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Le grand entretien

« L’idée qu’il faut sortir de sa zone de confort pour réussir va à l’encontre de ce qu’il faut faire »

Le grand entretien | publié le : 11.02.2021 | Lys Zohin

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« L’idée qu’il faut sortir de sa zone de confort pour réussir va à l’encontre de ce qu’il faut faire »

Crédit photo Lys Zohin

Formateur et consultant, Pierre Cocheteux milite pour l’application d’un nouveau concept venu du Japon, l’Ikigaï, de nature, selon lui, à œuvrer non seulement au développement personnel mais aussi à celui de l’entreprise.

Du Kanban (Just in time) au Kaizen, les concepts japonais ont souvent fait leur chemin dans les entreprises occidentales. L’Ikigaï, que vous défendez, fera-t-il de même ?

Il est trop tôt pour le dire mais j’y compte bien ! C’est un concept intéressant pour le développement personnel qui peut être appliqué à l’entreprise, depuis la qualité de vie au travail jusqu’à la performance économique.

Comment le définissez-vous ?

L’Ikigaï est un mot japonais qui regroupe les idéogrammes d’Iki, qui signifie vie ou vivant, et de Gaï, qui veut dire effet, résultat, fruit, valeur. L’Ikigaï est donc l’énergie qui vient du vivant. C’est un concept central de la culture japonaise, qui s’enracine dans le monde médiéval, mais c’est aussi un art de vivre. C’est une forme d’énergie spontanée et l’équivalent de la joie de vivre, de la raison d’être, de la motivation intrinsèque pour se lever le matin, mais aussi un respect de soi et des autres, une façon de se nourrir et d’être en relation avec l’environnement dans lequel on habite. C’est donc une philosophie générale plutôt qu’un simple concept. Toujours est-il qu’elle porte sur le sens de la vie, mais aussi son but, et contient également la notion de bien-être. Selon les Japonais, chaque individu a un Ikigaï. Il s’agit d’abord de le révéler à soi-même, puis d’être cohérent dans ses actions, en fonction de cet Ikigaï. Mon travail a consisté à rendre ces idées, assez abstraites pour notre culture, utilisables non seulement pour l’individu mais aussi dans le cadre de l’entreprise, afin de développer la performance et, de manière générale, la qualité de vie de l’ensemble du personnel de l’entreprise.

Comment ce concept s’appliquant à l’individu peut-il aussi concerner l’entreprise ?

En effet, j’ai pensé que l’on pouvait étendre aux entreprises un concept d’abord appliqué à l’individu. De fait, les organisations, qui sont d’abord un collectif, ont également un Ikigaï : c’est leur culture, leur ADN, leur raison d’être, leur mission. Au même titre qu’un individu peut se demander ce qu’il aime faire et quels sont ses points forts, une entreprise peut faire de même. Quelle est la valeur ajoutée du service ou des produits proposés ? De quoi les clients ont-ils besoin ? En quoi les produits ou les services rendus différencient l’entreprise de ses concurrents ? à cela s’ajoute désormais la question de l’impact social, sociétal et environnemental de l’entreprise et de ses activités. Du développement personnel, on peut en conséquence passer au développement collectif, en prenant comme fil conducteur la relation à soi et le respect de soi et des autres. Le tout afin de faire en sorte que l’intelligence collective soit supérieure à l’addition de chacune des intelligences individuelles dans l’organisation.

La crise actuelle renforce-t-elle non seulement la valeur travail, mais aussi la quête de sens de la part des collaborateurs ?

Si la quête de sens semble avoir été accrue par la crise sanitaire que nous vivons et ses effets, dont le télétravail, sur notre équilibre vie personnelle/ vie professionnelle, cette quête précède l’arrivée du nouveau coronavirus. Les dernières générations, qui entrent dans le monde du travail, sont, plus que les précédentes, semble-t-il, dans cette démarche, qui se double d’une volonté de mettre l’accent sur l’impact environnemental des activités humaines. Et si, du fait de la crise, les jeunes peuvent avoir des difficultés à trouver un emploi – c’est l’aspect « valeur travail » dont vous parliez – ils sont aussi prompts à démissionner si l’employeur ne répond pas à cette quête de sens ainsi qu’à leur besoin de qualité de vie au travail. Et un turnover élevé n’est évidemment pas dans l’intérêt de l’entreprise. Autant dire que, de manière générale, il s’agit, désormais, de mettre l’économie au service de l’humain et non les humains au service de l’économie. Et pour les individus, il s’agit de mettre un plan de carrière au service d’un plan de vie et non l’inverse. La crise actuelle n’a fait que renforcer ce phénomène. Je ne crois pas que l’on pourra faire machine arrière.

