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Le grand entretien

« Le contrôleur de gestion sociale exerce un rôle de vigie »

Le grand entretien | publié le : 23.11.2020 | Frédéric Brillet

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« Le contrôleur de gestion sociale exerce un rôle de vigie »

Crédit photo Frédéric Brillet

Guillaume Campistron se penche sur le métier en plein essor de contrôleur de gestion sociale et sur son rôle au sein des directions des ressources humaines qui en attendent un surcroît de performance et de visibilité dans la conduite des affaires.

Comment a émergé ce métier de contrôleur de gestion sociale (CGS) ?

Il est apparu il y a dix ans dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, avant de se diffuser plus récemment dans les plus de 500 salariés et, enfin, dans les structures publiques et parapubliques. Aujourd’hui, le taux de pénétration du contrôle de gestion sociale en France atteint 31 % dans les entreprises de plus de 500 salariés et devrait continuer à croître, du fait du contexte économique qui requiert de maîtriser les coûts. Conséquence, les formations à ce métier commencent à se structurer : il y a dix ans, il n’y avait quasiment rien. Aujourd’hui, on trouve des formations destinées aux débutants, mais encore peu de formations pour les experts, par manque de formateurs confirmés.

Quelles sont les missions de cet expert ?

Sa première mission consiste à construire le système de pilotage social qui prend la forme d’un tableau de bord mesurant la performance RH afin d’aller au-delà du simple reporting. Il lui revient aussi d’analyser les données sociales, de détecter des dysfonctionnements, erreurs ou dérives et de préconiser des plans d’action pour y remédier. À cet égard, il exerce un rôle de vigie vis-à-vis du DRH. Troisième mission, la plus attendue, il construit le budget de la masse salariale, assure son suivi et sa maîtrise. Enfin, sa cinquième mission consiste à mettre en place et à faire évoluer le SIRH.

Sont-ils très demandés ?

Les offres de postes sont de plus en plus nombreuses, tant pour les juniors que pour les experts, mais ces derniers postes sont davantage en marché caché tant il y a pénurie de compétences. Cela s’explique parce que c’est un métier nouveau. C’est un métier très prenant, stratégique, assez stressant car il exige beaucoup de réactivité et où les rémunérations ont progressé ces dernières années. Les débutants dans la fonction peuvent espérer toucher entre 30 000 et 40 000 euros par an. Les trois quarts des CGS perçoivent entre 40 000 et 70 000 euros et les plus expérimentés crèvent le plafond des 70 000 euros annuels.

Quels sont les principaux indicateurs du système de pilotage social que suit le contrôleur ?

Le CGS porte une grande attention à l’absentéisme, un indicateur essentiel du climat social, qui se dégrade depuis cinq ans avec une augmentation de + 8 % à + 10 % sur ces deux dernières années et qui touche toutes les catégories d’âge, même les moins de 25 ans, ce qui est assez nouveau. L’autre indicateur reflétant le climat social est le turnover, beaucoup moins suivi car il n’existe pas de valeur standard de référence permettant de déterminer si l’on s’écarte de la moyenne. Le CGS s’intéresse aux indicateurs QVT car de nombreuses études mettent en lien bonheur au travail et performance des salariés. Enfin, plus récemment, le CGS a pris en compte le ENPS (Employee Net Promoter Score), qui correspond à la recommandation faite par les salariés en faveur de leur employeur. Autre indicateur qui prend de l’importance, l’index de l’égalité hommes-femmes.

Pourquoi le CGS doit-il distinguer la performance et le pilotage RH ?

Un tableau de bord de performance RH doit répondre à des objectifs précis et mesurer les écarts entre ce qui est attendu et réalisé. Si le tableau inclut un objectif trop large (par exemple, mieux fidéliser les salariés) ou en est dépourvu, ce n’est pas un tableau de bord de performance mais soit une bonne intention (on est toujours d’accord pour mieux fidéliser les salariés), soit un reporting (les entreprises croulent sous les reportings du passé). Pour éviter cet écueil, il faut commencer par définir la performance avec le ou les indicateurs afférents, puis les actions de pilotage permettant de réaliser la performance. Dans cette perspective, le CGS recourt souvent à la méthode OFAI (Objectif à atteindre, Facteurs clés de succès, Actions à mener, Indicateurs de pilotage qui mesurent chaque action opérationnelle). La description de l’objectif qui doit être clair et décrit par une phrase, par exemple « recruter 100 nouveaux collaborateurs de moins de 40 ans sur les trois prochaines années (30 année 1, 30 année 2, 40 année 3) » ou « augmenter le taux de satisfaction des salariés de 5 % par an sur trois ans ».

