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Yvan William : La chronique juridique

Chroniques | publié le : 25.01.2021 | Yvan William

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Yvan William : La chronique juridique

Crédit photo Yvan William

Forfait-jours : un pas de plus vers la sécurisation

Il est des sagas judiciaires dont on se passerait volontiers. Celle frappant depuis 2011 la validité des conventions de forfait-jours en fait partie… et pour cause. Selon la dernière étude Dares disponible sur le sujet, en 2014, 47 % des cadres étaient soumis à une convention de forfait-jours.

Vingt ans après les premières dispositions légales organisant enfin le temps de travail des cadres, nous commençons à disposer d’un cadre normatif à peu près stable. On conserve encore à l’esprit l’onde de choc causé par la remise en cause du forfait-jours à la française. À l’initiative des organisations syndicales CFE-CGC et CGT sur le fondement de la charte sociale européenne et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Cour de cassation annulait les conventions de forfait-jours mises en place en application de plusieurs conventions collectives.

Pour rappel étaient en cause les conventions collectives dont les dispositions s’avéraient insuffisantes pour garantir que la charge de travail restait raisonnable et assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés au regard des normes de l’Union.

Les efforts pour introduire une organisation du temps de travail des cadres novatrice et respectueuse de l’autonomie inhérente aux fonctions d’encadrement semblaient ruinés. Il est vrai que l’absence de prise de conscience suffisante des acteurs sur les impératifs de gestion du forfait, l’absence de formation des managers, les impacts de la vitesse et de la digitalisation donnent lieu encore aujourd’hui à des pratiques « border line » menant parfois à des situations d’épuisement.

Sur le plan juridique, le travail de sécurisation mené depuis une dizaine d’années par le législateur et les juges semble néanmoins porter ses fruits. Un arrêt publié de la chambre sociale du 6/1/2021 (Cass. soc. n° 17-28.234) marquera probablement un coup d’arrêt au développement erratique des recours, parfois opportunistes, en annulation des forfaits-jours. La Cour de cassation vient en effet de juger pour la première fois que l’annulation du forfait-jours ouvrait droit à une action de l’employeur en remboursement des « JRTT » attribués en contrepartie du forfait invalidé. Action pleinement logique au regard des effets de la nullité et du principe civiliste de remboursement de l’indu (article 1376 du Code civil) que les juges avaient pourtant jusque-là refusé dans un souci de protection des salariés. Cette action obéira a priori au délai de prescription de trois ans commun aux actions en paiement des salaires.

Cette décision doit être saluée, car on rappellera que les condamnations pour nullité du forfait-jours, qui se sont multipliées depuis l’arrêt du 29/6/2011, sont déjà très rudes pour l’employeur :

La nullité de convention de forfait-jours prononcée par le juge entraîne ipso facto le retour à une comptabilisation en heures du temps de travail sur la base de 35 heures hebdomadaires.

Elle ouvre droit à un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence sur la base des éléments suffisamment précis que doit préalablement lui fournir le salarié (Cass. soc. 18/03/2020 n° 18-10.919). L’employeur doit alors produire au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié (Cass. soc. 4/2/2015 n° 13-20.891 et article L. 3171-4 du Code du travail).

Le salarié peut également revendiquer le versement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et une indemnité pour travail dissimulé de six mois de salaires si l’employeur avait conscience de l’invalidité de la clause (Cass.Soc. 5/4/2018 n° 16-22599.)

La situation devient alors picaresque puisqu’il s’agit de reconstituer a posteriori en heures l’amplitude et les journées de travail d’un salarié géré en jours. Certains managers se rappellent alors un peu tard que le régime du forfait-jours n’exclut pas toute comptabilisation de la durée du travail… bien au contraire.

À l’heure du développement des nouveaux modes d’organisation du travail que nous imposent le contexte sanitaire et l’évolution moins conjoncturelle de nos sociétés, cette question du suivi de l’amplitude et de la charge de travail des cadres au forfait est certainement toujours d’actualité.

Auteur

  • Yvan William