Si le terme de mad skills revient régulièrement dans la bouche des recruteurs depuis une dizaine d’années, la crise de la Covid encourage la recherche de ce genre de bagage différent. Pour répondre autrement aux tribulations à venir.
« La grande leçon de la vie, c’est que, parfois, ce sont les fous qui ont raison », disait Winston Churchill. Un éloge de la folie que l’on n’attendrait pas chez ceux qui doivent gérer un pays ou dans le monde du travail. Et pourtant. La pandémie mondiale de Covid-19 et la crise sanitaire, sociale, et économique qu’elle entraîne, remettraient au goût du jour les compétences folles. Une attitude logique et en aucun cas pyromane pour Noémie Cicurel : « Dans la situation inédite où nous sommes depuis dix mois, la résilience et l’agilité sont mises à toutes les sauces. Toutes les entreprises recherchent des profils flexibles, adaptables, résilients et polyvalents, mais comment les trouve-t-on ? », interroge la directrice du recrutement interne et de la formation chez Robert Half, qui a elle-même réalisé des « milliers d’entretiens » et des « milliers de placements pour des clients ». Beaucoup de candidats vont se vendre en entretien comme des « team leaders », des professionnels de l’organisation ou de l’adaptation, mais ces qualités sont difficiles à vérifier sur le papier. Alors, cela peut rassurer l’entreprise de découvrir que son futur employé ou collaborateur a fait le tour du monde pendant un an en laissant sa maison en location, en organisant l’école pour ses enfants, en gérant par lui-même l’entretien mécanique de son van et en maintenant malgré l’éloignement géographique ses liens sociaux et son réseau professionnel. « Le recruteur va tirer des informations issues de l’expérience personnelle d’un candidat pour comprendre son attitude et les compétences de la personne dans la réalité quotidienne, détaille Noémie Cicurel. On utilise les mad skills pour trouver une réponse, un point d’ancrage ou une preuve des capacités de la personne à naviguer à vue. »
Depuis le début de la crise, l’environnement de travail change et les collaborateurs doivent s’adapter, dans tous les métiers, particulièrement pour les postes qualifiés, notent les recruteurs. Les mad skills permettraient ainsi de faire la différence entre les candidats. Car, pour un métier donné, les compétences techniques (hard skills) attendues vont être fixées d’avance. Les compétences comportementales (soft skills) sont souvent les mêmes : agilité, écoute et collaboration, fruits de notre époque. Les mad skills permettraient donc de distinguer les candidats les uns par rapport aux autres, les collaborateurs les uns des autres, afin de former de nouvelles équipes ou de monter de nouveaux projets. « Les mad skills sont des compétences très subjectives et je crois que leur mise en avant est très liée à un contexte, à une entreprise ou à un poste », défend Mathieu Loué, executive manager senior chez Hays. « Par exemple, si une équipe est en difficulté et que ses résultats sont en danger, les mad skills permettent un recrutement plus spécifique qu’une fiche de poste classique : pour le recruteur, l’intérêt des mad skills est de questionner son besoin et de rechercher en fonction de ce besoin. Quelqu’un qui est coach sportif dans sa vie privée peut laisser penser qu’il possède telle ou telle qualité projetable en entreprise », analyse le manager, qui possède aussi un diplôme de psychologue du travail.
À l’heure où l’agilité tant vantée ces dernières années ne suffirait plus à s’adapter, tant à la crise qu’au télétravail en passant par les réorganisations d’équipe voire d’effectifs, les employeurs attendraient donc de leurs collaborateurs des qualités différentes. « La crise offre l’autonomie demandée par les collaborateurs depuis tant d’années », note Charles Chantala, senior sales director chez Indeed. « Le sens de l’organisation, l’autodiscipline et l’empathie, particulièrement pour les managers, ont pris le pas sur l’adaptabilité, l’écoute et la collaboration au tableau des soft skills les plus recherchées », analyse-t-il. Pour lui, les mad skills sont une mise en pratique des soft skills dans une activité donnée. Pour repérer ces compétences chez un salarié, il faudrait donc passer par le révélateur de ses expériences privées. « Si j’ai décidé d’apprendre à piloter un avion ou à coder alors que cela n’a rien à voir avec mon métier, ces activités peuvent être révélatrices d’une bonne gestion du stress, d’une capacité à travailler en autonomie par exemple », détaille-t-il. Des qualités recherchées et appréciées dans le contexte pandémique actuel.