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Gilles Gateau : directeur général de l’Apec

Chroniques | publié le : 09.11.2020 |

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Gilles Gateau : directeur général de l’Apec

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Digitaliser les cadres ?

Voici des années que le travail des cadres se transforme sous l’effet du numérique… Mais la crise sanitaire accélère considérablement certaines tendances de fond.

Bien sûr le télétravail. Si les cadres font du télétravail qui ne dit pas son nom depuis belle lurette, en se reconnectant chez eux soir et week-end, cette pratique a pris aujourd’hui une nouvelle dimension… Et ce alors même que l’on continue d’observer une résistance toute française au télétravail : les transports en commun parisiens étaient en octobre revenus à 79 % de leur taux d’occupation habituel contre 51 % à Londres… et 28 % à New York. Tout se passe comme si la porosité entre espaces de vie professionnel et personnel ne marchait que dans un sens : si l’on attend des collaborateurs qu’ils puissent travailler chez eux soir et week-end, on leur fait moins confiance pour télétravailler chez eux en semaine. Une difficulté pour des cadres doublement concernés : pour eux-mêmes et pour les équipes qu’ils encadrent ou animent1.

Deuxième transformation liée au numérique : les cadres sont de plus en plus amenés à piloter des collectifs éclatés dans l’espace – parfois dans plusieurs pays. Les outils numériques ont rendu possibles ces évolutions, encore amplifiées par le télétravail. Une transformation profonde du rôle de l’encadrant, qui n’est plus le seul lot des multinationales.

Troisième transformation : l’Intelligence artificielle, qui impacte le métier d’un nombre croissant de cadres. Avec un effet comparable à celui de la robotisation sur le travail à la chaîne ? Une étude récente de la Brookings Institution établit que là où l’automation affectait principalement les travailleurs manuels – ce sont au contraire les plus diplômés qui sont les plus exposés aux avancées de l’IA : professions libérales, comme les radiologues, les optométristes, mais aussi cadres des secteurs du marketing, du juridique, ou encore des ressources humaines.

Prenons le recrutement : ce processus RH essentiel est en passe d’être transformé par des algorithmes proposant les profils les plus pertinents, par l’automatisation de la présélection des CV, par une gestion des talents « optimisée » grâce à l’analyse des données… Certains soutiennent même, s’appuyant sur de doctes études2, que l’entretien de recrutement se révèle bien moins performant qu’une bonne batterie de tests en ligne… D’autres soutiennent que l’IA serait plus fiable dans ses diagnostics médicaux que le médecin… Peut-être, parfois… Mais l’affirmer comme une généralité reviendrait à ignorer ce qu’est un malade – c’est-à-dire une personne avant tout –, et ce qu’il recherche quand il va voir un médecin – une écoute, une compréhension de son mal, tout autant qu’une analyse de paramètres physiologiques.

On attend de même autre chose d’un conseiller Apec ou d’un recruteur qu’un algorithme sur une plateforme en ligne… L’étude tout juste publiée par l’Apec3 conclut d’ailleurs à un effet limité de cet outil sur les métiers RH : il complétera, plus qu’il ne remplacera, le travail des recruteurs.

Ces bouleversements numériques transforment le métier des cadres, leurs compétences, leur vie au travail et hors travail. Alors – pardon du mauvais jeu de mots – les cadres ont besoin d’un cadre.

L’État a bien sûr son rôle à jouer, comme le Défenseur des droits ou la Cnil pour apporter des garanties en matière d’éthique, mais il faut s’approprier ces questions dans l’entreprise, dans le dialogue social, qui demeure le meilleur garant des équilibres et des protections auxquels les cadres, eux aussi, aspirent !

(1) Les études de l’Apec montrent que 40 % des cadres managent des équipes au sens « hiérarchique » du terme, 25 % animent des équipes, mais sans en être le « hiérarchique » (mode projet…) et 35 % sont des experts qui n’encadrent pas.

(2) Cf Olivier Sibony « Vous allez redécouvrir le management », Flammarion, 2020.

(3) « L’IA dans le recrutement ».