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« Les maux du syndicalisme vont s’aggraver »

Le point sur | publié le : 28.01.2021 | Gilmar Sequeira Martins

En ouvrant la porte à une réduction importante des moyens mis à la disposition de la nouvelle instance qu’est le CSE, les ordonnances de 2017 aggravent les maux dont souffre le syndicalisme tout en creusant le fossé entre les grandes entreprises, soucieuses de préserver la paix sociale, et l’immense majorité des autres, attachées d’abord à réduire les coûts. Entretien avec Camille Dupuy, maîtresse de conférences en sociologie à l’université de Rouen et chercheuse au Centre d’études de l’emploi et du travail (CNAM).

Quelles conséquences aura la concentration des compétences économiques et stratégiques au sein du CSE central ?

Les élus n’auront pas la possibilité de traiter toutes les questions et ne seront pas éclairés par les élus locaux tandis que va s’installer au niveau local un sentiment de dépossession, d’inutilité et d’incompréhension. C’est le paradoxe de cette réforme qui affichait une volonté de plus grande proximité avec le terrain. En parallèle, on constate une baisse du nombre d’instances et des moyens des élus, qui varie selon les accords. Ces effets sont d’autant moins inattendus qu’ils avaient déjà été constatés avec l’arrivée de la délégation unique du personnel qui était une sorte de « pré-CSE ». Cela soulève une hypothèse : ces effets étaient-ils voulus et l’objectif est-il de réduire la capacité de négociation des salariés ?

Quelles conséquences peut avoir la disparition des délégués du personnel et le rôle plus restreint des représentants de proximité ?

Plus les entreprises sont grandes et les syndicats puissants, meilleurs sont les accords. Dans les grandes entreprises, ils prévoient généralement des représentants de proximité mais, même là, il y aura une perte car ces représentants sont moins nombreux que les délégués du personnel et les échanges avec la direction ne se font plus par écrit. Ces représentants ont par ailleurs peu de moyens. Il y a un risque de passer à côté de situations dégradées et d’être alertés trop tard. Les problèmes pourraient alors prendre une ampleur inédite.

Les élus actuels sont-ils en mesure, avec les moyens dont ils disposent, de traiter les sujets qui leur sont soumis ?

Selon les accords, la perte du nombre d’heures de délégation est d’au moins 30 %. Si aucun accord n’est conclu, la perte peut représenter jusqu’à deux tiers du nombre d’heures de délégation de l’ancien dispositif. Cela ne fera qu’aggraver une situation déjà difficile. Deux options sont possibles : soit la capacité des élus à traiter les sujets abordés va encore s’éroder du fait de la diversité des thèmes à traiter ; soit un nombre croissant d’élus vont se professionnaliser. Si cette dernière option se réalise, ce qui est probable, il deviendra plus compliqué de trouver des candidats, compte tenu de la dimension du poste d’élu CSE et de l’interdiction pour les suppléants d’assister aux réunions. Le CSE conduit à la fois à une professionnalisation des mandats d’élus et à un tarissement des candidatures du fait de la difficulté à trouver des candidats jeunes pour remplir une telle responsabilité. Les maux du syndicalisme vont s’aggraver.

Quelles attributions nouvelles pourraient éviter au CSE le risque de devenir une chambre d’enregistrement ?

Le CSE informe et consulte mais ses avis ne sont pas contraignants. Cela participe d’une forme de dégradation plus générale du dialogue social avec des directions qui présentent un projet et écoutent les avis mais ne changent que très rarement leur projet. Tant que les CSE ne seront qu’une instance de consultation, ils resteront une chambre d’enregistrement. Il y a malgré tout une grande différence selon la taille des structures et le dialogue social existe dans les grandes entreprises. L’enquête Relations professionnelles et négociations d’entreprise (REPONSE) de la Dares menée auprès de 4 000 établissements montre que dans plus d’un tiers d’entre eux, il n’existe aucun dialogue social formalisé pour différents motifs – carence aux élections professionnelles, pas d’élus, pas de négociations. La conflictualité est un moyen de négociation et elle nourrit le dialogue social. Si les luttes collectives se font plus rares, cela peut se traduire par une hausse des formes dites « exit », c’est-à-dire des démissions, des arrêts maladies et des RPS. Le collectif est un rempart contre les risques. Les enquêtes sur les conditions de travail montrent qu’un pouvoir de négociation élevé permet de garantir un bon niveau de santé au travail.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins