logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Formation : Le plan de développement des compétences encore mal identifié

Le point sur | publié le : 09.11.2020 | Benjamin d’Alguerre

Image

Formation : Le plan de développement des compétences encore mal identifié

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Successeur du plan de formation, le plan de développement des compétences peine à trouver sa place dans les entreprises. La liberté d’innovation pédagogique qu’il offre aux services RH et formation ne compense pas la sévère restriction de l’accès aux ressources mutualisées des Opco.

« Lorsqu’on cotise autant qu’avant, mais qu’on ne récupère plus rien, il faut bien se débrouiller pour former ses collaborateurs. » Au sein du Groupe Fed, cabinet RH spécialisé dans le recrutement, l’entrée en vigueur de la réforme de la formation de 2018 a, dans les premiers temps, été vécue comme une douche froide. Du jour au lendemain, cette entreprise de 350 salariés habituée à dépenser massivement pour former des collaborateurs s’est retrouvée sans accès aux ressources mutualisées de la formation qu’elle avait pris l’habitude de mobiliser via son Opca, le Faf.TT (aujourd’hui intégré dans l’Opco Akto). Le groupe ne répondait plus aux critères d’accessibilité aux fonds des opérateurs de compétences, désormais limités aux structures de moins de 50 salariés. Pour cette entreprise habituée à déployer un haut niveau de formation chez ses collaborateurs, l’adaptation aux nouvelles règles aura nécessité une rupture nette avec les pratiques du monde d’avant. « Alors que nous externalisions à 100 % à des prestataires, nous avons développé une stratégie de réintégration de la fonction formation. Concrètement, cela a consisté à former 10 % de nos managers sur la pédagogie et l’animation de formations », explique Julie Bertoni, la directrice du développement RH. Une stratégie qui se révèle payante, et pas uniquement sur le plan financier. « Réinternaliser la formation nous a permis de la réhabiliter et de retrouver une souplesse d’innovation et de pédagogie que l’on ne trouvait pas chez un opérateur externe », se félicite la responsable RH.

Les fonds mutualisés, nerf de la guerre

Toutefois, le Groupe Fed fait encore figure d’exception dans le paysage des entreprises françaises. Face à la réforme de la formation professionnelle de 2018, c’est l’attentisme qui continue de prédominer. Loin de faire « autant avec moins » en matière de formation, les directions RH et formation ont surtout tendance à… ne plus rien faire du tout. « Le passage du plan de formation au plan de développement des compétences n’est pas encore rentré dans toutes les têtes », souligne Claire Pascal, directrice de l’organisme de formation Comundi. « Faute de fonds mutualisés, les budgets ont diminué de 20 % à 50 %. Le véritable problème n’est pas pédagogique, mais financier. » Pourtant, les ambitions de départ de l’ancienne ministre du Travail et de son équipe se voulaient facilitatrices : en finir avec le carcan administratif sclérosant de l’ancien système, jeter au panier les formulaires Cerfa 24-83, synonyme de dépense contrainte, et « libérer les énergies » des entreprises pour faire monter en compétences leurs salariés. « La bascule du plan de formation au plan de développement des compétences, en supprimant les anciennes catégories – adaptation au poste, évolution et maintien dans l’emploi –, a conduit les entreprises à centrer leur activité de formation sur les compétences. Une nouvelle architecture du plan s’est mise en place, organisée davantage sur l’analyse des besoins en compétences des entreprises et des salariés. En parallèle, la nouvelle définition de l’action de formation, conçue comme « un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel, a permis d’élargir les modalités d’acquisition de compétences et de valoriser les actions favorisant le développement des compétences », résume Marc-Olivier Jouan, directeur du développement et des partenariats nationaux d’Akto, l’Opco des services à haute intensité de main-d’œuvre.

Diversification des modalités de formation

Plus de liberté, moins de paperasse, en somme. Sur le papier, l’intention était louable. Problème : « Ça n’a rien libéré du tout », constate Claire Comundi. « Le nouveau fléchage des fonds de la formation, notamment vers le CPF ou le PIC, a obligé l’exécutif à faire des choix. Et les entreprises de plus de 50 salariés se sont retrouvées sans rien ». Avec une zone d’alerte particulière sur les employeurs de 51 à 300 salariés trop gros pour bénéficier de ressources extérieures, mais pas assez pour libérer des enveloppes budgétaires autonomes. Dans le cadre du plan de relance, l’exécutif promet de corriger le tir et de débloquer une enveloppe en direction de ces entreprises, mais pour beaucoup, le mal est déjà fait. Cependant, les entreprises ne se sont pas retrouvé les mains vides avec cette réforme : « La diversification des modalités de formation à la main des entreprises permet de structurer et d’enrichir les opportunités de situations apprenantes », fait remarquer Marc-Olivier Jouan. Il est vrai qu’avec la réforme, les entreprises se sont retrouvées avec un nouveau portefeuille de dispositifs à leur main (CFA interne, Action de formation en situation de travail, Pro-A, abondements au CPF des salariés…), mais peu d’employeurs ont pour l’instant misé sur eux. « Nous avons observé un petit effet de mode sur l’Afest à ses débuts, mais j’ai l’impression que le soufflé est retombé. Et la Pro-A qui devait se substituer à la période de professionnalisation, jusqu’alors très prisée des entreprises, a été bloquée presque un an pour cause ad hoc », regrette Sylvain Humeau, président du Groupement des responsables et acteurs de la formation (Garf).

Succès de l’alternance

Seul l’apprentissage a connu un réel succès, mais il relève de la formation initiale bien plus que de la montée en compétences des salariés. Et les CFA d’entreprises demeurent à l’heure actuelle encore un privilège de grands groupes (Adecco, Engie, Sodexo, Korian…) plus qu’un outil ouvert à tous, même s’il existe des exceptions. À l’image du transporteur GT Solutions (2 000 salariés) qui a décidé de transformer son école de conduite interne, l’École du conducteur, en CFA. Son dirigeant, Mathieu Sarrat, ne cache pas que la motivation est d’abord d’ordre financier : « GT Solutions a vu disparaître le financement des formations obligatoires et des permis SPL au titre du plan mutualisé et de la professionnalisation. Pour les élèves de l’École du conducteur, la perte de l’allocation tutorale et de l’allocation accompagnement se monte à environ 4 000 euros par élève, soit une somme de 700 000 à 800 000 euros par an. » Désormais, l’institut de formation pourra, pour ses stagiaires de moins de 30 ans (50 %), prétendre aux coûts-contrats autrement plus intéressants pour sa trésorerie.

Bref, le paysage des plans de développement des compétences est encore flou. L’ouverture, début septembre, de l’application Moncompteformation aux entreprises peut laisser entrevoir la possibilité de plans coconstruits entre employeurs et salariés grâce à la mobilisation du CPF. Si certains accords ont déjà été signés, les initiatives restent marginales. Mais, selon Élisabeth Borne, 39 500 employeurs auraient déjà abondé les comptes formation de leurs salariés. Le début d’une nouvelle pratique de financement ?

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre