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Entretien avec Florence Legros : La France a une mauvaise approche de la pénibilité

Le point sur | publié le : 11.01.2021 | Irène Lopez.

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Entretien avec Florence Legros : La France a une mauvaise approche de la pénibilité

Crédit photo Irène Lopez.

Cette économiste spécialiste des retraites et directrice générale de l’ICN Business School critique le dispositif de carrière longue en déconstruisant certaines idées reçues.

Quel est le principal problème de notre système de retraite ?

Le système de retraite français repose sur un double curseur : l’âge et la durée de la cotisation. De façon simplifiée, la durée d’activité est le critère prôné par la gauche et celui de l’âge par la droite. Pour des raisons politiques, nous n’avons jamais renoncé aux deux. Prenons l’exemple d’une personne qui commence à cotiser à l’âge de 25 ans. Elle devra le faire pendant 42 ans. Il me paraît évident qu’elle ne pourra pas partir avant l’âge de 67 ans.

Le problème est que la durée d’activité n’est pas redondante avec l’âge pour ceux qui ont commencé tôt. Prenons maintenant l’exemple d’une personne qui a commencé à travailler à l’âge de 16 ans. À 62 ans, elle aura cotisé 46 ans ! D’où le dispositif de carrière longue, défendu par la CFDT. Si on a commencé tôt, on part à la retraite jeune. C’est de la justice sociale.

Bâtir le système de retraite sur la justice sociale est-il satisfaisant ?

Non, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cela ne tient pas compte de la volonté des gens. Il y a des salariés qui souhaitent continuer à travailler. On part du postulat que le travail est ennuyeux. Ce n’est pas vrai pour tout le monde. Même si je reconnais que la souffrance au travail en France est incommensurable. Ensuite, les salariés qui ont cotisé 42 ans ont le droit de partir à 60 ans. Mais ce qu’on ne leur dit pas, c’est que s’ils avaient continué à travailler jusqu’à 62 ans, ils auraient cotisé deux ans de plus au régime complémentaire et, par conséquent, touché une meilleure pension. Il faudrait une information plus carrée là-dessus. Enfin, par justice sociale, on dit que si certains ont commencé à travailler tôt, c’est parce qu’ils étaient ouvriers, exerçaient donc des métiers pénibles et ont ainsi une espérance de vie moins grande que ceux qui ont commencé à travailler tard. Ils doivent alors partir plus tôt à la retraite pour profiter autant que ceux qui partent tard. L’hypothèse forte qui sous-tend ce raisonnement est qu’un ouvrier reste un ouvrier tout au long de sa carrière. Ce qui est faux. Sur les générations passées, les ouvriers ont eu des développements de carrière. Ces personnes-là vont avoir une espérance de vie plus longue. Parmi eux, certains aimeraient travailler plus longtemps.

Le dispositif de carrière longue est-il une manière de résoudre le problème de l’emploi des seniors ?

Je déteste ce discours qui prône un départ en retraite plus tôt pour éviter au senior d’être au chômage. Le rempart au chômage n’est pas le placard ! Je crois beaucoup à la formation tout au long de sa vie. Monsieur X a 65 ans. Il ne sait pas encore se servir d’un ordinateur. Mais ce n’est pas parce qu’il a 65 ans qu’il ne sait pas se servir d’un ordinateur. C’est parce qu’il a terminé ses études il y a 45 ans.

Faut-il prendre en compte les travaux pénibles pour le calcul des droits à la retraite ?

En France, nous avons une mauvaise approche de la pénibilité car elle est curative. On laisse partir à la retraite un déménageur qui a le dos bousillé. Il va s’appauvrir, peut-être même devenir dépressif. Je suis favorable à ce mettent en place les Allemands : une approche préventive. On ne le laisse pas porter des cartons pendant dix ans. On le change de poste et on le forme pour qu’il puisse exercer à un autre poste, voire changer de métier. Il faut requalifier les salariés avant qu’ils ne soient plus capables de travailler. En France, nous avons le compte pénibilité. Mais on ne donne pas aux salariés les moyens de s’en sortir. Nous ne les aidons pas à travailler plus tard. Je propose de doubler le compte pénibilité d’une cotisation pour les entreprises sur les travaux pénibles. Une sorte de contribution Delalande sur les travaux pénibles. On peut voir cela comme une sanction ou une police d’assurance. Elle serait versée à l’État puisque c’est lui qui va prendre en charge les salariés licenciés ou mis en préretraite.

La réforme des retraites va-t-elle voir le jour ?

Le débat sur les retraites va reprendre sa place d’ici quelques mois. Aura-t-on appris de la crise ? Le débat sur l’épargne retraite va également revenir. Ce qui est sûr, c’est que l’on a une remontée en flèche du pouvoir d’achat des retraités par rapport aux actifs. Les fonctionnaires sont les grands gagnants de la crise car ils n’ont pas subi de perte de salaire. Il va sûrement y avoir une réflexion sur la base d’observations des différentes catégories pendant la crise. Il y aura forcément des approches catégorielles. Le régime universel a du plomb dans l’aile.

Auteur

  • Irène Lopez.