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Les départs pour carrière longue font de la résistance

Le point sur | publié le : 11.01.2021 | Irène Lopez

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Retraite : Les départs pour carrière longue font de la résistance

Crédit photo Irène Lopez

Selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites, le déficit du système de retraite par répartition devrait finalement s’élever à 23,5 milliards d’euros pour l’année 2020. Et l’équilibre financier n’est pas prévu avant 2070. Au chapitre des déficits, les départs anticipés pour carrière longue représentent une dépense de plus de 6 milliards d’euros. Alors que la réforme des retraites refait surface, les critiques contre ce dispositif créé en 2003 vont repartir de plus belle.

Un départ en retraite sur deux actuellement contre un sur trois en 2012. Le dispositif de départ pour carrière longue, qui permet à ceux qui ont commencé à travailler jeune de bénéficier de leur retraite à taux plein avant 62 ans, fait recette. Plus de 250 000 personnes ont cessé leur activité en 2017 en bénéficiant de ce dispositif créé, à la demande de la CFDT, lors de la réforme des retraites de 2003, à la suite d’une promesse de campagne du candidat socialiste François Hollande. Pour en bénéficier, il faut remplir deux conditions cumulatives. La première est d’avoir cotisé un certain nombre de trimestres en début d’activité (avant 16 ou 20 ans). La seconde est de totaliser un certain nombre de trimestres cotisés ou réputés cotisés, à compter de 56 ou 60 ans selon la date de début d’activité. Ces départs anticipés sont possibles à partir de 60 ans et même, pour certains, avant 60 ans.

Reste que ce dispositif coûte cher – plus de 6 milliards d’euros – à la collectivité, comme l’a rappelé le rapport 2019 de la Cour des comptes. « Faire débuter plus tôt les retraites équivaut à augmenter les dépenses de prestations de retraite » ont écrit, en forme d’évidence, les Sages de la rue Cambon. Dans un rapport plus récent (novembre 2020), Réformer les retraites en temps de crise, l’Institut Montaigne ne dit rien d’autre. « Le déficit se creuse. Avant la crise économique actuelle, la situation était déjà compliquée. Elle ne s’est pas améliorée depuis, elle est même quasiment dangereuse pour le maintien du système. La retraite représente aujourd’hui 14 % du PIB. Une réforme est nécessaire. De ce point de vue, nous sommes alignés avec l’exécutif », indique Victor Poirier, chargé d’études senior à l’institut, spécialiste des questions sociales et des finances publiques. Et dans cette dérive financière, le régime des carrières longues fait un parfait bouc émissaire.

Pour le think tank libéral, il n’existe que trois solutions pour rétablir l’équilibre du système de retraite par répartition : « Soit on augmente les cotisations sociales, soit on baisse les pensions. Ou alors on travaille plus longtemps, ce qui permettrait à l’État de verser un peu moins de retraite. Avec trois trimestres de plus par personne, nous sommes censés revenir à l’équilibre. Nous demandons un effort de neuf mois. » À tous les salariés, y compris ceux qui ont commencé à travailler jeune ? « Pas du tout, répond Henri Sterdyniak, chercheur affilié à l’OFCE. Si on veut effectivement prendre des mesures pour reculer l’âge de la retraite, il faut prévoir des mécanismes de soupape pour ceux qui sont incapables de travailler – car handicapé ou fatigué – et qui ont cotisé. Il n’y a pas de contradiction. » Pour cet économiste membre du collectif des Économistes atterrés, « outre la durée de cotisation, dans les pays scandinaves et au Royaume-Uni, les décideurs tiennent compte de l’état de santé du travailleur et du marché du travail. Quand une personne âgée est au chômage depuis deux ans et ne peut plus travailler – sur critères médico-sociaux –, elle bénéficie de la retraite à taux plein. C’est comme cela que l’on se débarrasse des bûcherons âgés en Suède et des ouvriers en Angleterre. »

Une pénibilité jugée a posteriori

En France, le dispositif de départ pour carrière longue bénéficie-t-il à ceux qui ont exercé des métiers pénibles ? « Ce n’est pas mécanique. Il n’y a pas de lien », répond Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Selon lui, le dispositif de carrière longue est un principe de pacte de justice et, par conséquent, un bon dispositif. « Mais la pénibilité est insuffisamment prise en compte. Les données par âge montrent bien que les cadres passent plus de temps à la retraite que les ouvriers, rappelle-t-il. La réforme des retraites initiée par le gouvernement en novembre 2019 prévoyait d’expurger quatre types d’exposition – postures pénibles, manutentions, vibrations mécaniques, agents chimiques dangereux – du dispositif. Elles ne seraient déclarées qu’a posteriori. Exit la prévention et les points qui donnaient droit à une formation ou à un temps partiel, c’est la “réparation” qui était retenue. » Les salariés devaient déclarer une maladie professionnelle et un taux d’incapacité permanente de plus de 10 % pour pouvoir prétendre à bénéficier d’une retraite anticipée.

L’inactivité des seniors, variable d’ajustement

« La solution au coût du dispositif de carrière longue serait de garder les seniors dans l’emploi. Mais, en France, nous sommes très mauvais là-dessus, déclare Benoît Serre, vice-président national délégué de l’ANDRH. Bien qu’il ait récemment augmenté, le taux d’activité des seniors en France demeure aujourd’hui l’un des plus bas au sein des pays développés. » En 2007, il était de 19,4 % pour les 60-64 ans (contre 37,8 %) et 7,3 % pour les plus de 65 ans (contre 17,2 %) selon la Dares. « Il ne faut pas se leurrer, poursuit Benoît Serre. En France, l’inactivité des seniors est une variable d’ajustement. Dès que la crise pointe son nez, les comptes d’exploitation ne sont pas bons et on licencie les seniors, population coûteuse pour une entreprise et potentiellement moins adaptée aux évolutions technologiques quand elle n’est pas formée. »

La formation est une des solutions qu’entrevoit Benoît Serre. « Le rapport Bellon-Mériaux-Soussan sur l’emploi des seniors en janvier 2020, dans le cadre des concertations liées à la réforme des retraites, mettait l’accent sur la formation pour lutter contre l’obsolescence des compétences mais il n’a pas été suivi d’effets. » L’autre mot clé est l’anticipation. « Le fait de créer de la prévisibilité est apaisant, sécurisant et serein pour tous. Si on ne sait pas quand on part, les relations peuvent vite se tendre. Le senior peut être stigmatisé car il devient davantage senior que salarié. Dans ce domaine, le groupe L’Oréal est exemplaire. Chaque année, les salariés sont informés de leur situation, de leurs droits à partir à la retraite et des conditions dans lesquelles ils peuvent partir. Orange, aussi, fait très bien les choses. »

Un nouveau plan senior

Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, ont mandaté l’ANDRH pour réfléchir à un index ad hoc qui refléterait les politiques RH des entreprises à l’égard des salariés les plus âgés. « Aujourd’hui, le projet de la réforme des retraites prône de reculer l’âge de la retraite à 64 ans alors que nous ne sommes pas capables de garder dans l’emploi les plus de 55 ans ! De quoi devenir schizophrène », conclut Benoît Serre.

Auteur

  • Irène Lopez