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Télétravail : La fonction publique tarde à s’y mettre

Le point sur | publié le : 10.02.2021 | Muriel Jaouën

Faible culture de l’urgence et de l’autonomie, carences dans les équipements distanciels, impératif de continuité de service : pour les administrations publiques plus que pour les entreprises privées, la mise en œuvre du télétravail aura été laborieuse.

« Retard à l’allumage » selon les uns, « montée progressive » pour les autres… Que l’on décrive un verre à moitié vide ou à moitié plein, le constat est partagé : le télétravail dans l’administration a peiné à se mettre en place. Lors du premier confinement, de mars à mai 2020, seulement 90 000 des 800 000 agents de la fonction publique d’État (hors Éducation nationale) ont été concernés par le travail à distance, soit moins de 12 % des effectifs. Le 15 octobre 2020, soucieux d’accélérer le mouvement, le Premier Ministre exhortait l’administration à mettre en place rapidement « deux à trois jours de télétravail par semaine ». Mais l’injonction n’a que peu pesé. Quinze jours plus tard, le taux d’agents publics travaillant depuis leur domicile « au moins un jour par semaine » n’avait progressé que de 24 % à 28 %, selon les données gouvernementales.

Et encore ces chiffres ne renvoient-ils qu’à la fonction publique d’État, soit à moins de la moitié des agents publics en France. Dans la fonction publique hospitalière et les collectivités territoriales, la mise en route du télétravail s’est avérée plus hésitante encore pour des raisons au demeurant très éloignées. À l’hôpital, l’impératif de continuité de service dans cette période de crise et d’engorgement sanitaires est incompatible avec le télétravail, en tout cas pour le personnel soignant. Quant au tâtonnement des employeurs territoriaux, il doit être mis au compte d’une impréparation managériale à l’idée même de télétravail.

Décret ou circulaire ?

Pour le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, difficile de se satisfaire d’un écart trop marqué entre les entreprises privées et les organisations publiques. Le 29 octobre, une circulaire impose le télétravail dans la fonction publique comme la règle pour l’ensemble des activités le permettant et pour les agents dont les fonctions peuvent être exercées totalement ou principalement à distance. Seulement voilà, dans le public, les conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail sont fixées sur la base du décret n° 2016-151 du 11 février 2016 – modifié depuis par celui du 5 mai 2020 – qui prévoit dans son article 3 que la quotité des fonctions pouvant être exercées à distance ne peut dépasser trois jours par semaine. « On a demandé à des employeurs publics, peu habitués à agir dans l’urgence, d’adopter du jour au lendemain des modes et des organisations de travail par définition lourdes et complexes à mettre en place », souligne Pascal Airey, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Le résultat était prévisible : pas mal de cafouillages, des montées de stress et une véritable épreuve managériale. Selon un sondage Wimo-Ipsos réalisé en novembre 2020, 73 % des agents considèrent que leur organisation n’était pas préparée à affronter le premier confinement (contre 52 % dans le privé) et 51 % confirment cette perception pour le deuxième confinement.

Un niveau d’équipement souvent très déficient

Le piétinement de la fonction publique dans la mise en place du télétravail tient à deux facteurs principaux : une culture managériale encore largement réfractaire à l’autonomie des collaborateurs et un niveau d’équipement souvent très déficient. Côté équipement, le bilan du premier confinement est sans appel : « Carence en terminaux et périphériques individuels, pas ou peu de fonctionnalités élémentaires pour un travail à distance satisfaisant (caméra sur le PC), applications métiers inadaptées, bases de données et documentation de travail inaccessibles à distance, cybersécurité souvent inexistante », déroule Pierre Fragnier, associé d’Alixio Change Management. Les agents interrogés par Ipsos pour Wimo placent ces carences au premier rang des freins à la mise en œuvre télétravail (dans le privé, il n’apparaît qu’en troisième position).

Lors du premier confinement, nombre d’agents de l’administration et des services publics centraux ont dû avoir recours à une autorisation spéciale d’absence (l’équivalent du chômage partiel dans la fonction publique) au seul motif qu’ils ne pouvaient pas travailler faute d’équipement. Conscient du décalage entre les besoins et les ressources, le gouvernement a débloqué dans le cadre du plan de relance une enveloppe de 200 millions d’euros (dont 90 millions d’euros pour les collectivités) pour soutenir les investissements dans les outils à distance, les dossiers numériques et la dématérialisation.

« Télétravailleurs = planqués »

Le travail à distance renvoie, par ailleurs, à une culture de l’autonomie très balbutiante dans la fonction publique. Plus de la moitié des agents interrogés par Ipsos estiment que les personnes en télétravail sont considérées au sein de leur organisation comme des « planquées ».

Si les carences managériales obèrent la rapidité de déploiement de nouvelles organisations, elles accentuent également leurs effets négatifs sur les agents, confrontés aux mêmes revers que les salariés du privé : mise à mal du collectif, limitation des contacts humains, difficulté d’articuler vie privée et vie professionnelle. « Le télétravail a été insuffisamment intégré au dialogue social. Les impacts sur l’organisation du travail sont passés au deuxième plan par rapport aux dimensions protection individuelle et équipements. Plusieurs sujets de fond ont été laissés en suspens : les effets induits sur les délégations de responsabilités, la valorisation des compétences acquises, l’évaluation de la performance à distance », note Pierre Fragnier.

Rares sont les organisations permettant le télétravail « pour tous ». Dans la fonction publique territoriale notamment, les salariés de catégorie C, à savoir les agents d’exécution, représentent 75,6 % des collaborateurs. Pour ces agents de terrain, le télétravail ne peut s’envisager que de manière très marginale. « Dans la fonction publique d’État, l’obligation de continuité de service limite également le déploiement du travail à distance pour les agents en contact direct avec les usagers », souligne Olivier Dupont, directeur du secteur public national au sein du cabinet de conseil Sémaphores.

L’un des grands enjeux du télétravail dans la fonction publique consiste dès lors dans la prévention de tout sentiment d’inégalité de traitement entre des cols blancs qui bénéficient de conditions de travail améliorées, et des cols bleus, qui n’ont d’autre choix que d’être sur le terrain pour exercer leurs missions.

Auteur

  • Muriel Jaouën