoga, je m’en moque ! Par contre, quelqu’un qui a monté une école de yoga pour les jeunes de banlieue déscolarisés, là oui, je vais m’y intéresser », éclaire Catherine Euvrard, directrice d’un cabinet de chasseurs de têtes. Pour elle, le terme mad skills désigne les expériences personnelles du bas du CV, ce qui a toujours existé. Elle reconnaît néanmoins que les recruteurs s’ouvrent à ces « compétences d’outsiders ». « Ce sont les compétences de candidats qui ne cocheraient pas toutes les cases : ils ont la moitié des hard et des soft skills attendus mais ils ont un troisième bras armé, qui peut se révéler être le plus important », illustre-t-elle. Elle-même a placé un ancien militaire, pilote de chasse, auprès d’un cadre dirigeant d’une grosse société parmi deux profils plus attendus. « J’ose le présenter en m’appuyant sur ses mad skills, ça change des HEC, polytechnicien ou ancien de Sciences Po qui sont partout dans les grands groupes ! Je challenge les dirigeants en présentant des cygnes noirs. Certains secteurs, comme l’audiovisuel, y sont plus ouverts que d’autres comme l’industrie », reconnaît-elle. Diversité, charisme, sang neuf, les mad skills offriraient des profils différents… inspirés de ceux recherchés par les Gafa ou les start-up de la Silicon Valley. « Depuis dix ans, les RH du monde entier s’inspirent de ces entreprises de la tech sur les modes de travail et les méthodes de recrutement. Google a été le premier à bannir les questions héritées des cabinets de conseil, de type résolution de problème sur les balles de golf. Aujourd’hui, ils cherchent des questions pour que le candidat réponde de manière plus authentique », reprend Charles Chantala, senior sales director chez Indeed. La partie auparavant jugée cosmétique des passions personnelles devient donc une chance pour découvrir la personnalité cachée du candidat. « En entretien, le candidat joue un rôle, et c’est normal. L’enjeu pour le recruteur est de chercher le naturel. Souvent, parler de projets associatifs peut amener plus d’authenticité », encourage-t-il. Vous avez organisé l’anniversaire du grand-père avec deux cents personnes ? À coup sûr des mad skills ont été utiles.

Reste à savoir présenter ces « troisièmes compétences » de manière professionnelle. La couleur du gâteau, c’est non. L’animation des prestataires et la constitution du rétroplanning, oui. « On va essayer de se présenter avec le schéma STAR (Situation, tâche, action et résultats) », conseille Charles Chantala. On présente un exemple de sa vie, qui peut être de l’ordre du privé, en amenant les compétences acquises. « On peut prendre n’importe quel exemple, à condition de s’arrêter sur les détails parlants : ce que j’ai mis en place sur une problématique et pourquoi ça a fonctionné ou non. » Emmener des juniors à une compétition sportive à l’autre bout de l’Europe ou se passionner pour la taille de rosiers peuvent révéler des compétences originales.

Cette (nouvelle) tendance comporte des limites pour les candidats. « Sept candidats sur huit mentionnent la même chose sur leur CV », regrette Catherine Euvrard. Le combo « littérature, cinéma, voyages » est vu partout. « Si tout à coup on voit patinage artistique ou collection de bouteilles en verre des années trente, ça interpelle », reconnaît-elle. La différence tient surtout au fait que ces quelques lignes peuvent donner lieu à un échange. « Se baser sur les mad skills peut permettre d’éviter de recruter des clones, même si compléter une équipe avec un quatrième fan de sport peut amener des points communs et de la conversation, ce que l’on cherche en entreprise, c’est aussi de la diversité », complète Noémie Cicurel. Pour les recruteurs, le piège consisterait à faire de ces mad skills un nouveau biais : recruter désormais en masse d’anciens sportifs professionnels comme on privilégiait avant les anciens de telle école de commerce. « Des entreprises comme Patagonia ont toujours privilégié le goût du voyage à un diplôme d’une grande école, cite en exemple Charles Chantala. Cela crée une passion commune et facilite la culture d’entreprise, et ce peut être révélateur de compétences que j’aurais eu du mal à découvrir sans aborder ce sujet qui peut paraître personnel. »

Les mad skills pourraient également être utiles pour attirer des candidats sur des métiers tendus. « Une entreprise qui aurait du mal à trouver le profil attendu peut utiliser la passion d’un candidat pour la musique afin d’évoquer avec lui en entretien, ou sur les réseaux sociaux, la possibilité d’assister à des concerts en loge : si ça matche, le recrutement peut se baser sur cette mad skill », constate Noémie Cicurel. La frontière entre vie privée et vie professionnelle n’est jamais complètement étanche, et parfois entreprises et collaborateurs savent en utiliser les failles.

Auteur

  • Lucie Tanneau