Comment réduire ou limiter les risques inhérents à l’activité des indépendants ? Le ministre des PME lance des consultations pour prendre des décisions à partir de mars.
Comment réduire ou limiter les risques inhérents à l’activité des indépendants ? Le ministre des PME lance des consultations pour prendre des décisions à partir de mars.
Mieux protéger les travailleurs indépendants durement frappés par la crise. Cette préoccupation a pris forme le 28 octobre dernier. Dans son allocution annonçant de nouvelles mesures pour lutter contre la pandémie causée par la Covid-19, le président Emmanuel Macron a affiché clairement son soutien aux petites entreprises « avec la prise en charge jusqu’à 10 000 euros par mois de leurs pertes en chiffres d’affaires » et la poursuite du chômage partiel. Pour la première fois, il évoquait « un plan spécial […] pour les indépendants, les commerçants, les très petites et moyennes entreprises ». Le 13 janvier, le chef de l’État faisait de nouveau référence à cette préoccupation lors du discours qui accompagne la traditionnelle cérémonie de l’Épiphanie, en citant l’ensemble des indépendants « qui ont vu leur activité profondément bousculée, transformée, avec des chiffres d’affaires qui ont été bouleversés ».
Cette volonté présidentielle a trouvé une première concrétisation mercredi 20 janvier. Alain Griset, le ministre des PME, a reçu les organisations patronales représentatives (Medef, CPME et U2P) pour lancer un cycle d’échanges. Elles ont jusqu’au 15 mars pour envoyer leurs propositions au ministère. Quatre thèmes sont déjà sur la table : le statut des travailleurs indépendants, la transmission des entreprises, la protection sociale et la formation.
S’agissant du statut et plus précisément de la protection du patrimoine personnel du travailleur indépendant, menacé de saisie dès lors que l’activité rencontre des difficultés ou périclite, le ministère des PME confirme qu’il s’agit d’une « problématique identifiée », précisant qu’il faut « offrir un cadre renouvelé, un environnement juridique, fiscal et social simplifié et sécurisé afin de favoriser l’initiative individuelle ».
Si les organisations patronales considèrent l’adoption du statut de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), créé par la loi du 15 juin 2010 (n° 2010-658) et complété par l’ordonnance du 9 décembre 2020 (n° 2010-1512), qui sépare les biens personnels et professionnels, comme une réelle avancée, elles déplorent qu’il reste si peu utilisé. Malgré son caractère plus protecteur, l’EIRL impose en effet de suivre des procédures comptables et administratives. « Les chefs d’entreprise ont du mal avec ces contraintes, rappelle Michel Picon, président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL). C’est une question culturelle. Les organisations patronales et syndicales incitent les travailleurs indépendants à choisir des statuts plus protecteurs, mais ils ne se posent ce type de question que lorsqu’ils veulent s’associer. » Le dirigeant de l’UNAPL rappelle qu’un quart seulement des professions libérales sont employeurs.
Pour le président de l’U2P, Pierre Burban, ce manque d’attrait tient avant tout à ce que les entrepreneurs individuels choisissent la formule la plus simple : « Ils s’inscrivent à la chambre de commerce et ne se préoccupent pas de ces questions juridiques. Or avec cette solution simple, ils sont soumis à un régime qui mélange les biens personnels et professionnels. » Et si l’inscription impliquait l’adoption par défaut du statut d’EIRL ? Séduisante, l’idée se heurte en pratique aux réticences des… banquiers. Privés de caution sur les biens personnels, ils fermeraient les vannes du crédit. Comment assurer alors le développement de l’activité ? S’agissant de la transmission, plusieurs enjeux émergent. Le ministère des PME fait valoir que ce sujet, qualifié de « structurel » a déjà progressé grâce aux apports de la loi Pacte. Les rapports de la députée Fanny Dombre-Coste ont aussi fait avancer le sujet (lire encadré). Parmi les organisations patronales, des voix s’élèvent pour appeler à s’inspirer des dispositifs en vigueur en Allemagne, plus favorables à la transmission, en particulier intrafamiliale. D’autres, à l’instar de Pierre Burban, soulignent l’impact en termes d’emploi du système actuel : « Beaucoup de TPE cessent toute activité faute de repreneur. Dans certains secteurs, c’est même la majorité des entreprises qui se trouvent dans cette situation. » Le cabinet du ministère préfère ne pas résumer cet enjeu à la question fiscale, rappelant que l’accompagnement et la sensibilisation jouent un rôle important. Nombre de travailleurs indépendants ou de chefs de TPE anticipent en effet rarement la transmission de leur entreprise.
Le troisième axe potentiel du plan concerne la protection sociale. Depuis plus d’un an, les indépendants dont l’activité a été interrompue peuvent percevoir une allocation mensuelle de 800 euros durant une période de six mois. Très peu en bénéficient dans les faits. Selon les chiffres les plus récents recueillis par Les Échos, 828 dossiers ont reçu une réponse positive, 649 sont en instruction et 1 074 ont été rejetés. Parmi les motifs de rejet figure la faiblesse du revenu dégagé par l’activité, inférieur au seuil exigé pour bénéficier du dispositif. Alors que la France compte 3,6 millions d’indépendants, le nombre très réduit de recours à ce dispositif ne peut qu’interroger. L’aide massive apportée par l’État depuis le premier confinement a-t-elle permis de maintenir à flot des activités et éviter ainsi un afflux de demandes ?
En tout état de cause, sur l’extension de l’accès à l’assurance chômage, les organisations patronales représentatives se montrent dubitatives. « Être indépendant, c’est un choix de vie », rappelle Pierre Burban. Rétif à un dispositif qui soulèverait la question du financement et son inévitable corollaire, le versement de cotisations, l’U2P souhaite plutôt remettre au goût du jour les travaux que Jean-Paul Delevoye avait menés dans le cadre de la réforme des retraites. « Les indépendants paient proportionnellement plus de CSG et de CRDS qu’un salarié », rappelle Pierre Burban, qui souhaite plus d’équité dans le système et prône l’instauration d’un abattement de 30 % sur les revenus. De quoi animer les futurs échanges et les discussions parlementaires.
Dans un rapport remis en 2015 à Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, Fanny Dombre-Coste, députée de l’Hérault, évoquait l’enjeu économique majeur que représente la transmission d’entreprise. Citant l’observatoire BPCE, le document précise que « les entreprises récemment transmises connaissent des taux d’investissement, de rentabilité et de survie supérieurs à celles qui ne l’ont pas été ». Le rapport soulignait par ailleurs le risque d’une mauvaise transmission sur l’emploi : en moyenne, sur le marché de la cession d’entreprise qui concerne potentiellement 60 000 structures chaque année, 30 000 cessent leur activité, détruisant 37 000 emplois. Le rapport indique que ce volume ne représente que le tiers des 185 000 entreprises susceptibles d’être réellement cédées. Ce sont donc 750 000 emplois qui pourraient être sauvegardés grâce à une meilleure transmission des entreprises, auxquels pourraient s’ajouter 150 000 créations. Le rapport précise cependant que si « les volumes avancés doivent être considérés avec prudence », un rattrapage, « même partiel », du nombre de cessions effectives sur le nombre de cessions potentielles « produirait en tout état de cause un effet macroéconomique significatif ».
Contrairement à ce qui est mentionné dans le « Fait de la semaine » du précédent numéro, Isabelle Allemand n’est pas professeur de l’université Dijon-Bourgogne mais professeur à Burgundy School of Business.