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Charles-Henri Besseyre des Horts : Professeur émérite à HEC, président de l’AGRH Senior Advisor chez Korn-Ferry

Chroniques | publié le : 30.11.2020 |

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Charles-Henri Besseyre des Horts : Professeur émérite à HEC, président de l’AGRH Senior Advisor chez Korn-Ferry

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La revanche de la relation humaine

Les chiffres sont là ! Le télétravail fait sensiblement moins recette durant ce deuxième confinement quand on constate que, début novembre 2020, seuls 45 % des salariés du privé ont pratiqué le télétravail et surtout 23 % seulement l’ont fait à temps plein1. Cette tendance a fait l’objet de nombreux débats depuis quelques semaines avec des entreprises accusées de ne pas suivre les directives gouvernementales du télétravail à 100 %, cinq jours par semaine, pour tous les postes où le travail à distance est possible.

L’explication de ce manque d’attraction, pour une organisation que l’on a présentée comme la vraie révolution du travail dans le monde d’après, est multiple. La première de ces explications tient bien évidemment à une absence de vraie réflexion sur les nouvelles formes de travail nécessitant une refonte des pratiques managériales2. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que, conformément au vieil adage « chassez le naturel, il revient au galop », les dirigeants et les managers soient revenus à des postures traditionnelles d’avant la pandémie en exigeant un retour des collaborateurs sur le lieu de travail dans le respect des règles sanitaires. La seconde explication tient à la situation de télétravail elle-même : en effet, il n’y a pas plus inégalitaire que le télétravail, car les environnements familiaux ou personnels sont très différents d’un collaborateur à l’autre.

Mais il y a une autre explication : l’absence d’une vraie relation humaine lorsqu’on est en télétravail. On ne fera croire à personne que la multiplication des visioconférences auxquelles s’ajoutent de soi-disant moments conviviaux, cafés ou apéros virtuels, est susceptible de recréer ces moments forts d’échanges que nous avons tous connus autour d’une machine à café ou dans d’autres lieux et moments sur le lieu de travail. Pire, les deux confinements ont exacerbé le sentiment d’isolement ressenti par beaucoup de personnes en télétravail, en particulier par les jeunes, en raison de l’impossibilité d’avoir des relations sociales normales en dehors du travail suite aux mesures prises contre la propagation du virus. Par voie de conséquence, on n’est pas surpris par le constat de la forte progression de la détresse psychologique durant ce deuxième confinement et particulièrement chez les salariés puisque 41 % d’entre eux et 58 % de leurs managers déclarent être en souffrance largement en raison de la situation de télétravail3.

Un autre signe de ce questionnement du télétravail par l’absence d’une vraie relation humaine est l’attitude très réservée des jeunes générations dont on attendait pourtant un véritable plébiscite en faveur du travail à distance en raison de leur maîtrise des outils digitaux et de leurs attentes d’autonomie et de confiance. Or, selon une étude de la chaire Workplace Management de l’Essec, intitulée « Mon bureau post-confinement », 81 % des 25-30 ans interrogés souhaitaient retourner à leurs espaces de travail à l’issue du premier confinement4. Une autre étude de ChooseMyCompany réalisée durant le premier confinement vient corroborer ce manque d’enthousiasme des jeunes générations pour le télétravail : « Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les profils Tech et les Millennials sont moins à l’aise avec le travail à distance, n’étant que 61 % à le soutenir, soit 5 % en dessous de la moyenne. Pour les premiers, l’attente de soutien et de pilotage des projets par les managers est inassouvie. Pour les seconds, des débutants de la vie professionnelle, le côté social et l’appui du manager leur manquent dans le contexte actuel ».

Ce que démontrent ces signes, c’est que l’appauvrissement de la relation humaine dans la situation de télétravail n’est pas supportable pour la plupart d’entre nous à moyen et long termes. Il ne s’agit pas évidemment ici de rejeter en bloc le télétravail, car il constitue indéniablement une source de progrès pour les personnes et la planète, mais plutôt de suggérer aux DRH de tenir compte de la question de la sécurité psychologique des collaborateurs/trices lorsqu’ils signent des accords sur le télétravail comme on les voit fleurir depuis quelques mois dans de nombreuses entreprises. À charge pour eux/elles de faire passer ces accords aux trois tamis de Socrate : la vérité, la bonté et l’utilité comme le suggère le professeur Lejoyeux dans son dernier livre5.

(1) Richer, M. : Déconfiner le travail à distance, Rapport Terranova, 19 novembre 2020 téléchargeable par le lien https://tnova.fr/notes/deconfiner-le-travail-a-distance

(2) « Sans refonte du management, ce n’est pas du télétravail, mais du contrôle à distance » Interview de CH Besseyre des Horts, Les Échos, 22 octobre 2020, p. 35.

(4) « Si c’était imposé, ça serait pour moi un motif de démission » : les pièges du télétravail pour les jeunes salariés, https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/06/16/moins-rodes-moins-formes-pour-les-jeunes-actifs-les-pieges-du-teletravail_6043087_4401467.html

(5) Pr. Lejoyeux, M. : Les 4 temps de la Renaissance. Le stress post-traumatique n’est pas une fatalité, JCLattès, octobre 2020, pp. 85-86.