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« Il faut réfléchir aux liens entre les outils de mesure »

Le point sur | publié le : 14.12.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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« Il faut réfléchir aux liens entre les outils de mesure »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Ancien DRH de grandes entreprises et enseignant, Patrick Storhaye juge centrale la relation entre les indicateurs de performance RH et le ROI, qui exige cependant bien plus que la création et le suivi d’outils de mesure.

Quels liens existent entre les indicateurs RH et le retour sur investissement ?

Cette question des liens entre KPI (indicateur clé de performance) et ROI (retour sur investissement ou rendement) est un serpent de mer depuis au moins les années 1960 et les premiers travaux sur le capital humain. Avec des indicateurs, on touche uniquement la partie émergée de l’iceberg. Il est possible d’avoir des indicateurs sur la QVT, avec le taux d’absentéisme par exemple. Mais comment mesurer les facteurs profonds de souffrance au travail que sont la destruction de sens, l’allégeance aux actionnaires qui crée une pression terrible sur les salariés, elle-même génératrice d’injonctions contradictoires qui détruisent l’autonomie professionnelle ? Quand la mesure devient trop complexe, il faut engager en parallèle un raisonnement sur la performance. C’est cela le bon sujet. Même sur les sujets complexes, les indicateurs peuvent permettre une approche mais il faut garder à l’esprit que le thermomètre ne peut pas dire la nature de la maladie. Si on comprend que la mesure est là pour inviter à réfléchir en vue d’une amélioration, alors on est sur la bonne voie. Cette réflexion doit être articulée avec une réelle connaissance du terrain et des enjeux business. Elle sera d’autant plus aboutie qu’elle portera sur les liens entre les indicateurs, c’est-à-dire sur la nature de la performance. Ce choix dépend des personnes en présence, aussi bien les DRH que la direction générale. Cela dépend d’eux de considérer que les indicateurs ne sont que l’un des aspects de la démarche pour éviter de s’engager dans une pure logique de conformité.

Quelles sont les erreurs à éviter ?

Il faut éviter au moins sept erreurs. D’abord trop mesurer, ce qui fera négliger le reste du travail à réaliser. Il faut aussi éviter de construire une usine à gaz avec trop d’objectifs, qui risque de perdre tout le monde. Les indicateurs doivent aussi éviter d’être trop autocentrés sur la RH, il faut qu’ils soient en lien avec les objectifs de l’entreprise, par exemple déterminer si les bonnes compétences sont disponibles au bon endroit. Il y a aussi l’absence de réalisme et de reproductibilité qui éloigne du réel et donc des acteurs de terrain. Il faut éviter également l’effet de halo, c’est-à-dire les indicateurs qui sont trop centrés sur le point de vue d’une partie prenante ou sur un seul axe d’analyse. Cela va donner une vision déformée de la réalité, souvent liée à un biais culturel ou à des intérêts personnels. Il ne faut pas non plus confondre prix et valeur : un indicateur ne doit pas devenir une vérité, il faut aussi tenir compte de ce qui ne se mesure pas.

Comment mettre en place des KPI cohérents ?

Il faut d’abord s’interroger sur ce que l’on cherche à comprendre et pas seulement identifier un indicateur pour mesurer un résultat. Il faut aussi impliquer toutes les parties prenantes pour éviter de risquer une déconnexion du réel. Un débat contradictoire est tout aussi nécessaire. Il permettra d’éviter les biais de représentation – tous les acteurs en ont – et de voir en quoi ils ne correspondent pas au réel. Débattre permet de challenger les positions et d’enrichir les points de vue afin de dégager un consensus conscient et pas un consensus imposé par une partie prenante. Il faut aussi faire challenger les indicateurs par le terrain, voir s’ils ont du sens pour ceux qui sont à pied d’œuvre. Sans oublier un aller-retour permanent entre ce qu’on aimerait faire et ce dont on dispose. De temps en temps, il faut savoir sacrifier une partie du purisme de l’objectif à atteindre. Si, avec les indicateurs disponibles, 80 % du problème est couvert, il n’est pas forcément utile d’aller plus loin. En parallèle, il faut toujours estimer la faisabilité et le coût des dispositifs.

Comment expliquez-vous l’absence de doctrine sur ce sujet ?

Qu’aucune doctrine n’ait encore émergé sur ces questions ne m’étonne pas. Les RH ne sont pas une fonction homogène d’une entreprise à l’autre. Les RH doivent coller aux enjeux spécifiques de chaque organisation. Du coup, une position uniformisante est plus difficile à faire émerger. Que les associations professionnelles de DRH ne se lancent pas dans une telle démarche est aussi peut-être une preuve de sagesse et de maturité, en ce sens qu’elle montre que la performance ne peut pas se réduire à une série d’indicateurs.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins