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Le grand entretien

« Les bilans de compétences font surtout appel à la psychologie et à la motivation »

Le grand entretien | publié le : 04.02.2021 | Judith Chétrit

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« Les bilans de compétences font surtout appel à la psychologie et à la motivation »

Crédit photo Judith Chétrit

Déjà trentenaires, les bilans de compétences se sont imposés comme des outils pour les salariés qui souhaitent prendre un temps de recul sur leurs expériences professionnelles, voire réfléchir à une reconversion volontaire ou subie. Quitte à mettre trop l’accent sur la revalorisation et la motivation des bénéficiaires ? Entretien avec Aurélie Gonnet.

Que représentent les bilans de compétences aujourd’hui ?

Même si les données sont partielles, environ 50 000 bilans de compétences sont réalisés annuellement, ce qui représente un volume stabilisé depuis une vingtaine d’années. Entre un tiers et la moitié d’entre eux sont opérés dans des centres interinstitutionnels des bilans de compétences pour un coût moyen de 1 500 à 2 000 euros. Quasiment deux tiers des bénéficiaires sont en CDI. Le public demandeur d’emploi est peu représenté, malgré l’apparition puis la disparition au début des années 2000 du bilan de compétences approfondi qui leur était réservé. Bénéficiant d’autres prestations d’accompagnement, les demandeurs d’emploi n’ont jamais été la cible privilégiée. Il s’agit plutôt des travailleurs salariés en position intermédiaire qui se posent des questions sur leur avenir professionnel. Ainsi, 15 % des salariés ont bénéficié d’un bilan de compétences au cours de leur carrière. Ce sont plutôt des employés âgés entre 35 et 45 ans mais les conseillers remarquent un rajeunissement de la population ces dernières années. Deux tiers des bénéficiaires sont des femmes. La variable du genre est pertinente à analyser : alors que les hommes sont majoritairement représentés dans les actifs bénéficiaires de la formation professionnelle, les carrières plus souvent subies et avec moins de possibilités d’évolution les conduisent à recourir elles-mêmes à des dispositifs d’orientation.

Dans votre thèse, vous détaillez le poids accordé à la motivation et à la connaissance de soi. Comment l’expliquez-vous ?

Même si je ne le décris pas comme une déviance, il faut reconnaître l’importance prise dans le temps par l’évaluation des mécanismes psychologiques et motivationnels. Cette focalisation sur la personne s’explique aussi par la prépondérance des bilans qui s’exercent en dehors du temps de travail. L’externalisation du financement favorise ainsi une césure avec l’environnement de l’entreprise où évolue le bénéficiaire. Les bilans de compétences reposent surtout sur des entretiens individuels, des questionnaires ou des tests psychométriques. On traite de questions qui peuvent être très personnelles. Beaucoup de conseillers ont une formation en psychologie, d’où cette propension à questionner l’individu. Cette prédominance de la psychologie s’inscrit aussi dans la continuité du fort intérêt des acteurs du recrutement et de la gestion des ressources humaines pour la psychologie dès les années quatre-vingt.

Cette personnalisation de la démarche diffère-t-elle des objectifs initiaux ?

Aux débuts du bilan de compétences dans les années 1980, les objectifs initiaux n’étaient déjà pas très clairs. Il était question d’optimiser le recours à la formation professionnelle en construisant un projet mais rien n’est vraiment dit sur le type de projet à définir. L’autre toile de fond était la mise en emploi. Un des premiers intérêts est de revaloriser les choix qui ont pu être faits dans une vie professionnelle. Mais trop s’intéresser à la motivation jette un voile sur les éléments qui ne relèvent pas de la motivation, comme la surreprésentation des plus diplômés dans les publics de la formation professionnelle, le soutien d’un conjoint qui peut appuyer un changement de carrière, etc. Cela peut conduire à ne pas s’interroger sur les déterminants socio-économiques de la condition d’un individu. Un individu peut être très motivé pour un métier mais son statut précaire ou une rémunération inférieure pourront être plus difficiles à tenir dans le temps.

Est-ce une orientation regrettée sur le terrain ?

De manière générale, une grande liberté est laissée à l’interprétation des acteurs des bilans de compétences. Le résultat est une diversité de pratiques car les prestataires tendent aussi à se singulariser sur ce marché concurrentiel. Les conseillers interrogés dans le cadre de ma thèse regrettent de ne pas avoir plus de temps pour se documenter, notamment sur les métiers, l’évolution des compétences et des outils ou encore l’état du marché du travail. Par ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les personnes changent peu de métiers ou d’entreprises à l’issue d’un bilan de compétences. C’est une dimension qui est même intériorisée par les conseillers : ils savent qu’il n’y aura pas de reconversion massive.

Le bilan amène plutôt à changer de rapport au travail que véritablement de travail, à la faveur d’un rapport plus positif au travail et d’un rééquilibrage entre vie personnelle et vie professionnelle.

Voit-on déjà les effets de la réforme sur la formation professionnelle avec l’introduction du conseil en évolution professionnelle ?

Indéniablement, la création des conseillers en évolution professionnelle crée une concurrence mais nous n’avons pas encore de recul en termes de données pour en évaluer les effets. Plusieurs prestataires privés et centres interinstitutionnels des bilans de compétences se sont vu attribuer des marchés pour les CEP.

Si les bilans de compétences sont surtout sollicités par des salariés en poste, pourquoi sont-ils surtout proposés par des prestataires externes ?

C’est un dispositif qui reste encore peu mobilisé par les employeurs pour leurs salariés. Selon une étude auprès du Fongecif Auvergne, les entreprises et les services des ressources humaines sont les dernières sources d’information sollicitées par les salariés éventuellement intéressés par un bilan de compétences. Dans les grandes entreprises, une concurrence existe avec leurs propres centres d’évaluation des compétences et d’autres solutions internes mises en place. Comme les résultats sont confidentiels et destinés au seul bénéficiaire, les personnels des ressources humaines expriment une défiance à l’égard de ce dispositif qu’ils envisagent comme un préalable avant un départ et non comme un levier de mobilité interne.

Peut-on déjà relever un effet de la crise sanitaire sur le nombre de bilans de compétences réalisé ?

À chaque moment de crise, la thématique de l’orientation professionnelle revient sur le devant de la scène car il est question de chômage ou de sens du travail. Le débat autour des derniers de cordée et de l’utilité sociale de métiers vus comme négligés ou dépréciés offre un espace de réflexion pour réinterroger le travail. À l’heure actuelle, une des vertus du bilan de compétences est aussi d’offrir un espace de parole et de prise de recul pour les salariés qui témoignent d’un épuisement professionnel et qui n’ont pas forcément envie ou des difficultés à recourir à un service de santé au travail. Souvent, ces personnes-là commencent par dire qu’elles veulent changer de métier mais en creusant, les conseillers s’aperçoivent que ce sont davantage le contexte et les conditions de travail qui leur procurent une insatisfaction, même lorsqu’il y a une sécurité de l’emploi.

Parcours

Aurélie Gonnet est docteure en sociologie et chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail. Après avoir rédigé un premier mémoire sur l’évaluation des projets professionnels dans le cadre des RSA artistes, elle a soutenu une thèse en novembre 2020 sur la fabrique et les usages du bilan de compétences. Celle-ci s’est notamment appuyée sur une enquête ethnographique auprès de conseillers des centres interinstitutionnels de bilans de compétences. Pour son post-doctorat, elle travaille sur les pratiques des nouveaux conseillers en évolution professionnelle.

Auteur

  • Judith Chétrit