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Le point sur

« La marque employeur est sans doute le seul domaine qui bénéficie de la mission »

Le point sur | publié le : 19.02.2021 | Lys Zohin

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Ce spécialiste de la stratégie, de l’entrepreneuriat et de l’innovation décrypte la croissance du nombre d’entreprises à mission et tord le cou à quelques idées reçues en matière RH.

On met souvent en avant la mission comme élément d’attractivité de l’entreprise ou de fidélisation des salariés, qu’en pensez-vous ?

L’attractivité, la marque employeur, est sans doute le seul domaine qui bénéficie de la mission, en particulier pour les jeunes, qui veulent davantage de sens dans leur travail. Cependant, une entreprise qui afficherait une mission très noble mais dont la culture s’appuierait sur un management ne respectant pas les individus ne peut pas réussir – même si tous les collaborateurs ne sont pas motivés par la même chose. Ainsi, Elon Musk séduit certains talents avec ses ambitions d’aller sur Mars, mais en rebute d’autres, du fait de sa gestion au quotidien des équipes, réputée très exigeante, voire tyrannique… D’ailleurs, en général, les collaborateurs sont avant tout motivés par leur vie au quotidien dans l’entreprise. Et c’est sans doute une bonne culture d’entreprise qui donne naissance à la formulation d’une mission déjà existante dans l’entreprise.

Les recherches académiques établissent-elles un lien entre entreprise à mission et performance économique ?

Non, pas vraiment… Et c’est là tout le paradoxe ! Si la mission définie par l’entreprise est avant tout un pacte sociétal, alors cette mission implique que la performance économique n’est pas l’enjeu majeur. Or je suis convaincu qu’une entreprise ne peut avoir un impact social et sociétal que s’il y a performance économique. Certes, les étudiants que je vois veulent rejoindre des entreprises qui apporteront un sens à leur travail, mais la performance, en particulier en termes de gestion humaine, vient avant tout du quotidien, du management.

La crise actuelle explique-t-elle la croissance du nombre d’entreprises à mission ?

Les crises servent souvent de catalyseurs, puisqu’elles amènent à des questionnements, aussi bien en termes individuels qu’à l’échelle d’une entreprise. Et la réponse que l’on donne à la question : « Quelle est ma mission ? » ou « Quelle est la mission de l’entreprise ? » peut ensuite se traduire, au niveau d’une entreprise, par l’adoption de la qualité de société à mission avec la formulation de la mission en question. Cela dit, la tendance est souvent d’aller chercher à l’extérieur de l’entreprise ce que serait la mission, comme si on voulait un supplément d’âme, par rapport à l’affichage de la seule recherche du profit. Or je crois qu’il faut sortir de l’opposition entre profit et bien commun. Nous sommes encore dans un modèle mental qui divise le monde en deux : d’un côté, les entreprises qui font du profit sans avoir d’impact positif sur la société, et de l’autre, celles qui s’intéressent à la société sans se salir avec le profit… Les chaînes de supermarchés peuvent avoir comme mission, très noble, de nourrir la population, comme elles l’ont fait pendant la crise, et de l’approvisionner en masques, tout en faisant des bénéfices.

La recherche de profit ne reste-t-elle pas, malgré tout, l’alpha et l’omega de la majorité des entreprises ?

Nombreux sont ceux qui interprètent mal la fameuse phrase de l’économiste Milton Friedman : « La mission de l’entreprise, c’est de faire du profit. » Ils en concluent qu’il défend l’idée que l’entreprise ne doit avoir aucun impact sociétal, et même qu’elle peut faire ce qu’elle veut. Or ils oublient qu’il précise : « En se conformant aux règles de la société, celles incarnées dans la loi et celles incarnées dans les habitudes éthiques ». Ce qui signifie que la recherche du profit ne peut se faire que dans le respect d’un cadre éthique et légal, et donc social. On est donc loin d’une vision ultralibérale… L’impact positif sur l’emploi, les territoires, la société dans son ensemble, ne peut exister que si l’entreprise est pérenne et donc rentable. Et alors qu’Emmanuel Faber, le PDG de Danone, avait d’emblée posé le débat en mettant en avant cette opposition, il vient de se faire prendre au piège. Non seulement Danone a récemment annoncé un plan social pour améliorer sa compétitivité, mais en plus, notant que ses performances sont en dessous de celles de ses concurrents – des entreprises comme Nestlé ou Unilever, elles aussi engagées dans le développement durable –, l’un de ses actionnaires, le fonds Bluebell Capital, a demandé une évolution de la gouvernance et le départ du PDG… Enfin, attention au « mission washing ». Autrement dit, à une mission définie de façon si large et si consensuelle que personne ne peut aller contre, et qui, in fine, ne veut pas dire grand-chose… À cet égard, il est important d’étudier la qualité des formulations en matière de mission.

Auteur

  • Lys Zohin