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Les entreprises confrontées à la monoparentalité

Le point sur | publié le : 02.11.2020 | Adeline Farge

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Gestion RH : Les entreprises confrontées à la monoparentalité

Crédit photo Adeline Farge

Face à la difficulté d’assurer en solo toutes leurs responsabilités familiales, des salariés à la tête d’une famille monoparentale sont contraints de mettre un bémol à leur carrière. Pour les aider à mieux concilier leur vie personnelle et professionnelle, des entreprises tentent d’innover, avec l’aide du réseau associatif.

Récupérer l’aîné à la sortie de l’école, s’absenter du bureau quand le petit dernier est malade, décliner un entretien d’embauche car aucun proche n’est disponible pour prendre la relève… Contraintes de gérer en solitaire les tâches domestiques et familiales qu’elles partageaient auparavant avec leur conjoint, les mères célibataires – qui sont à la tête de 85 % des familles monoparentales – choisissent parfois de réduire leur temps de travail ou renoncent même à travailler. En 2014, 15 % étaient au chômage et 42 % exerçaient à temps partiel, soit près de deux fois plus que l’ensemble des femmes. « Le principal frein au retour à l’emploi des mères célibataires est la garde de leurs enfants. Si elles ont un entretien d’embauche, elles ne peuvent pas s’y rendre avec eux sous le bras ou les laisser seuls à la maison. Le coût d’une baby-sitter est trop élevé pour les familles monoparentales vivant du revenu de solidarité active. Si elles sont rappelées par un employeur pour une prise de poste immédiate, elles n’ont pas le temps de trouver une solution de garde. Certaines font appel à leurs proches, mais ces derniers ne sont pas disponibles tous les jours et elles n’ont donc pas l’esprit tranquille pour se concentrer sur leur travail », constate Olivia Roulleau, chef du service insertion à l’Association pour la formation professionnelle et l’insertion (AFPI).

Des aides pour sortir de la précarité

Pour aider les mamans élevant seules leurs enfants à reprendre le chemin du travail ou d’une formation, l’AFPI, installée à Mantes-la-Jolie (Yvelines), met à leur disposition depuis 2018 des baby-sitters qui interviennent gratuitement à leur domicile durant trois mois, le temps qu’elles retrouvent une stabilité financière et dénichent une place en crèche ou une nourrice agréée. Autre atout du dispositif instauré avec le soutien de l’agence départementale d’insertion ActivitY’, les baby-sitters sont elles-mêmes des femmes éloignées de l’emploi ayant bénéficié en amont d’une formation. Car, comme le rappelle Lucile Peythavin, en charge de la question de la précarité des femmes au Laboratoire de l’égalité : « Si on dresse le portrait-robot d’une personne précaire, c’est celui d’une femme, jeune, urbaine, à la tête d’une famille monoparentale, qui ne parvient pas à s’insérer durablement sur le marché de l’emploi. »

Les mamans solos font souvent l’objet de stéréotypes et de discriminations. « Des employeurs hésitent à embaucher des femmes seules avec des enfants. Ils anticipent le fait qu’elles s’attarderont moins le soir car les modes de garde ne sont pas assez flexibles, qu’elles s’absenteront plus fréquemment quand les enfants sont malades, qu’elles seront épuisées par leurs responsabilités parentales et donc qu’elles seront moins efficaces et focalisées sur leur carrière », souligne Maryse Bresson, professeure de sociologie à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et auteure de Sociologie de la précarité. Souvent peu diplômées, les cheffes de famille monoparentale enchaînent les contrats précaires et restent cantonnées aux métiers les moins qualifiés et rémunérés : caissière, aide à domicile, aide-soignante, agente d’entretien. « Les mamans choisissent un job pour être à la hauteur de leur rôle parental et restent ensuite coincées dans des boulots qui les dévaluent. Elles ont perdu confiance en elles et elles n’arrivent pas à valoriser leurs compétences devant un employeur. Pourtant, en tant que cheffes de famille, elles ont acquis des aptitudes qui sont transférables dans un emploi », estime Olivia Barreau, une ancienne intermittente du spectacle et mère célibataire de trois enfants qui a fondé en 2017 à Paris Moi et mes enfants. Cette association propose aux familles monoparentales un espace de coworking, des activités ludo-éducatives et des sorties entre familles, des trocs de garde, des formations sur le plafond des mères, du networking.

Prévention des risques et accompagnement

Alors que la monoparentalité concerne désormais 23 % des familles françaises, certaines entreprises multiplient les mesures pour éviter des décrochages professionnels. « Ce sujet grimpe dans les préoccupations des employeurs et des actions ciblées sur les parents isolés apparaissent dans les accords de prévention des risques psychosociaux et de qualité de vie au travail. Les entreprises prennent conscience qu’en les soutenant, ces collaborateurs seront moins absents, moins stressés et plus performants », constate Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de la qualité de vie au travail. Face à la pénurie de personnels soignants, Korian, qui embauche majoritairement des femmes, a fait de l’accompagnement des familles monoparentales un des leviers de sa marque employeur. « Comme nous recrutons chaque année 6 000 candidats, c’est essentiel d’attirer et de fidéliser nos collaboratrices grâce à des actions différenciantes. Les femmes isolées seront plus enclines à postuler dans une entreprise qui propose des dispositifs pour faciliter leur quotidien », estime Pauline Joly, responsable santé et qualité de vie au travail chez Korian. Intégré sur le lieu de travail, un service social soutient les collaboratrices élevant seules des enfants dans la résolution de toutes les difficultés personnelles pouvant impacter leur vie professionnelle. Parmi les aides délivrées, des chèques emploi service, des berceaux d’urgence au sein du réseau Babilou pour pallier une rupture ponctuelle du mode de garde, un accès prioritaire au parc social locatif, des coups de pouce financiers pour éviter le surendettement, l’ouverture des droits à la CAF…

Si les sujets liés à la vie familiale arrivent en force sur le bureau des DRH, en raison notamment de l’implication plus forte sur l’égalité professionnelle, il peut être difficile de repérer les collaborateurs en situation de monoparentalité qui n’osent pas toujours se livrer sur leur vie privée. Les DRH doivent veiller à communiquer, en signant par exemple une charte de monoparentalité, et à assurer la confidentialité des démarches. Autre point de vigilance : « Dans le cadre de la négociation avec les partenaires sociaux, l’entreprise peut décider de faire un effort pour les familles monoparentales en leur accordant un jour supplémentaire de télétravail, explique Audrey Richard, présidente de l’ANDRH. Les DRH doivent veiller à ne pas privilégier une partie des salariés. D’autres populations pourraient se sentir lésées et se désengager. » Reste que si des grands groupes semblent enfin prêts à s’emparer de cette thématique, les dispositifs de soutien à la parentalité sont loin d’être monnaie courante dans les TPE et les PME. « Les mères isolées peuvent avoir des difficultés à revendiquer leurs droits. Elles sont souvent embauchées sur des contrats précaires, elles n’ont pas d’ancienneté dans l’entreprise et elles ne sont pas prises en compte dans les dispositifs de soutien quand ils existent. Ces femmes ont aussi du mal à s’opposer à leur employeur, regrette Jocelyne Cabanal, secrétaire national à la CFDT en charge la protection sociale. Même si les syndicats n’arrivent pas toujours à les toucher, on essaie d’aller à leur rencontre dans nos permanences régionales et de leur apporter une offre de services sociale et culturelle. »

Auteur

  • Adeline Farge