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Le fait de la semaine

Crise sanitaire : Le débat sur le travail dominical est relancé

Le fait de la semaine | publié le : 14.12.2020 | Lucie Tanneau

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Crise sanitaire : Le débat sur le travail dominical est relancé

Crédit photo Lucie Tanneau

Pour compenser le manque à gagner des mois confinés et tenter d’étaler la fréquentation, les commerçants peuvent ouvrir tous les dimanches depuis le 29 novembre. Les salariés doivent être volontaires. Une hypocrisie et une destruction des acquis sociaux dénoncées par les syndicats.

À partir du 27 novembre, les commerces non essentiels (coiffeurs, libraires, disquaires et autres magasins de jouets) ont pu rouvrir, y compris le dimanche. Emmanuel Macron a demandé aux préfets de « faciliter » les ouvertures dominicales, à condition de respecter le volontariat des salariés et les compensations traditionnelles du travail le dimanche. Les préfectures ont dû rédiger en urgence des arrêtés. Certaines d’entre elles ont donné leur feu vert à quelques secteurs, en réponse aux demandes de commerçants ou de fédérations, mais pas à tous. « Finalement, les fédérations nationales ont envoyé des requêtes dans tous les départements et les arrêtés ont été pris de manière large », souligne Armelle Léon, responsable de l’unité auboise de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), qui a participé à la consultation menée par le préfet auprès des chambres consulaires, des organisations syndicales et des collectivités.

Pour les dimanches de décembre, de nombreux commerces ont l’habitude d’ouvrir, grâce à des autorisations municipales. « Mais les coiffeurs ou les concessionnaires automobiles ne sont pas des professions qui travaillent les dimanches de décembre », rappelle Armelle Léon. Ils ont donc dû, en urgence, demander le consentement de leurs salariés (de manière écrite théoriquement) et définir les compensations. « Les contreparties accordées au travail du dimanche peuvent être différentes selon les secteurs. Nous avons précisé dans l’arrêté que les commerçants devaient se référer à leur convention collective, sans cela le doublement du salaire est la règle », précise-t-elle. Le Code du travail prévoit aussi que le refus d’un salarié de travailler le dimanche ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement, ni faire l’objet d’une mesure discriminatoire.

L’enseigne Maison du monde a décidé, par exemple, d’ouvrir tous ses magasins du 28 novembre au 26 décembre. « Normalement, nous ouvrons trois dimanches avant Noël, cette année ça fait un peu plus. On n’a pas le choix, c’est la politique du groupe. La journée est payée double et récupérable, donc je n’ai pas de mal à avoir des salariés volontaires, mais j’espère que ça ne durera pas après Noël : on a une vie quand même ! », réagit une directrice de magasin (sept salariés) d’une grande ville de province. Elle reconnaît que l’organisation, qui a dû être pensée au denier moment, lui a donné du fil à retordre. Le magasin JouéClub de Loudéac (Côtes-d’Armor) est, quant à lui, resté fermé le dimanche 29 novembre. « C’était trop court pour s’organiser », justifie la directrice Florence Le Goff. « En décembre, on sera ouvert tous les dimanches jusqu’à Noël : nous sommes six salariés sur cette période contre trois le reste de l’année, nous nous sommes organisés et nous sommes motivés pour faire notre saison. Par contre, on n’ouvre que l’après-midi, sinon on dépasserait la limite légale au niveau des horaires », reconnaît-elle.

Chez le chocolatier Jeff de Bruges à Troyes, les magasins – commerces essentiels – étaient restés ouverts pendant le deuxième confinement et bénéficient chaque année en décembre d’autorisation d’ouverture dominicale. La gérante (deux boutiques) a choisi de fermer le 29 novembre. « C’est compliqué de mettre nos salariés au travail sept jours sur sept. Pour les autres dimanches, on fait un roulement. Pendant le premier confinement, mes salariés étaient au chômage partiel, mais je les ai payés à 100 %, donc ils étaient volontaires. Et Noël, quand on est chocolatier, c’est notre moment ! Cette année est anxiogène et on manque d’achat d’impulsion, de badauds qui se promènent », regrette-t-elle.

