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Le grand entretien

« L’insertion des décrocheurs est une chance à saisir »

Le grand entretien | publié le : 24.01.2021 | Pascale Braun

Ancien militaire spécialiste de l’insertion et de la formation professionnelle des jeunes, Christian Dugast pilote depuis novembre la Promo 16.18 pour le Grand Est. L’État a confié à l’Afpa ce dispositif qui vise à remobiliser les décrocheurs scolaires mineurs.

Dans quel cadre la Promo 16.18 s’inscrit-elle ?

Il s’agit d’un dispositif du plan de relance pour la jeunesse intitulé #1jeune1solution, qui répond à l’obligation de formation des jeunes de 16 à 18 ans dès la rentrée 2020. Cette mesure, initialement inscrite dans le plan de lutte contre la pauvreté présenté en 2018, a été accélérée par le décret du 6 août 2020 car le premier confinement a augmenté d’au moins 5 % le nombre de décrocheurs scolaires. Il prévoit plusieurs dispositifs d’accompagnement dont la Promo 16.18 confiée à l’Afpa pour remobiliser ces jeunes en partenariat avec les missions locales.

Que recouvre le terme de décrocheurs ?

Il s’agit de jeunes qui ne sont ni à l’école, ni en emploi, ni en formation. Ils ont souvent largué les amarres et se trouvent en décrochage familial autant que scolaire. Certains d’entre eux ignorent tout de leurs droits et présentent des problèmes de santé ou d’addiction. Nous leur proposons un accompagnement global qui inclut l’hébergement et les repas en internat, un point sur leurs droits sociaux, une redécouverte de soi sur le plan psychique et physique et une ouverture sur le monde. En plus d’une présentation des formations et des métiers, nous leur ouvrons des horizons sur la culture, parfois en partenariat avec les offices du tourisme. Nous les rapprochons aussi de chantiers solidaires ou d’associations caritatives. La promesse du dispositif, c’est que nous ne leur dirons pas que nous ne pouvons rien pour eux.

Comment le dispositif fonctionne-t-il ?

Il se décline en trois étapes et sur quatre mois. Les jeunes sont d’abord repérés par les missions locales ou l’Éducation nationale et accueillis pendant une semaine dans un village Afpa de proximité. Ils disposent ensuite de deux semaines de réflexion avant d’intégrer un parcours qui se déroulera soit près de chez eux, soit dans une autre région. Les étapes d’initiation et de construction se déroulent sur dix semaines. Nous renforçons d’abord les compétences de base : lire, écrire et compter. Ces acquis reviennent généralement assez vite, car les compétences existent. Elles sont simplement oubliées. Ce travail de groupe change leur représentation d’eux-mêmes et des autres. Ils commencent à retrouver confiance. Ils découvrent ensuite les plateaux techniques de l’Afpa, qui reproduisent les conditions de travail en entreprise. Elles ouvrent sur 232 métiers, dont 160 dans le Grand Est. Le jeune peut aussi aller découvrir d’autres centres. Un jeune Lorrain peut ainsi suivre une initiation au métier de scaphandrier à Lorient ou d’aménageur de sous-marins à Cherbourg, en étant hébergé par le village Afpa local. La dernière étape se déroule dans le centre d’origine. Elle dure deux semaines qui sont consacrées à la préparation à la sortie.

Quel est l’objectif poursuivi ?

Nous visons un taux de réussite de 70 %, sur les 35 000 jeunes qui suivront la Promo 16.18 sur la période 2020-2021. Nous proposerons des solutions à chaque jeune : une formation, un emploi, un contrat en alternance, une inscription dans une école de la deuxième chance ou dans un établissement pour l’insertion dans l’emploi, un service civique ou encore le retour au cursus scolaire. L’accompagnement sera poursuivi durant six mois pour aider les jeunes qui n’auront pas trouvé de solution immédiate. Découvrir un métier ne suffit pas. Durant ces quatre mois, les jeunes auront aussi suivi une préparation au Code de la route, des activités physiques et sportives, des enseignements essentiels sur la couverture sociale, la santé et la citoyenneté. L’objectif est de leur faire gagner en autonomie et de se projeter dans un futur.

À quel stade les entreprises interviennent-elles ?

Elles sont sollicitées à la fin du parcours. Elles viennent témoigner sur ce qu’attend un dirigeant d’entreprise, présenter leurs besoins en recrutement ou proposer un contrat en alternance. Le dispositif 16.18 est conçu pour répondre simultanément aux besoins des jeunes, mais aussi à ceux du territoire et de l’entreprise. En dépit de la crise sanitaire, il subsiste, en effet, de gros besoins de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs : la sécurité, la santé, le BTP, les métiers liés à la transition écologique… Dans tous ces secteurs, l’insertion des décrocheurs est une chance à saisir. Les dispositifs mis en place offrent la possibilité d’intégrer des jeunes formés, guidés, désireux de s’insérer. Pour les entreprises aussi, il s’agit d’une opportunité.

Quelle différence faites-vous entre le service national volontaire que vous avez lancé en 2015 et le dispositif que vous pilotez aujourd’hui pour l’Afpa ?

La grande différence est que l’accompagnement prévu dans le dispositif 16.18 ne s’effectue pas dans le cadre militaire, qui ne correspond pas à tout le monde. Il n’y a ni uniforme, ni caserne, ni règlement militaire. Mais la ligne directrice reste la même : il s’agit toujours d’apporter de l’espoir et un futur à la jeunesse, même si c’est compliqué, et de servir l’intérêt général. L’Afpa présente l’avantage de réunir toutes les formations sur un même lieu et d’entretenir des liens étroits avec les entreprises, les acteurs socio-économiques et les partenaires de l’insertion sociale et professionnelle. La promotion 16.18 arrive au bon moment. L’Apfa est précisément en train de repositionner ses infrastructures, ses espaces et son organisation. Les « villages Afpa » ont vocation à devenir des tiers lieux dont l’utilité sociale ira au-delà de la formation : ils accueilleront des job-dating, des associations de quartier et des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Êtes-vous optimiste ?

Oui. Dans mes précédentes fonctions, j’ai vu que lorsqu’il existait des préjugés, ils s’estompaient pour laisser place à des a priori positifs : les employeurs ont vite compris que les jeunes qu’on leur envoyait savaient dire bonjour et arriver à l’heure. Ils ont décroché d’un système scolaire qui ne leur correspondait pas, mais ils peuvent faire montre de grandes capacités dans un environnement différent. Ces jeunes sont des pépites enfermées dans un coffre. C’est au formateur de trouver la clé. Dès qu’ils ont retrouvé la confiance en eux-mêmes et dans les autres, on voit les décrocheurs changer de posture. Ils ont connu la détresse, l’enfermement sur soi, la pauvreté. En très peu de temps, on voit qu’une idée germe, qu’ils commencent à reprendre espoir. Ils méritent notre respect.

Parcours

Né en 1961 dans le Maine-et-Loire, le lieutenant-colonel Christian Dugast a quitté en août 2020 la fonction de directeur du département recrutement-formation-insertion-partenariats de l’armée de Terre, dans laquelle il a effectué toute sa carrière. Formé à Saint-Cyr et titulaire d’un master d’ingénierie de la formation obtenu à Angers, il a monté à Montigny-lès-Metz la première expérience de Service militaire volontaire en 2015, puis créé un centre de formation multisite du Grand Est. Ce modèle a été pérennisé et reproduit dans plusieurs régions françaises.

Auteur

  • Pascale Braun