logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« Les DRH ont su construire des dispositifs adéquats en mode agile »

Le grand entretien | publié le : 14.12.2020 | Frédéric Brillet

Image

« Les DRH ont su construire des dispositifs adéquats en mode agile »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans Les RH à l’ère du Covid, les deux universitaires Michel Barabel et Olivier Meier expliquent comment la fonction RH s’adapte à la crise, à partir des témoignages et des bonnes pratiques de quarante DRH appartenant à différents types d’entreprises qui éclairent sur les évolutions d’une fonction revalorisée en ces temps difficiles.

Vous constatez que la covid-19 a changé la manière dont les dirigeants perçoivent la fonction RH…

Michel Barabel : Avant la crise, l’image de la fonction RH n’était pas très bonne. Les dirigeants considéraient qu’elle créait trop peu de valeur pour l’organisation pour de multiples raisons : lourdeur bureaucratique des processus, focalisation sur la gestion administrative et le droit du travail, difficulté à accompagner la transformation digitale, faible capacité d’innovation, manque de vision et de posture stratégique… La crise de la covid-19 change la donne en rendant les questions sociales prioritaires. Les DRH ont intégré les cellules de crise et se sont imposés comme des acteurs pivots. Ils sont à la manœuvre sur tous les fronts : télétravail, activité partielle, autorisations de déplacement, formation aux outils de travail à distance… Les dirigeants ont ainsi « découvert » le professionnalisme des DRH, leur réactivité et la complexité technique des sujets qu’ils traitent. Ils ont également pu constater que la fonction RH pouvait être agile, innovante et au fait des aspects techniques comme le déploiement d’outils digitaux. Les salariés perçoivent mieux le rôle des RH : les baromètres sociaux internes témoignent d’une forte satisfaction des salariés (de 7 à 9 sur 10) sur la façon dont la fonction RH gère la situation.

Cette amélioration de l’image se constate-t-elle aussi à l’étranger ?

Olivier Meier : Les situations vécues par les salariés et les entreprises ont été extrêmement différentes selon les pays pour des raisons liées à l’ampleur de la pandémie et aux types de mesures prises localement pour l’endiguer. Cela dit, nos échanges avec les DRH montrent que cette crise a finalement donné la primauté aux plans d’actions à l’échelle des pays, voire des régions. Ce sont les filiales qui ont été à la manœuvre en matière d’adaptation et d’accompagnement. Outre la décentralisation, la covid-19 a favorisé le rapprochement entre les DRH des différents pays dans une logique d’entraide et de retour d’expériences. Par ailleurs, la question sociale s’est imposée partout comme l’enjeu prioritaire, devant les enjeux business.

Cette revalorisation de la fonction RH se constate-t-elle plus dans certains secteurs ?

M. B. : Les secteurs produisant des biens de première nécessité ont dû organiser le travail en présentiel de certains de leurs salariés et le travail à distance pour la majorité des autres. A contrario, d’autres comme l’événementiel se sont retrouvés à l’arrêt. Les DRH n’ont donc pas eu les mêmes circonstances à gérer et le regard des autres parties prenantes sur leur action s’en ressent. Néanmoins, ce qui prime, c’est la posture : les équipes RH qui ont lancé le plus d’initiatives, qui ont été visibles, ont marqué des points auprès des collaborateurs et des dirigeants. On pourrait dire dans une certaine mesure que cette crise est de nature darwinienne. Bien souvent, les entreprises qui disposaient de bonnes relations sociales ou avaient fortement engagé leurs transformations digitale et culturelle s’en sortent mieux.

La crise sanitaire a-t-elle forcé les DRH à réfléchir à l’évolution de leur rôle ?

M. B. : Tous les DRH interrogés ont insisté sur l’impact structurel que la crise aura sur les aspirations de leurs collaborateurs. Les problématiques autour de la santé et de la sécurité s’imposeront durablement. Les préoccupations environnementales et de RSE deviennent centrales pour les collaborateurs et les organisations devront se doter d’une raison d’être mais également démontrer qu’elles ont un impact positif sur leurs parties prenantes et les territoires où elles sont implantées. L’absence de congruence ou d’exemplarité se paiera cash. Bien entendu, les entreprises vont aussi inventer de nouvelles façons de travailler. La plupart misent sur l’hybridation du présentiel et du distanciel, la flexibilité organisationnelle et la réinvention des espaces de travail.

Quelle initiative dans le domaine de la protection de la santé des salariés vous a paru pertinente ?

O. M. : Suez a su créer en urgence des dispositifs de formation, un guide de télétravail et une charte de 10 règles sanitaires. La DRH de Suez s’est efforcée durant la période d’accompagner les salariés dans la gestion de leurs activités : lignes de soutien psychologique, suivi personnalisé, webinaires thématiques en lien avec la gestion des émotions et la qualité de vie au travail, mentorat, coaching dédié. L’entreprise a enfin engagé un important travail de communication interne et managériale, en mettant au centre des dispositifs la bienveillance managériale et la sensibilisation aux gestes barrières.

Et dans le domaine de la réorganisation du travail ?

O. M. : Plutôt que de recourir à l’activité partielle, Sony Music a maintenu intégralement les rémunérations de tous les collaborateurs qui ont basculé en 24 heures en télétravail alors que l’entreprise partait de loin – pas d’accord de télétravail, management plutôt réservé, métiers fondés sur de fortes relations humaines… Non seulement le déploiement du télétravail s’est bien passé mais l’entreprise est en train de signer avec les partenaires sociaux un accord qui comprend des mesures très ambitieuses avec la possibilité donnée aux collaborateurs de travailler à distance 50 % de leur temps de travail sur la base d’une jauge mensuelle. L’approche est intéressante car l’entreprise n’a pas fait l’erreur de proposer une organisation rigide de type deux ou trois jours par semaine. Ainsi, les collaborateurs pourront librement organiser leur temps de travail en fonction des impératifs de leurs missions. Bien entendu, le télétravail se pratiquera sur la base du volontariat avec l’accord de la hiérarchie mais l’entreprise mise sur 50 % du corps social qui le pratiquera selon ces modalités en janvier 2021.

Dans la formation à distance, quelles bonnes pratiques méritent d’être saluées ?

M. B. : L’Oréal a obtenu l’accord de la direction pour lancer mi-mars un programme mondial appelé « Learning never stop ! » Il s’agissait d’adresser un message fort aux collaborateurs : l’apprentissage est dans l’ADN de L’Oréal et, en cette période exceptionnelle, assurer sa continuité est clé. L’entreprise a déployé de nombreux dispositifs autour de thématiques telles que le bien-être et la santé, le travail à distance, le management à distance ou le rebond. Mais cette crise pousse l’entreprise à donner le pouvoir aux collaborateurs de choisir leur stratégie de développement des compétences. Ils disposeront à l’avenir de 100 heures par an et ce sera à eux de se mettre en posture réflexive et de construire et de proposer leur plan de développement.

Dans votre ouvrage, vous mettez aussi en exergue des actions de team building…

O. M. : Les équipes RH d’AB Tasty ont voulu diffuser des messages positifs pour contrebalancer le climat morose lié à la pandémie. Pour cela, elles ont produit de petites histoires centrées sur la vie quotidienne d’un collaborateur confiné. Il s’agissait de donner des conseils pratiques pour faire face à différentes situations : s’habiller le matin pour avoir le sentiment d’être au travail, adopter un rythme régulier de travail avec des horaires fixes… Elles ont privilégié la personnalisation du message et un ton léger pour aborder tous ces sujets. Enfin, elles ont aussi organisé des jeux aux heures des apéritifs virtuels.

Parcours

• Michel Barabel est maître de conférences à l’université Paris-Est où il dirige le master 2 GRH dans les multinationales (IAE Gustave Eiffel). Il est également professeur affilié à Sciences Po Executive Education où il assure la direction scientifique de l’Executive Master RH. Directeur des éditions du Lab RH, il est rédacteur en chef adjoint du Mag RH.

• Olivier Meier est professeur des universités et directeur de recherche au Lipha Paris Est. Il est également directeur de l’observatoire Asap (Action sociétale et action publique) en lien avec la chaîne Innovation publique ENA-ENSCI-Sciences Po. Directeur de collections aux éditions Management et Société, il est par ailleurs rédacteur en chef de la revue Management et Stratégie.

Auteur

  • Frédéric Brillet