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Le fait de la semaine

Égalité des chances : Les DRH en première ligne contre les discriminations

Le fait de la semaine | publié le : 23.02.2021 | Lys Zohin

Le lancement de la plateforme de lutte contre les discriminations, le 12 février, est venu rappeler aux entreprises qu’elles ont un rôle crucial à jouer pour l’égalité des chances. Si toutes semblent convaincues, les résultats sur le terrain ne sont pas toujours au rendez-vous, en particulier en matière de mixité sociale.

Emmanuel Macron avait promis en fin d’année dernière la mise en place d’outils pour lutter contre les discriminations, l’une des priorités de l’État. Si le président s’adressait principalement aux jeunes, et en particulier ceux en butte à des « contrôles au faciès », le site antidiscriminations.fr, ouvert le 12 février, est plus large. Géré par les équipes de la Défenseure des droits, Claire Hédon, il met en relation juristes et victimes, et donne accès à des informations juridiques. S’il s’agit, après des faits de discrimination, d’explorer les recours, le lancement de cette plateforme vient toutefois rappeler aux entreprises qu’elles doivent être proactives. « Or il y a un décalage entre la volonté affichée par les DRH et le constat sur le terrain », relève Jean-François Amadieu, sociologue et professeur à l’université Paris I. De même qu’il y a un décalage entre les priorités des DRH et celles des salariés.

Ainsi, une étude Cegos de décembre 2019 dressant l’état des lieux des discriminations et des politiques diversité en entreprise montrait que si 30 % seulement des entreprises interrogées avaient adopté le CV anonyme – une proportion dont doute d’ailleurs le professeur Amadieu, tant il semble y avoir de réticences de la part des DRH à son endroit, « alors que selon les études, les trois quarts des Français y sont favorables » –, les DRH s’activent dans la lutte anti-discrimination, notamment à travers de nouvelles pratiques de recrutement. Ainsi, 63 % utilisent des méthodes les plus objectives possible pour valider les compétences des candidats (+ 35 points par rapport à la même étude en 2011), 57 % ont élargi le sourcing en recrutement (+ 34 points), 54 % ont établi une grille de compétences précise pour prouver l’objectivité des décisions lors des entretiens (+ 28 points), et 52 % forment les managers aux enjeux de la diversité dans les recrutements.

20 % de chances en moins

Pour autant, l’impact n’est pas à la hauteur des efforts déployés. Les résultats d’une étude publiée en janvier 2020 par des chercheurs universitaires (Lætitia Challe, Sylvain Chareyron, Yannick L’Horty et Pascale Petit), sur l’accès à l’emploi (17 163 demandes émanant de candidats fictifs, envoyées entre octobre 2018 et janvier 2019 à 103 grandes entreprises françaises, selon deux critères, l’origine et le lieu de résidence), ont fait ressortir que les patronymes originaires du Maghreb ou les adresses dans des départements comme la Seine-Saint-Denis donnent 20 % de chances en moins de recevoir une réponse lors d’une candidature à une offre d’emploi et 30 % de chances en moins d’être recontacté après une candidature spontanée… Par ailleurs, le baromètre national de perception de l’égalité des chances 2020 du Medef, qui interroge les salariés sur ce sujet, note que « loin devant le diplôme ou l’origine sociale, c’est l’égalité hommes/femmes qui demeure le sujet majeur ». En revanche, si l’on prend le baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, publié en décembre 2020 par le Défenseur des droits avec l’OIT, l’origine ou la couleur de peau sont perçues comme l’élément le plus discriminant.

Accélérer la prise de conscience

« Certains sujets, comme l’origine sociale ou ethnique, sont délicats à aborder en France », remarque Sandrine Charpentier, co-fondatrice de Mixity, une start-up lancée en février 2020 pour fournir aux entreprises des outils de mesures sur la diversité au sens large (ethnicité et origine sociale, handicap, genre, orientation sexuelle, âge…). Soutenue par le gouvernement – « qui réfléchit à des solutions pour accélérer la prise de conscience dans les entreprises », indique-t-elle –, Mixity travaille déjà pour une trentaine d’organisations, petites et grandes, toutes soucieuses d’améliorer leur performance dans ce domaine. « S’agissant de la mixité sociale, nous allons rapprocher recrutement et quartiers d’habitation », indique ainsi Noëlla Le Corvaisier, responsable égalité des chances et diversité chez Harmonie Mutuelle. « La diversité est une réalité, alors pourquoi la cacher dans un CV anonyme ? Travaillons plutôt l’inclusion, ajoute-t-elle. D’autant que nos recruteurs et managers sont formés sur les stéréotypes et les biais inconscients. Le temps où certains managers demandaient à ce que les candidats viennent de la même grande école qu’eux est fini ! » Mixity va donc aider cette entreprise de 4 700 salariés à dresser un état des lieux plus fin selon cinq éléments : le handicap (à cet égard, Harmonie Mutuelle affiche un score de 7 %), le genre, l’orientation sexuelle, le multiculturel et l’intergénérationnel.

Frédéric Faye, DRH du groupe de protection sociale complémentaire Apicil, a quant à lui mis en place un dispositif d’accompagnement et de prévention en cas de discrimination. « Depuis trois ans qu’il existe, il n’a jamais été actionné », se félicite-t-il. Le groupe – « franco-français » – qui compte 26 nationalités parmi ses 2 200 collaborateurs, a en quelque sorte banalisé la diversité. Et ce DRH ne voit pas non plus l’intérêt du CV anonyme. Mais si les candidats doivent « assumer leur différence, il faut surtout qu’elle soit valorisée et démontrée par l’entreprise, à travers l’embauche et l’évolution de carrière », dit-il.

À la CGT, Céline Verzeletti, secrétaire confédérale en charge des questions d’égalité et des discriminations, propose qu’au même titre que les risques santé, les entreprises consignent, dans un registre des embauches qui serait accessible aux représentants syndicaux et à l’inspection du travail, les CV reçus et les recrutements, en fonction de critères tels le genre, la date de naissance, le lieu de résidence, les qualifications… De même, « nous militons pour que les entreprises s’adressent à des réseaux de recrutement diversifiés et que la question des discriminations fasse obligatoirement partie des négociations annuelles. Mais les employeurs refusent », ajoute-t-elle. Elle demande au moins l’application de la loi, qui recense, pour les interdire, 25 formes de discriminations. « Pour l’heure, les entreprises sont centrées sur le climat, mais elles viendront aux questions sociales », assure-t-elle. D’autant que pour certaines, comme Harmonie Mutuelle ou Apicil, l’inclusion est un impératif moral et économique.

Auteur

  • Lys Zohin