logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le fait de la semaine

Santé au travail : Une nouvelle loi bientôt à l’épreuve du terrain

Le fait de la semaine | publié le : 16.02.2021 | Lys Zohin

L’examen de la proposition de loi « pour renforcer la prévention en santé au travail » a débuté mardi dernier à l’Assemblée nationale et devait se poursuivre jusqu’au 15 février. Au-delà du texte, c’est une nouvelle relation qui doit se mettre en place entre préventeurs et entreprises. Et les responsables RH ont un rôle crucial à jouer.

Comment passer de la santé individuelle au travail à la prévention collective ? Tel est l’enjeu de la proposition de loi, déposée fin décembre par les députées Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, dans le sillage de l’accord national interprofessionnel (ANI) intervenu le 10 décembre entre les partenaires sociaux. L’examen du texte a débuté le 9 février et devait se conclure le 15 février, avec 357 amendements au programme. Quelle qu’en soit la mouture finale, c’est bien sûr la mise en œuvre de la loi sur le terrain qui fera la différence. Or pour l’heure, des questions demeurent. D’abord, celle de la pénurie de médecins du travail. On n’en recense que 5 000 en France. Certes, le texte, comme l’ANI, prévoit des passerelles entre médecine de ville et médecine du travail. Mais comment se mettront-elles en place ? Promoteur de l’idée, Éric Chevée, qui a négocié l’ANI au nom de la CPME, avoue que « cela prendra du temps »… Eux aussi surchargés, les médecins de ville devront se porter volontaires et se former pour accompagner entreprises et salariés. « Cette idée de passerelles revient à nier les spécificités de la médecine du travail, qui demande quatre ans de formation », s’emporte Denis Garnier, ancien syndicaliste (FO) et ancien président du Comité technique national des maladies professionnelles et accidents du travail auprès de la Cnam. De son côté, Hervé Decoussy, médecin du travail au SMTVO (Santé et médecine du travail de la Vallée de l’Oise), à Compiègne, mise plutôt sur une délégation – également incluse dans le texte – de certaines tâches aux infirmiers/infirmières du travail, formés et proches des entreprises. « D’autant qu’un généraliste ne s’intéresse qu’aux pathologies. Or c’est la prévention, dont celle de la désinsertion professionnelle, qui sous-tend le rôle des équipes multidisciplinaires animées par le médecin du travail », dit-il.

Autre question, la certification des services de santé au travail interentreprises (SSTI), « par une commission ad hoc. De quels experts sera-t-elle composée ? », s’interroge Denis Garnier. Même chose pour leurs prestations. Un socle commun les harmonisera. « Mais que comprendra-t-il ? », se demande Matthieu Petit, ancien d’un SSTI et fondateur d’Eose, à Carpentras, spécialisée dans la prévention et la sécurité au travail. Les entreprises de la région faisant appel à ses services, qui vont du conseil en organisation du travail à des escape games, ne trouvent pas toujours leurs comptes auprès des SSTI. Comment, d’ailleurs, s’y retrouver face au foisonnement d’acteurs (SSTI, réseau Anact-Aract, Carsat…) ? Denis Garnier aurait vu d’un bon œil une fusion, suggérée dans le rapport Lecocq de 2018. Les organismes visés s’y sont tous opposés. « Le manque de coordination des différents organismes nuit à l’efficacité », confirme Mickaël Bacqua, ingénieur qualité hygiène sécurité et environnement (QHSE) pour le SEST (Service aux entreprises pour la santé au travail), en région parisienne.

Réinventer les services

À Cahors, Dominique Satgé, directrice de l’Association santé au travail du Lot, veut, elle, décloisonner. « Pour apporter un service aux entreprises au-delà de la simple visite médicale, il ne s’agit pas de recruter des préventeurs à tout va, mais de faire différemment », insiste-t-elle. « Avec différentes organisations, dont Ose (Occitanie soutien aux entrepreneurs), nous avons, par exemple, mis en place un système numérique d’auto-évaluation du stress pour les entrepreneurs. Nous devons nous assurer, notamment pour les TPE, que les solutions sont adaptées. » Les SSTI doivent également faire savoir aux entreprises que leurs équipes pluridisciplinaires – ergonomes, addictologues, psychologues, ingénieurs QHSE… – sont là pour les accompagner. « Dans le cadre de nos enquêtes, nous vérifions, au-delà de la visite médicale, la connaissance des contreparties de l’adhésion, indique ainsi Mickaël Bacqua. Les adhérents répondent à 58 % qu’ils sont au courant de l’ensemble de nos prestations. »

Dialogue avec les DRH

Meilleure offre, communication accrue, mais aussi dialogue soutenu, en particulier avec les DRH, sont désormais au programme des SSTI. « Ce n’est jamais facile, admet le médecin Hervé Decoussy. La plupart des entreprises s’intéressent à la santé de leurs salariés, mais les contraintes sont fortes. Nous devons embarquer, de façon participative, les responsables RH et les chargés de production. » Le but étant de sensibiliser sur la prévention, qui passe par l’organisation collective du travail et un meilleur accompagnement individuel. Sans oublier un mode de gestion des salariés attentionné, quitte à former les managers… « Trop souvent, par exemple, un manager de proximité, qui se demande si la performance médiocre d’un salarié ne prendrait pas sa source dans une addiction, le réfère directement à la médecine du travail, alors qu’il devrait d’abord lui parler, puis alerter les services RH pour qu’ils lui viennent en aide », regrette Hervé Rabec, directeur général du SEST. « Les entreprises doivent se rendre compte que la prévention ne peut se limiter au port de chaussures de sécurité dans les ateliers. Avoir des salariés en bonne santé est gage de performance. On ne doit pas parler de coûts, mais d’investissements », tranche Matthieu Petit (Eose).

Les coûts, justement. Denis Garnier milite pour une cotisation nationale. Elle est locale et « à la main des employeurs ». Et il n’est pas question de l’augmenter. La nouvelle loi pour renforcer la prévention en santé au travail viendra-t-elle à bout des frustrations des SSTI qui considèrent que les entreprises méconnaissent leurs services ? De celles des entreprises qui ont encore du mal à obtenir ce dont elles ont besoin ? Si Denis Garnier aurait souhaité davantage de coercition « pour que les choses avancent vraiment », le but de la loi est bien de forger une nouvelle culture de prévention santé, qui manque en France, selon Matthieu Petit. « Le fait, par exemple, que le texte de loi renforce le rôle assigné au document unique d’évaluation des risques professionnels, une obligation légale prévue par le Code du travail, marque ainsi une réelle volonté d’agir ». Mais c’est sur le terrain qu’on pourra en juger.

Auteur

  • Lys Zohin