Un an après la mise en place obligatoire d’un comité social et économique dans les entreprises de plus de onze salariés, un premier bilan permet de mesurer le fossé qui sépare les points de vue respectifs des organisations syndicales et patronales sur les CSE. Difficile d’imaginer une amélioration du dialogue social à partir d’une telle absence de consensus.
Un an après la mise en place obligatoire d’un comité social et économique dans les entreprises de plus de onze salariés, un premier bilan permet de mesurer le fossé qui sépare les points de vue respectifs des organisations syndicales et patronales sur les CSE. Difficile d’imaginer une amélioration du dialogue social à partir d’une telle absence de consensus.
Créés par les ordonnances de 2017, les comités sociaux et économiques (CSE) destinés à remplacer le triptyque CE-CHSCT-DP devaient être élus au plus tard au 1er janvier 2020. Un an après la date butoir, tout n’est pas encore en place, tant s’en faut. « En fin d’année dernière, nous traitions encore chaque semaine environ quatre-vingts invitations à négocier des protocoles préélectoraux, affirme ainsi Karen Gournay, en charge de la négociation collective chez Force ouvrière. Au 31 décembre 2020, encore 20 % à 30 % des entreprises n’avaient toujours pas mis en place un CSE. La pandémie de la covid a posé des difficultés inédites. »
Évoquant un « bilan mitigé », Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge du dialogue social à la CFE-CGC, regrette que « les ordonnances favorisent le vice plutôt que la vertu ». À l’instar des autres syndicats, la confédération de l’encadrement constate que les entreprises considérant le dialogue social comme un coût ont profité de la mise en place des CSE pour réduire les moyens tandis que celles qui lui donnaient de l’importance les ont accrus. Mais elles restent rares. « C’est très significatif de la perception qu’ont la majorité des entreprises du dialogue social, estime Gilles Lecuelle. Cela ne va pas dans le sens de l’amélioration du dialogue social qui était pourtant l’objectif affiché des ordonnances. »
Un point de vue que ne partagent pas les organisations patronales. « Sur la question des moyens, en pratique, les représentants du personnel, qui ont une conscience aiguë de leur métier, savent utiliser leurs quotas d’heures de délégation et inversement, dans des situations exceptionnelles, les employeurs savent aussi aménager les quotas d’heures réglementaires », estime Hubert Mongon, chef de file « social » du Medef et délégué général de l’UIMM. Éric Chevée, vice-président de la CPME, estime quant à lui qu’il « est possible d’être efficace tout en y passant beaucoup moins de temps ». S’il considère le CSE comme « une source d’efficacité et de simplification », Hubert Mongon reconnaît que « la plupart des entreprises se conforment aux ordonnances Travail de 2017 ou essaient de retrouver les anciennes modalités de fonctionnement », soulignant que « les branches ont aussi un rôle à jouer pour accompagner les entreprises sur les dispositions dont elles peuvent se servir. »
La centralisation des IRP amène les élus à passer « un temps considérable à faire l’ordre du jour et à rédiger les comptes rendus », constate, de son côté, la CGT. Selon Angeline Barth, chargée de la négociation collective, « les élus doivent batailler pour que certains sujets soient évoqués » alors que « dans l’ancien dispositif, les délégués du personnel pouvaient évoquer librement n’importe quelle question ». La CFTC émet des doutes sur l’efficacité censée découler de la centralisation des IRP, soulignant que les ordres du jour du CSE « reprennent les sujets répartis auparavant entre trois instances, ce qui aboutit à des réunions très longues, qui peuvent durer deux jours pleins ». Quant à la périodicité, elle « pose un problème de suivi des questions, de réponse appropriée et de réactivité. » Le Medef regrette, pour sa part, que les entreprises soient contraintes de négocier sur le périmètre des établissements distincts même lorsque l’entreprise en est dépourvue et déplore le maintien du monopole des organisations syndicales au premier tour des élections professionnelles.
La nouvelle commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) n’est pas plus épargnée. « C’est une perte par rapport au CHSCT car elle n’est obligatoire qu’à partir de 300 salariés, au lieu de 50 pour le CHSCT, et elle n’a pas de personnalité morale, ni de budget, et ne peut pas recourir à un expert », souligne Karen Gournay, qui demande le rétablissement du CHSCT. La CGC regrette aussi l’absence d’experts. « Sans l’expertise, il devient plus difficile d’apporter une solution, souligne Gilles Lecuelle. Il faut que les CSSCT puissent avoir la possibilité de désigner des membres venant de l’extérieur comme c’était le cas avec le CHSCT. »
La disparition des délégués du personnel (DP) et leur remplacement par des représentants de proximité, au gré des accords, suscite des inquiétudes. « La perte de proximité induite par la disparition des DP fait que les problèmes quotidiens ne seront plus traités correctement, estime Philippe Portier, secrétaire national de la CFDT. La relation directe avec la hiérarchie sans médiation va soulever des problèmes et on peut se retrouver avec des conflits sociaux non encadrés du type gilets jaunes. Comment seront négociées les reprises du travail ? Les directions prennent un risque. C’est une faute de management. » Le Medef aussi émet des critiques sur ces représentants de proximité. « On constate aussi des chevauchements de responsabilité entre membres du CSE et représentants de proximité, indique Hubert Mongon. Il est observé que l’action des représentants de proximité multiplie les canaux de remontée de l’information, ce qui peut parfois conduire à des contradictions. »
Dans sa configuration actuelle, le CSE fait aussi naître des craintes sur la succession des élus. « Le suppléant ne peut pas succéder efficacement à un titulaire qui a accumulé autant d’expérience s’il ne peut pas assister aux réunions du CSE, explique Angeline Barth. Cela va peser sur le renouvellement des élus. » Cyril Chabanier, leader de la CFTC, pointe de son côté l’absence de toute reconnaissance professionnelle des mandats des élus : « Si un jeune de 25 ans devient élu du CSE et réalise trois mandats, il sera de nouveau en pleine carrière professionnelle à 37 ans. S’il sait qu’il n’aura aucune reconnaissance professionnelle de ces douze années, comment l’inciter à rejoindre un syndicat et à prendre des responsabilités ? »
Pour Philippe Portier (CFDT), le système actuel comporte trop de défauts et ne doit pas continuer tel quel. Il en appelle à une modification de la loi : « Le législateur doit intervenir pour corriger ces problèmes, qu’il s’agisse de la participation des suppléants, du rôle des représentants de proximité ou de la gestion des ordres du jour du CSE. » C’est l’un des paradoxes majeurs du nouveau dispositif : l’un des syndicats favorables à un renouveau figure désormais parmi ses détracteurs. FO, favorable à « une refonte » du système, déplore « le calcul à courte vue » des entreprises : « Le risque est de voir le dialogue social réduit à la portion congrue et de tomber dans le discrétionnaire, avec des décisions unilatérales et à la tête du client. Les entreprises veulent négliger le dialogue social alors que, là où il existe vraiment, l’absentéisme est plus faible et le climat social meilleur. »
En contrepoint, le Medef souligne la vitalité du dialogue social en 2020 : « Il n’y a jamais eu autant d’accords d’entreprise qu’en 2020, souligne Hubert Mongon. Beaucoup d’entreprises ont découvert les vertus du dialogue social et ce qu’il pouvait apporter. 2020 marque un regain du dialogue social en France qui permet d’identifier les solutions les plus pragmatiques aux problèmes qui peuvent se poser aux entreprises. »
Des diagnostics aussi différents sur cette première année pleine de fonctionnement des CSE augurent mal cependant d’un dialogue social serein, d’autant que 2021 sera « une année sociale compliquée » selon Éric Chevée, qui s’attend à voir des entreprises « disparaître ou réduire leurs effectifs ». Les douze prochains mois risquent d’être l’heure de vérité d’un dialogue social toujours orphelin d’un consensus minimal sur ses moyens et ses visées.