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Le grand entretien

« Nous avons un double enjeu d’attractivité et de compétences »

Le grand entretien | publié le : 11.01.2021 | Muriel Jaoüen

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« Nous avons un double enjeu d’attractivité et de compétences »

Crédit photo Muriel Jaoüen

Automatisation progressive des métiers, départs à la retraite de ses agents, transition numérique, préservation du collectif de travail, recours à la contractualisation… À chaque enjeu, les RH du conseil régional d’Ile-de-France tentent d’apporter une réponse sur mesure.

Comment se caractérise la politique RH de la région Ile-de-France ?

Quand je suis arrivée à la direction des ressources humaines du conseil régional en 2016, j’ai constaté à quel point les milliers d’agents de catégorie C – sur 10 300 agents, 1 800 sont cadres, pour l’essentiel dans la catégorie A, et 8 500 sont agents d’entretien et de restauration dans les 465 lycées du territoire – qui avaient changé brutalement de tutelle, du fait des transferts territoriaux de compétences dans le champ de l’enseignement, n’avaient bénéficié d’aucune stratégie réelle d’intégration. Ils se sentaient transparents, les élèves et les enseignants ne les voyaient pas, les proviseurs ne les connaissaient pas. Quant à la relation employeur-employés, elle était strictement administrative. De quoi décourager des agents aux conditions de travail souvent difficiles, contraints à d’importants ports de charge, des tâches répétitives, une surexposition aux troubles musculo-squelettiques… Conséquence logique de cette situation : de nombreuses restrictions médicales, un fort taux d’absentéisme, la spirale du mécontentement qui montait dans les directions d’établissement. J’ai donc lancé d’emblée une série d’actions pour revoir toute l’approche RH et managériale.

Quelles actions, par exemple ?

J’ai demandé aux proviseurs, le jour de la rentrée, de présenter chaque agent d’entretien aux personnels administratif et enseignant. Nous avons procuré à tous les agents un uniforme – en les associant au choix de la couleur – estampillé d’un logo aux armes de la région Ile-de-France. Nous avons investi dans la mécanisation des équipements et dans des chariots de ménage. Chaque agent de nettoyage a pu s’inscrire à une journée de formation aux gestes et postures, avec l’assurance d’un suivi tous les trois mois. Nous avons également mis sur pied un réseau RH très opérationnel. Le maillage de l’encadrement de proximité a été renforcé, à raison d’un chef d’équipe pour dix personnes. Les managers ne sont plus nommés mécaniquement à l’ancienneté, mais sur des critères de compétence. Ce réseau constitue la courroie de transmission de la politique RH de la région sur le terrain.

Quels sont vos enjeux RH ?

Dans les cinq ans, 30 % des effectifs partiront à la retraite. Ce qui nous place face à un double enjeu d’attractivité et de compétences. La moyenne d’âge de nos agents est de 50 ans. Elle commence à baisser, très légèrement, sans doute sous l’effet de la campagne menée pour faire connaître les métiers auprès des jeunes. La région a mis en place un parcours jeunes, un peu à l’image de ce que peut proposer McDo : « Venez comme vous êtes, on vous forme, vous pourrez ensuite continuer chez nous, ou repartir avec une expérience et une qualification. »

Certains métiers vont-ils disparaître ?

Nous savons pertinemment que les métiers du nettoyage sont concernés par l’automatisation progressive de certaines prestations techniques et que des métiers, à terme, vont disparaître, a minima se transformer. Dans cinq, six ou sept ans, le métier d’entretien consistera à actionner des robots. Il faut que les agents y soient préparés. Il est donc impérieux de développer les compétences et d’anticiper les reconversions. Cela passe entre autres par l’appropriation des outils et usages numériques. Plus fondamentalement, il s’agit d’accompagner les agents dans la transition numérique.

Comment ?

À la fin de cette année, les 8 500 agents des lycées seront dotés d’une tablette numérique. L’application Ma région et moi, conçue et développée par nos services, permet à chacun d’entre eux de renseigner son profil, contacter son référent RH, obtenir un rendez-vous dans les 24 heures, formuler des demandes de prestations sociales. C’est aussi un outil d’organisation du travail. À sa prise de poste, l’agent est informé du programme de sa journée et peut signaler à tout moment une difficulté ou une impossibilité d’intervention : si une salle de cours est inaccessible ou occupée, il lui suffit de l’indiquer et l’info remonte au chef d’équipe ainsi qu’au gestionnaire du lycée. Avant d’être implémentée sur les tablettes, l’application a été testée auprès des agents eux-mêmes. L’idée était de proposer des fonctionnalités accessibles, compréhensibles, faciles d’utilisation.

Le numérique peut-il tout faire ?

Il peut aider à répondre à des enjeux sociétaux. Je considère qu’il est de notre responsabilité sociétale de ne pas laisser partir les agents en retraite sans les avoir équipés, formés, sensibilisés à des outils et des usages numériques de plus en plus incontournables dans la vie des ménages. Les tablettes sont donc utilisables chez soi à des fins de culture, de loisirs ou de consommation. Nous avions préalablement mené une enquête sur le niveau d’équipement et les usages numériques de nos salariés. Il était apparu que tous ou presque possédaient déjà un smartphone et que, pour des raisons de confort d’appropriation, la tablette était largement plébiscitée devant l’ordinateur.

Où en êtes-vous sur le télétravail ?

Dès 2018, nous avons introduit le télétravail, à raison de deux jours au maximum par semaine. La région a en outre entamé très tôt un processus de dématérialisation. Tout le siège fonctionne aujourd’hui en zéro papier. Cela nous a permis de passer la grande grève de décembre 2019 en mettant de manière très fluide le personnel en télétravail total ou partiel. Idem lors de la période de confinement. Aujourd’hui, la demande de nos agents pour un télétravail renforcé est très forte et c’est plutôt moi qui freine. Avant de prendre de nouvelles options d’organisation, je veux que l’on revienne d’abord à un début de normalité et de maîtrise de la situation sanitaire et psychologique. L’angoisse de la pandémie est toujours là.

Le confinement a tout de même fait des dégâts. Certains de nos agents ont disparu des radars. J’ai dû procéder à des radiations, ce qui, pour moi, n’est pas acceptable. Nous sommes un collectif de travail et le collectif n’est pas réservé aux plus forts. Il est pour tous, y compris pour les plus fragiles. Mais un collectif ne peut pas non plus fonctionner pleinement si certains expriment le désir d’être tout le temps en télétravail. Il nous faut donc réinterroger notre culture et nos partis-pris managériaux, adopter les bons messages, les bonnes approches et les bons outils pour pouvoir repérer et prendre en charge rapidement les situations de fragilité chez nos agents et pour donner à chacun des raisons de se sentir lié à tous.

Côté emploi, allez-vous maintenir le niveau de vos effectifs ?

La tendance est à une légère réduction des effectifs. On va de plus en plus demander aux administrés de réaliser certaines tâches, tout comme les entreprises du privé le demandent à leurs clients. Pour les fonctionnaires, cette évolution va se traduire par une concentration sur des tâches et des missions plus intéressantes et plus gratifiantes, au service des bénéficiaires.

Recrutez-vous de plus en plus de contractuels ?

Il y a cinq ans, les contractuels représentaient 1 % des effectifs de la région, aujourd’hui 15 %. En facilitant le recours à la contractualisation, la loi a permis de mettre de l’huile dans les rouages statutaires, de répondre à un besoin accru d’intégrer de nouvelles compétences, notamment dans le champ des SI, d’apporter de l’air frais. Mais elle a aussi introduit du flou. Le système des quotas de fonctionnaires perdure, mais en même temps, si vous recrutez sur contrat de projet, pas besoin de créer de poste, pas de limite non plus sur les rémunérations. On délivre ici aux fonctionnaires un message assez négatif quant à leurs propres évolutions de carrière. Ce n’est pas encore source de conflits. Mais cela génère d’ores et déjà de nouveaux comportements. Aujourd’hui, de plus en plus de fonctionnaires cherchent à négocier leur prime. Demain, certains, sans doute légitimement, se demanderont quel intérêt ils ont à rester dans la fonction publique. Si l’on ne veut pas trahir la promesse faite aux agents d’un emploi de qualité, où ils peuvent se réaliser pleinement dans une mission de service public, il va falloir rapidement clarifier les choses.

Parcours

Née en 1966, juriste de formation, Fabienne Chol a commencé sa vie professionnelle dans le secteur privé, comme productrice éditoriale free-lance, puis directrice export pour les Lampes Berger. En 2003, elle entame un parcours politique, d’abord au sein de la direction des études de l’UMP, puis comme chef adjointe et chef de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, qu’elle suit en 2011 au ministère du Budget, des Comptes publics et de la Réforme de l’État. En 2012, elle est nommée directrice générale de l’Institut national de la consommation (INC) et directrice de la publication du mensuel 60 millions de consommateurs. Depuis janvier 2016, elle est directrice générale adjointe du Conseil régional d’Ile-de-France, en charge des ressources humaines.

Auteur

  • Muriel Jaoüen