Avec l’évolution de la législation, les administrateurs salariés sont de plus en plus nombreux dans les conseils d’administration, mais leur influence sur les sujets « sensibles » reste limitée. Ils interviennent pour une meilleure prise en compte des réalités du travail, comme sur les questions de santé qui font l’actualité.
Avec l’évolution de la législation, les administrateurs salariés sont de plus en plus nombreux dans les conseils d’administration, mais leur influence sur les sujets « sensibles » reste limitée. Ils interviennent pour une meilleure prise en compte des réalités du travail, comme sur les questions de santé qui font l’actualité.
Les sorties de membres d’un conseil d»administration passent rarement inaperçues. A fortiori lorsqu’il s’agit d’administrateurs représentant les salariés qui ont les mêmes droits, obligations et responsabilités que les autres membres du conseil. Des exemples récents ? Les deux administrateurs d’Engie parrainés par la CFDT qui s’échappent de la salle au moment du vote sur la cession des parts de Suez à Veolia ; le soutien public des administrateurs salariés d’Orange à une proposition de rachat d’Atos, rapidement démentie par l’opérateur télécom. Ou encore le refus de voter le budget 2021 des six administrateurs salariés d’EDF, qui ont décrit dans une lettre commune leur hostilité au projet Hercule, dont les scissions d’activités sont considérées comme un « démantèlement » de l’énergéticien. « Nous n’avons aucun détail sur le projet. Le fait que cela soit uniquement débattu en toute opacité entre la direction, la Commission européenne et l’État et non au sein du conseil d’administration représente une défaillance dans la gouvernance », observe Christian Taxil, administrateur parrainé par la CFE-CGC qui en est à son second mandat.
Le débat sur la place et l’influence des salariés membres d’un conseil d’administration n’est pas nouveau, notamment dans les entreprises publiques et anciennement publiques où ils représentent un tiers des sièges depuis 1983. Mais en situation de crise ou de transformation, leur rôle peut prendre une tout autre ampleur au milieu de la quinzaine de membres que comptent généralement les conseils d’administration. « Il sera intéressant de voir si la crise est un moyen d’aller plus loin dans la codétermination ou si elle marquera un retour au pragmatisme », pointe l’économiste Olivier Favereau, participant à la troisième édition des assises des administrateurs salariés. Réduire la rémunération des patrons ? Annuler les dividendes ? Limiter la casse sociale ? Revoir la stratégie de l’entreprise ? Autant de prises de décision sur lesquelles ils ont pu, en fonction de leur nombre, être amenés à débattre, voire espérer faire bouger des lignes. Sans forcément être unanimes dans leurs votes ! Depuis la loi Pacte de 2019, deux administrateurs salariés doivent être nommés lorsque le conseil d’administration dépasse les huit membres dans les entreprises d’au moins 1 000 salariés en France ou 5 000 dans le monde. En 2021, ceux-ci représenteront 14 % des membres des conseils d’administration du SBF120 contre moitié moins il y a sept ans.
Dans les instances dirigeantes de certains sièges, leur intégration est d’abord considérée comme une conformité légale. Ils occupent, certes, une place à la table du conseil d’administration, parfois dans des comités dédiés au social ou à l’environnement, mais ils restent bien moins représentés dans les comités de rémunération, de stratégie ou de nominations. Des instances où les décisions sensibles peuvent être plus approfondies, voire tranchées en amont. C’est ce que décrit Guillaume Gloria, administrateur salarié du Crédit Mutuel Arkéa, déjà membre du comité des comptes mais qui s’est vu refuser l’entrée au comité stratégie et responsabilité sociale. « On comprend vite que c’est une chasse gardée. » Une barrière à laquelle se confronte aussi Christian Senectaire, premier administrateur salarié dans l’histoire de Sanofi avec une homologue allemande depuis 2017. Il ne se démotive pas pour autant : « Le but, ce n’est pas d’avoir une majorité. Mais, en raison de la collégialité du conseil, il suffit d’avoir de l’influence sur deux ou trois personnes pour reformuler une réflexion quand j’ai l’impression que les autres administrateurs vivent dans leur monde. » Sa voix n’a pas suffi pour réduire d’un quart les 4 milliards d’euros de dividendes finalement versés en 2020, mais il a enfourché un autre cheval de bataille : « Il a été question d’une prime proportionnelle au salaire pour ceux qui ont continué de produire des médicaments. Alors que les salariés encouraient le même risque de contamination, quel que soit leur rang hiérarchique ! Hormis mon incompréhension affichée durant le conseil, il a fallu un tollé général pour un retour en arrière avec une prime uniforme. »
Les administrateurs salariés mettent en avant leurs connaissances du terrain, des personnels et du fonctionnement des activités pour mieux se faire entendre des autres administrateurs, notamment des indépendants. « C’est un relais évident pour les questions qui ont pu se poser autour de la santé et de la sécurité au travail ces derniers mois », souligne Maud Stéphan, déléguée générale de Réalités du dialogue social, une association qui regroupe entreprises, structures publiques et organisations syndicales salariales et patronales. Selon une étude menée par cette association, ce sont plus de deux tiers d’entre eux qui conservent un temps partiel, voire plein, dans l’entreprise parallèlement à leur mandat. « Mais on ne doit pas se cantonner à la remontée de sujets RH. Il faut continuer à avoir une vision globale, même avec la Covid qui freine l’informel et l’influence », rebondit Christian Senectaire. Le plus souvent parrainés par des syndicats avant d’être élus par les salariés, ils doivent aussi abandonner leurs différents mandats syndicaux et sont tenus à la confidentialité des échanges. « Mais ils continuent de jouer un rôle indirect dans le dialogue social lorsqu’il y a de la fluidité dans leurs échanges avec les directions opérationnelles et les élus », affirme Maud Stéphan.
Sans se référer à l’idéal de cogestion, se frayer un chemin et trouver un terrain d’entente est encore loin d’être un exercice inné dans un monde où continue de se perpétuer l’entre-soi. « Il y a surtout les administrateurs dans les sociétés qui vont bien et dans les sociétés qui ne vont pas bien », résume ironiquement un administrateur. Assistante commerciale à mi-temps, Valérie Coulon se classerait dans la seconde catégorie. Depuis 2014, elle est administratrice salariée de la filiale Air France au sein du groupe Air France-KLM. « Tout a changé durant mon second mandat. La gouvernance du conseil d’administration, le directeur général qui est moins à l’écoute des administrateurs salariés. On tient des conseils d’administration au téléphone. C’est difficile de trouver sa plus-value quand on vous présente des chiffres catastrophiques. Il y avait déjà une stratégie engagée avant la Covid mais celui-ci crée une pression supplémentaire sur le corps social. » Bien que la direction de la compagnie aérienne avance que ce seront essentiellement des départs naturels liés à l’âge, la suppression annoncée des postes représente 16 % des effectifs. Son credo, ces derniers mois ? Insister sur « la faisabilité opérationnelle » des projets, car « les calendriers ont été plus resserrés », mais sans « faire le dos rond » au vu des quelques milliards d’euros supplémentaires que l’État pourrait encore verser au transporteur aérien.