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Santé au travail : La prévention enfin au cœur du document unique ?

Le point sur | publié le : 16.11.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Santé au travail : La prévention enfin au cœur du document unique ?

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

La pandémie va-t-elle marquer un tournant et voir le document unique d’évaluation des risques professionnels devenir enfin un outil de prévention ? Après le choc, il reste à transformer l’essai.

La crise sanitaire aura eu le mérite de remettre sur le devant de la scène le document unique d’évaluation des risques professionnels, plus connu sous l’abréviation « DU ». Les grandes entreprises ou les plus rodées à l’exercice ont procédé à des mises à jour rapides. Engie Thermique France (ETF), une branche du groupe Engie qui gère des centrales de production d’énergie, a ainsi ajouté le contexte d’épidémie à son DUER dans lequel figurait déjà le risque biologique. « Nous avons aussi revu l’ensemble des mesures de prévention en les rapprochant de celles préconisées par le protocole sanitaire », explique Jérôme Augé, coordinateur sécurité de l’entreprise. Les mesures prévues par le plan de continuité d’activité (PCA) puis celles du plan de reprise d’activité (PRA) ont été rattachées au DU. Une situation qui va évoluer avec la nouvelle vague de covid. « Nous allons renforcer les mesures de prévention avec une distanciation accrue entre les équipes qui doivent continuer à travailler sur site afin d’éviter tout contact, les réunions se feront par visio et les échanges physiques indispensables derrière des barrières de Plexiglas », précise le coordinateur sécurité d’ETF.

L’Institut national de recherche et sécurité (INRS) a enregistré une croissance des demandes de mise à jour du document, avec un pic en juin, avant un reflux durant l’été. « Les entreprises nous indiquaient qu’elles avaient eu des messages de leurs fédérations afin de procéder à une mise à jour impérative du DU en fonction de la pandémie », explique Anne-Sophie Valladeau, expert d’assistance en gestion des risques professionnels. Les sociétés se sont aussi tournées vers les services de santé au travail, témoigne Anne-Michèle Chartier, médecin du travail dans les Hauts-de-Seine et présidente du Syndicat des médecins du travail CFE-CGC : « Beaucoup d’employeurs ont adressé des demandes à leur SST afin d’intégrer dans le DU la covid lors de la première vague épidémique. » Ses équipes ont été sollicitées pour accompagner les entreprises dans l’élaboration de plans de déconfinement. « Les grandes sociétés ont rapidement été confrontées à des cas de covid parmi leurs salariés et ont dû agir concrètement, note Anne-Michèle Chartier. Globalement, les employeurs se sont posé les bonnes questions. » Si certains ont été aidés par leur branche professionnelle qui a diffusé « des consignes adaptées », elle déplore que d’autres se soient débrouillés seuls.

Un outil positif

Pour Force ouvrière, l’évolution est positive, note Serge Legagnoa, secrétaire confédéral : « Avant la crise sanitaire, le DU était vécu comme une obligation administrative, pas toujours bien compris, pas toujours bien rempli. La crise a permis de prendre conscience que c’est un document important pour y faire face. D’outil administratif, c’est devenu un outil positif. » Pour autant, toutes les entreprises n’ont pas encore de DU, tant s’en faut. « Dans certaines entreprises, l’élaboration du document unique a commencé il y a plusieurs années et il n’est toujours pas terminé », constate Anne-Michèle Chartier. Une situation paradoxale, selon Pierre-Yves Montéléon, en charge de la santé au travail à la CFTC : « Le DU protège les salariés mais aussi les employeurs. Dans les petites entreprises, ils exercent souvent la même activité que leurs salariés. » Considérant que les entreprises sans DU ne peuvent pas faire de prévention, il condamne le statu quo : « Les entreprises ont eu trente ans pour se doter d’un DU. C’est inacceptable. » À ses yeux, l’administration porte une responsabilité en favorisant l’accompagnement plutôt que la sanction des entreprises fautives. Mais le comportement de ces dernières est aussi en cause.

La directive européenne de laquelle découle le DU (lire encadré), ainsi que le Code du travail, précisent que les entreprises doivent désigner une personne compétente pour prendre en charge la prévention des risques. Peu se plient à cette obligation, constate Anne-Michèle Chartier : « Très peu de petites et moyennes entreprises ont désigné une personne et la plupart du temps ces personnes sont peu ou mal formées. Des référents covid ont souvent été désignés, ils sont plus visibles que les personnes censées prendre en charge la santé, la sécurité et la prévention. » Certaines entreprises feraient même appel à des stagiaires pour élaborer ou mettre à jour leur DU.

Si le Medef n’a pas répondu à nos sollicitations, la CPME considère que le DU « est un document important qui doit perdurer ». « Nous nous sommes interrogés sur la correspondance entre le DU et la fiche d’entreprise, car ce sont des documents proches puisque l’un comme l’autre sont des analyses des risques mais l’un est réalisé par le médecin du travail et l’autre par le chef d’entreprise, précise Éric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales. Les deux documents ont une nature juridique différente et ne peuvent pas être fusionnés. Les modalités concrètes de ces correspondances possibles seront l’un des chapitres dans le cadre de l’offre de services des SSTI, durant les négociations sur la santé au travail. »

Une position qui rejoint celle de FO, qui souhaite « établir une connexion » entre le DU et la fiche d’entreprise. Mais selon Serge Legagnoa, « ce sera difficile quand, du côté des organisations patronales, prévaut la volonté de supprimer le DU ». Une attitude que déplore également la CGC : « Les employeurs veulent assurer leur protection juridique, estime Anne-Michèle Chartier. Ils sont pour l’instant dans une démarche défensive et ce n’est pas de bon augure pour la prévention. » À moins que la pandémie et ses conséquences imprévisibles ne changent la donne et transforment la prévention en priorité des entreprises.

Un long chemin législatif

S’il a été formalisé par un décret du 5 novembre 2001, l’origine du document unique d’évaluation des risques professionnels remonte à une directive européenne du 12 juin 1989. Définissant les principes fondamentaux de la protection des travailleurs, elle place l’évaluation des risques professionnels au premier rang de la hiérarchie des principes généraux de la prévention. Deux ans plus tard, la France transpose cette directive dans son droit national, avec la loi du 31 décembre 1991. Elle crée l’article L. 230-2 du Code du travail, qui pose trois exigences d’ordre général : l’obligation pour l’employeur d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs ; la mise en œuvre des principes généraux de prévention des risques professionnels ; enfin, l’obligation de procéder à l’évaluation des risques. Il faudra cependant attendre le décret du 5 novembre 2001 pour que soient clarifiées les modalités plus concrètes de ces obligations. Ce texte précise d’abord comment l’employeur doit remplir son obligation de créer et de conserver le document dans lequel sont consignés les résultats de l’évaluation des risques (art. R. 230-1). L’article R. 263-1-1 introduit le dispositif de sanctions pénales si l’employeur ne respecte pas ses différentes obligations.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins