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Chronique - « Nul vainqueur ne croit au hasard »

Chroniques | publié le : 17.02.2021 | Jean Pralong

Jean Pralong : L’expertise du Lab RH.

En 2020, 85 % des recrutements ont été gérés par au moins un algorithme. Que le recruteur ait utilisé le moteur de recherche d’un réseau social, que le candidat ait répondu à une offre sélectionnée pour lui par un job board, que les individus en aient conscience ou non, la technologie est à l’œuvre dans le sourcing. Et elle n’est pas en reste lors des étapes ultérieures. Pour la plupart des recruteurs et, aussi, pour les pouvoirs publics, la technologie ne manque pas de vertus. Les humains sont fatigables. Leurs raisonnements sont rarement objectifs. La machine, elle, est infatigable. Elle applique sans erreur les règles de sélection pour lesquelles elle est conçue. Plus encore, l’algorithme réalise le fantasme de l’économie néo-classique : un marché du travail pur, débarrassé des intermédiaires qui freineraient la libre circulation des compétences, où l’appariement entre candidats et offre serait immédiat. Enfin, les candidats n’auraient qu’à se réjouir de ces évolutions. L’évitement des discriminations ou l’émergence d’opportunités inattendues sont évidemment des bénéfices pour eux.

Reste que les comportements des utilisateurs ne sont jamais ceux que l’on souhaiterait. De même que les utilisateurs de machines ne suivent jamais le manuel, de même que les conducteurs ne suivent jamais tout à fait le Code de la route, les utilisateurs d’algorithmes se comportent autrement que selon les usages qu’on a imaginés pour eux. Ces détournements sont anecdotiques dans le cas des recruteurs. Ils sont plus inquiétants du côté des candidats.

Dans une étude qui paraîtra au printemps, nous avons questionné longuement une population bien spécifique de chercheurs d’emploi : des jeunes détenteurs de master. Ceux-là ont, sur le papier, tout pour être des gagnants de la digitalisation du recrutement. Jeunes, on les suppose technophiles ou, au moins, à l’aise avec Internet. Très diplômés, on les imagine compétents, recherchés et, pour dire les choses directement, intelligents. Et pourtant, le thème majeur qui sort de leur rapport au recrutement digitalisé est celui de la chance. Postuler sur une plate-forme, c’est, pour eux, s’exposer à l’aléatoire. Car le traitement opéré par la machine est une boîte noire. Malgré ses apparences scientifiques, il dépasse la pensée rationnelle et mathématique. La chance apparaît souvent comme la seule vraie cause d’accès à l’emploi.

En première analyse, l’argument de la chance est probabiliste. Cette chance-là, c’est la probabilité qu’un poste correspondant aux attentes soit diffusé. Cette probabilité provient de la conjugaison de phénomènes multiples, faisant système et régulés par des lois stables. Attendre sa chance c’est, donc, attendre son tour. Mais certains échecs se répètent trop souvent ; sans cause apparente, il est difficile de n’y voir que le fruit du hasard. Plus les candidats ont la certitude d’avoir fait ce qui devait être fait, plus ce qu’ils appréhendent sous les traits de la « chance » s’éloigne du rationnel. Cette chance-là n’est plus probabiliste. Elle évoque les sorts, le destin et le merveilleux. Beaucoup de pratiques de candidats s’apparentent à des rituels. Ce n’est pas un petit paradoxe : la digitalisation convoque la magie.

Auteur

  • Jean Pralong