Le CGS ne doit pas se contenter d’analyser des chiffres, il doit aussi connaître, par exemple, la pyramide de Maslow…

La pyramide de Maslow montre qu’une personne puise sa motivation dans cinq besoins hiérarchisés, chaque besoin non satisfait constituant une source de motivation potentielle. Du point de vue managérial, il faut commencer par garantir les besoins de base (physiologiques et de sécurité) pour pouvoir ensuite travailler sur les besoins sociaux et psychologiques. Il est vain de répondre au besoin supérieur si celui qui est inférieur n’est pas traité. Ainsi, si le besoin de sécurité n’est pas assuré du fait d’une délocalisation ou d’un plan de licenciement, à quoi bon valoriser les signes d’appartenance à l’entreprise ? De même, il est inutile d’escompter des résultats d’une politique de la reconnaissance individuelle si en interne le climat social est détestable et que les personnes aspirent avant tout à bénéficier d’une ambiance de travail saine.

Dans quel domaine utilise-t-on ce type de connaissances ?

Notre système de rétribution français s’assimile assez facilement à cette pyramide de Maslow. Le premier niveau repose sur la rémunération fixe, rassurante pour le salarié et comblant ses besoins physiologiques. La rémunération variable découlant de la performance satisfait le besoin d’estime et de reconnaissance également présent dans cette pyramide. On peut considérer que l’épargne salariale, les accords de prévoyance, la couverture des frais de santé via les mutuelles d’entreprise découlent du besoin de sécurité. Enfin, au cinquième niveau de la pyramide, le système de rémunération contribue à satisfaire le besoin d’accomplissement de soi du salarié en finançant ses congés payés, RTT, le CSE et son budget culturel. Le CGS doit prendre en compte la hiérarchie de ces besoins quand il émet des recommandations auprès de la DRH.

Certains indicateurs nourrissent-ils des revendications sociales ?

Les indicateurs permettant de comparer l’évolution des rémunérations de l’entreprise à celles du secteur, à l’inflation, le taux de promotion rapporté à l’effectif, les tranches de salaires les plus et moins élevées sont suivis et discutés parfois âprement lors des négociations annuelles obligatoires. Idem pour ceux directement liés au climat social comme le turnover, l’absentéisme ou la satisfaction des salariés au travers du ENPS.

Les employeurs usent-ils de techniques pour éviter l’affichage de chiffres qui peuvent nourrir ces revendications ?

Oui, certains employeurs préfèrent par exemple donner des montants au lieu de pourcentage, souvent pour noyer le poisson. D’autres transforment ces indicateurs pour éviter de faire apparaître des salaires élevés. La création de primes variables permet par ailleurs de gonfler la rémunération tout en contrôlant le coût de la masse salariale.

À l’inverse, quels indicateurs RH utilisent les employeurs pour justifier des décisions socialement difficiles ?

Ils mobilisent principalement des indicateurs économiques et financiers comme le ratio chiffre d’affaires/effectif, valeur ajoutée/masse salariale, masse salariale/chiffre d’affaires. Ce dernier ratio devient le nerf de la guerre : il est évident que si l’on produit avec 30 % de masse salariale de plus que ses concurrents pour des produits et des volumes identiques, cela devient compliqué à justifier dans une entreprise à but lucratif.

Parcours

Après avoir exercé le poste de responsable du personnel au sein de la Caisse des dépôts, Guillaume Campistron a occupé des fonctions de manager en ressources humaines dans différents cabinets de formation et de conseil (Cegos, Gemini Consulting, Groupe BPI). Expert de la rémunération et du contrôle de gestion sociale, il intervient aujourd’hui en tant que consultant et formateur sur ces problématiques. Déjà auteur du livre best-seller L’essentiel de la Paie (Eyrolles, 2017), Piloter le Contrôle de Gestion Sociale (Revue Fiduciaire) est son second livre.

Auteur

  • Frédéric Brillet