« Il peut y avoir du chantage à l’emploi »

De nombreux salariés du commerce n’ont pas eu la chance de voir leur salaire complété à 100 % pendant les deux confinements. Le travail du dimanche est donc une nécessité financière. « La question du volontariat est clairement ce qu’il y a de plus compliqué », reconnaît Armelle Léon, de la Direccte de l’Aube. « Quand les relations individuelles employeur-salarié se passent bien, c’est facile. Sinon il peut y avoir du chantage à l’emploi et c’est difficilement contrôlable », admet-elle. Ce que pointent du doigt les syndicats. « Beaucoup de mes collègues chez Sephora ont perdu de l’argent cette année », raconte Jenny Urbina, secrétaire fédérale de la CGT commerces et services et déléguée syndicale de l’enseigne. « Bien sûr qu’elles sont volontaires pour venir travailler, surtout des jours payés double ! Mais elles galèrent pour faire garder leurs enfants… En mai, beaucoup de magasins ont fermé le dimanche faute de touristes, alors qu’ils sont normalement ouverts. Les salariés ont perdu 400 ou 500 euros et là, personne n’a pensé à leur pouvoir d’achat ! », dénonce-t-elle.

Depuis 2005, et la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », les maires peuvent attribuer jusqu’à 12 dimanches par an aux commerçants (contre 5 auparavant) et l’ouverture des commerces en zones touristiques, zones commerciales et zones touristiques internationales (ZTI) est facilitée. L’Alliance du commerce (qui demande l’ouverture des commerces tous les dimanches de janvier) a dénombré 300 zones couvrant au moins 720 villes et 18 ZTI. Des autorisations déjà dénoncées à l’époque par les centrales. « Notre position sur le travail du dimanche ne change pas avec la crise, souligne Jenny Urbina. Les conséquences sur la vie familiale sont trop élevées ! ».

Opposition identique du côté de Force ouvrière. « On constate que le commerce n’a pas repris pleinement et ce sont toujours les grosses enseignes qui tirent les mêmes bénéfices, d’autant qu’elles ont pu rouvrir le week-end du Black Friday », fulmine Gérald Gautier, secrétaire général FEC-FO commerces. « C’est une dérégulation du marché, mais sans ouvrir les crèches, les services publics… On tue les activités sociales, culturelles, familiales », dénonce-t-il. Des activités au point mort cette année. « Ce n’est pas une raison pour faire une exception : les gens ont consommé par Internet et épargnent en temps de crise. Ce qu’ils achètent le dimanche, ils ne vont pas l’acheter en double, c’est juste un report de chiffre d’affaires », accuse-t-il. Avec une autre inquiétude : « On met en avant la sécurité sanitaire des salariés, grâce aux jauges censées limiter le nombre de clients et aux ouvertures le dimanche censées étaler les flux, mais les gens ont tellement envie de sortir que le dimanche ils s’entassent dans les magasins ! », poursuit-il.

L’argument de la création d’emplois est avancé par les militants de l’ouverture dominicale. Cette année pourtant, après deux confinements et la peur de la crise économique, nombre de commerçants tenteront de faire sans renforts, y compris le dimanche. Le repos dominical n’étant une obligation que pour les salariés, nombre d’entrepreneurs ouvrent leur commerce en travaillant seul, ou aidé par leur conjoint ou leurs enfants. Aux Galeries Lafayette, les habituels « CDD de fin d’année » n’ont pas été rappelés cette année, selon une source syndicale. Dans les 15 boutiques du chocolatier Pascal Caffet, les salariés permanents répondront également seuls aux demandes des clients. Pas sûr que la crise sanitaire permette de faire avancer l’éternel débat du travail dominical !

Auteur

  • Lucie Tanneau