De façon opérationnelle, comment un manager peut-il mettre l’Ikigaï au service des collaborateurs et de l’entreprise ?

D’abord, la façon de mettre, au quotidien, l’Ikigaï au service de l’entreprise, c’est, de la part du manager, d’être à l’écoute. Dans les coachings que je pratique, je commence, avec des métaphores ou des anecdotes, par aider les coachés à cesser d’avoir peur du silence. Il faut laisser de l’espace à l’autre. Il faut également apprendre à poser des questions pertinentes, sans être intrusif, bien entendu. Ce qui n’est pas si facile pour certains managers qui gèrent de façon « traditionnelle ». Puis, le manager doit privilégier ce que les équipes savent et aiment faire et organiser le travail en conséquence. L’idée, encore très répandue, qu’il faut sortir de sa zone de confort pour réussir et être performant dans son travail va à l’encontre de ce qu’il faut faire désormais. Le manager doit ainsi comprendre que certains individus sont de très bons spécialistes, tandis que d’autres sont des « multi-potentialistes », qui ont besoin de toucher à tout et de se renouveler – le tout en s’intéressant non seulement aux individus mais aussi au collectif. Ce qui nécessite donc une plus grande attention de la part du manager. Enfin, l’entreprise doit être en cohérence, entre sa mission, sa vision, son discours, sa gestion humaine, ses clients, ses autres parties prenantes. J’observe que les entreprises, qu’elles soient à mission ou libérées ou autres, qui sont alignées de cette façon sont plus performantes que les autres et ont tendance en outre à attirer les talents, gages de leur réussite.

Est-ce la seule façon pour les entreprises de sortir de la crise actuelle ?

Non, ce n’est pas forcément la seule, mais c’est une solution qui a déjà fait ses preuves et est pertinente. Enfin, ce qui marche dans une entreprise ne marchera pas forcément dans une autre. Ce qui est efficace dans certains secteurs peut ne pas être adapté à d’autres. Mais toutes les entreprises traitent de l’humain et doivent faire preuve de créativité. Il est donc important que tous les collaborateurs soient bien dans leur travail et y trouvent du sens. Encore une fois, chaque entreprise doit trouver son Ikigaï… D’autant que le télétravail, avec ses inconvénients, tels que l’isolement et un certain vide relationnel, ne saurait suffire, même en cette période. On est plus productif, plus inventif, plus créatif lorsqu’on travaille à plusieurs. Et c’est bien cela dont auront besoin les entreprises pour sortir de la crise actuelle, sur fond d’évolution de la consommation, qui devient plus raisonnée. Il s’agit maintenant de fabriquer moins de produits physiques, mais de proposer des produits qui ont davantage de valeur, aussi bien au niveau intellectuel qu’en matière de créativité. Les entreprises doivent s’adapter à ce nouveau paradigme.

Cette notion de cohérence par rapport au nouveau contexte est donc essentielle pour les entreprises ?

La prise de conscience que l’industrialisation à tout va et la consommation débridée ont des impacts néfastes sur la planète est de plus en plus forte. Si l’on veut profiter de notre planète encore un peu, la seule façon est de changer… Certes, le rôle premier d’une entreprise est de générer du business, mais les contraintes, y compris législatives, sont de plus en plus grandes, en particulier en matière de gestion humaine, de qualité de vie au travail, de RSE… Cette nouvelle cohérence est donc essentielle.

Parcours

Certifié en analyse transactionnelle, hypnose Ericksonnienne et PNL, Pierre Cocheteux est coach auprès de chefs d’entreprise, en particulier pour la prévention des risques psycho-sociaux et l’amélioration du leadership. En 2020, son livre, Mettez votre Ikigaï au service de votre réussite professionnelle (éditions Maxima, 2019) a reçu le Prix du conseiller, Prix du livre Pôle emploi 2020, pour la contribution qu’il a apportée au monde du travail.

Auteur

  • Lys Zohin