Dans l’étude Les Entreprises à l’heure du flex-office, Delphine Minchella, docteur en civilisation et chercheuse en sciences de gestion, montre un vécu difficile des salariés n’ayant plus de bureau attitré. Un éclairage inédit, riche d’enseignements pour les entreprises.
Si le télétravail va se renforcer, ce livre aborde un sujet de fond peu traité : celui des entreprises qui ont décidé de ne plus attribuer de bureaux fixes. Que l’on parle de flex-office, de nomadisme ou de bureaux volants, ces expériences reflètent diverses « priorités des dirigeants » : diminuer les coûts du foncier, promouvoir une image dynamique ou accompagner une organisation plus transversale, dans l’esprit start-up, note Delphine Minchella. Mais ces stratégies fonctionnent-elles ? Et surtout comment les employés vivent-ils cette dépersonnalisation des espaces de travail ? Dans ce bref ouvrage, la chercheuse en sciences de gestion restitue une enquête menée auprès de salariés dans quatre entreprises ayant choisi le flex-office : un grand cabinet de conseil, une multinationale, un service public (aux faux airs de Pôle emploi) et une enseigne de grande distribution. Et en dresse un bilan très mitigé.
Dans l’ensemble, les critiques pleuvent. À lire notamment, ce témoignage d’un consultant qui fait part de « tensions » (« à 10 heures, il n’y a plus de place ») ou d’une politique zéro papier déphasée de la réalité : « Les gens ont encore énormément de dossiers » et se baladent donc « avec leur boîte à la recherche d’une place ». Pour lui, « l’entreprise a voulu prendre le virage start-up avec de super équipements et des écrans tactiles, mais la culture ne suivait pas ». Si d’autres salariés le vivent mieux, avec un système de réservation, l’auteure montre que « la liberté de placement du flex-office » a vite ses limites. Trop de monde, mail de rappel si un salarié réserve plusieurs jours de suite la même place, le système est souvent vécu comme une contrainte.
Sans fustiger ce modèle, Delphine Minchella rappelle qu’il se heurte au besoin naturel des individus de « s’approprier un espace ». Ainsi, si les cadres opérationnels sont censés jouer le jeu, elle montre via un témoignage d’un autre consultant qu’ils ont vite tendance à se réapproprier des places fixes. La hiérarchie, déplore-t-elle, « continue de se lire dans le flex-office ». Les récits et l’analyse sont instructifs. L’auteure en tire des réflexions pour les entreprises, soulignant « les résistances » que peut entraîner « une liberté non tenue de choisir sa place ». Ou pointant des salariés échangeant finalement très peu, « au-delà de cinquante personnes au même endroit ». À trop dépersonnaliser les bureaux, le risque est aussi que l’entreprise « devienne un lieu de passage sans ancrage, aseptisé », souligne l’auteure. Un avis très réservé, alors que « la vie sociale » nécessaire au travail est déjà durement malmenée par le confinement.