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Management : L’entretien annuel d’évaluation est à réinventer

Le point sur | publié le : 21.12.2020 | Lys Zohin

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Management : L’entretien annuel d’évaluation est à réinventer

Crédit photo Lys Zohin

Si l’entretien professionnel, visant à recenser les besoins de formation d’un salarié, est obligatoire, l’entretien d’évaluation ne l’est pas, à moins d’avoir fait l’objet d’un accord d’entreprise. Cette année, compte tenu de la crise sanitaire, il revêt une importance particulière. Reste aux employeurs à bien le gérer.

Tout a changé cette année : la façon de travailler, qui fait la part belle au télétravail, les modes de management, désormais à distance, la charge de travail, parfois accrue ou au contraire restreinte, du fait du chômage partiel. Tout a changé, sauf un rendez-vous : l’entretien annuel d’évaluation. Certes, il n’est pas obligatoire, contrairement à l’entretien professionnel, qui vise, tous les deux ans, à recenser les besoins en formation des salariés, en vue de leur évolution, de même qu’un entretien récapitulatif du parcours professionnel du salarié doit, lui, se tenir tous les six ans. Facultatif, à moins d’avoir fait l’objet d’un accord d’entreprise, l’entretien annuel d’évaluation est largement pratiqué. Ou en tout cas, il l’était. De fait, certaines organisations n’y croient plus. « La notion d’entreprenariat salarié chemine dans les entreprises et fait que ce rendez-vous peut être considéré comme un rituel infantilisant », observe le sociologue Ronan Chastellier.

De plus en plus prégnante, la notion de « delivery » peut brouiller les cartes, cette année plus qu’avant… « L’entretien annuel n’est pas la baguette magique, assure Christine Martin, avocate spécialiste en droit du travail au cabinet Vivaldi, à Lille. Mais il pourra permettre de faire le point sur la charge et la durée du travail, en particulier lors des périodes de télétravail dues au confinement. » Un enjeu essentiel, selon elle. Toujours est-il que certaines entreprises, comme le groupe Mazars (voir page 13), lui préfèrent désormais un système de feedback continu, plus adapté, en particulier, à la demande des jeunes recrues, pour qui l’immédiateté est une évidence. D’autres ont adopté un système hybride – feedback continu et entretien d’évaluation – ce dernier, trimestriel ou annuel, étant facilité, précisément, par les données récoltées lors du feedback. C’est ainsi le cas de BNP Paribas Personal Finance et d’ADP, spécialiste de services RH et de gestion de paie (voir page 12).

Une fréquence à revoir

« Le feedback régulier est important, ne serait-ce que pour éviter un effet tunnel si l’entretien d’évaluation n’a lieu qu’une fois par an, mais prendre du temps et de la hauteur lors d’un rendez-vous annuel l’est aussi », insiste Laurent Termignon, directeur de l’activité Talent et Rewards de Willis Towers Watson. Quant à Pascal Grémiaux, président et fondateur d’Eurécia, une société spécialisée dans les RH, il pratique les entretiens annuels d’évaluation – en cours en ce moment, d’ailleurs – mais réfléchit, « compte tenu du rythme de plus en plus accéléré du business », à proposer des rendez-vous plus fréquents pour ses collaborateurs comme sur les outils de gestion RH qu’Eurécia met à disposition de ses clients. De même, il envisage d’inclure des informations de la part des collègues, des subordonnés, voire des clients, dans les entretiens d’évaluation. « Pour compenser les biais », dit-il.

Quelle que soit sa formule, l’entretien d’évaluation revêt une importance particulière cette année. D’abord parce que salariés et managers ne se sont pas forcément vus pendant des mois. Ensuite, parce que les objectifs fixés en début d’année peuvent avoir largement évolué, du fait de la pandémie. Et enfin, parce que les salariés ne peuvent qu’avoir des attentes supérieures aux années précédentes. Ne se sont-ils pas adaptés à la crise, sur site ou en télétravail ? N’ont-ils pas souffert d’isolement, d’une surcharge de travail, d’une inégalité entre télétravailleurs et collaborateurs sur site ? Ils ont joué le jeu. – et demandent à être reconnus. Mais comment les employeurs vont-ils faire, a fortiori dans la conjoncture actuelle, pour offrir bonus, primes ou augmentations de salaire ? En fait, il faut « décorréler entretien d’évaluation annuel et négociation sur la rémunération, estime Pascal Grémiaux, sinon les questions d’argent prennent toute la place ».

Un avis partagé par Axelle de Lombares, responsable du développement des carrières chez BNP Paribas Personal Finance. « Cela peut fausser l’échange, d’autant que si la notation, dans le cadre de l’évaluation, est totalement à la main du manager, la décision d’une augmentation est quant à elle soumise à la contrainte d’une enveloppe d’entreprise », dit-elle. Après tout, l’entretien d’évaluation doit être avant tout un échange. Mais l’est-il vraiment ? Selon une étude menée par Welcome to the Jungle (entre le 27 octobre et le 9 novembre 2020), 31 % des salariés estiment qu’ils n’arrivent pas à s’exprimer librement pendant leur entretien annuel et 70 % pensent que ces temps d’échange ne sont pas suffisamment suivis d’actions concrètes… Comment ne pas les décevoir cette année ? Car il n’est pas question, ni pour les salariés, ni pour les employeurs, de rater ce rendez-vous. Il y va de l’engagement des collaborateurs, gage de réussite de l’entreprise en sortie de crise.

Un besoin de reconnaissance

« L’écoute est essentielle, c’est un levier d’engagement et de cohésion », souligne le sociologue Ronan Chastellier. « Le besoin de reconnaissance est légitime, confirme Laurent Termignon, et pour faire en sorte que les collaborateurs sortent ragaillardis de leur entretien, dans le contexte actuel, particulièrement compliqué, les entreprises auront eu intérêt à anticiper. » Dès le début de la pandémie, certaines ont revu à la baisse les objectifs des commerciaux, par exemple. Et, au-delà de l’écoute durant l’entretien, toutes devront évidemment avoir communiqué en amont sur les protections offertes aux salariés. Enfin, toutes auront dû être claires, là aussi en amont, de préférence, sur leur situation financière, « et elles devront faire passer le message qu’elles regrettent de ne pas pouvoir faire plus, surtout en matière de rémunération, qui devra cependant être différenciée, en fonction des situations, certains collaborateurs ayant souffert plus que d’autres », précise Laurent Termignon. Que la rémunération fasse partie de l’exercice ou qu’elle en soit séparée…

« Remercier le collaborateur pour son travail est primordial », insiste Pascal Grémiaux. Facile à faire ? Pas étonnant que certaines entreprises préparent les managers aux entretiens d’évaluation, au même titre qu’elles les forment au feedback constructif… En fait, « plus que l’entretien annuel, qui est à réinventer, ce sont les modes de travail dans leur ensemble qui doivent l’être », conclut l’avocate Christine Martin.

Auteur

  • Lys Zohin