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Le fait de la semaine

Relations sociales : Les chartes des plates-formes seront homologuées

Le fait de la semaine | publié le : 02.11.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Relations sociales : Les chartes des plates-formes seront homologuées

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Ni salarié, ni vraiment indépendant. Le statut des travailleurs des plates-formes numériques continue d’évoluer avec l’homologation des chartes de responsabilité sociale qui vient d’être précisée par deux décrets.

Une nouvelle étape a été franchie sur le long chemin qui doit mener vers « davantage de régulation et de dialogue social » entre travailleurs et plates-formes de livraison ou de chauffeurs VTC. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a donné la possibilité à ces plates-formes d’établir une charte de responsabilité sociale. Un décret paru le 22 octobre (n° 2020-1284) fixe les modalités d’homologation de ce document auprès de la direction générale du travail. Pour l’obtenir, il devra notamment mentionner les conditions d’exercice de l’activité professionnelle, les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir un prix décent pour leur prestation, les mesures visant à améliorer les conditions de travail, prévenir les risques professionnels ou encore les modalités de partage d’informations et de dialogue entre la plate-forme et les travailleurs sur les conditions d’exercice de leur activité professionnelle. Le décret précise aussi que les plates-formes auront l’obligation de consulter les travailleurs concernés sur le contenu de la charte.

Un second décret, paru le 26 octobre (n° 2020-1300) fixe, par ailleurs, les conditions dans lesquelles les plates-formes doivent informer les travailleurs de la distance des courses et du prix minimal garanti pour chaque prestation.

La ministre du Travail, Élisabeth Borne, a évoqué « une première étape pour réguler et rééquilibrer les relations de travail entre les travailleurs et les plates-formes ». Un point de vue que ne partage pas Kevin Motion, avocat défendant de nombreux livreurs ayant entamé des procédures pour faire requalifier leur contrat initial en contrat de travail : « Ces chartes tentent de légitimer, via le texte présent dans le Code du travail, puis l’homologation par le directeur général du travail, puis encore par la validation du tribunal judiciaire, des abus que n’importe quelle personne hors situation de faiblesse refuserait dans une situation client-indépendant. »

Aucun pouvoir sur sa facturation

L’avocat précise qu’il s’agit notamment de la fixation unilatérale des « conditions d’exercice de l’activité professionnelle », qu’il assimile à des conditions de travail, « comme dans une relation patron-salarié » ou encore « la fixation unilatérale des prix et leur modification unilatérale par la plate-forme ». Selon l’avocat, le prétendu indépendant n’a donc aucun pouvoir sur sa facturation, ni sur les modalités de dialogue entre plate-forme et travailleurs, c’est-à-dire la représentation syndicale des travailleurs. Quant à l’information sur les « changements relatifs aux conditions d’exercice », il estime qu’il s’agit de la modification unilatérale des conditions de travail, comme dans une relation patron-salarié. Reste « la qualité de service attendue et ses modalités de contrôle par la plate-forme », termes qui désignent selon l’avocat le pouvoir de contrôle de l’employeur, comme dans une relation patron-salarié.

Pour Jérôme Pimot, du Clap (Collectif des livreurs autonomes parisiens), qui devrait bientôt devenir un syndicat national affilié à la Fédération Sud-Solidaires Commerces et services, ce décret relève de la manœuvre dilatoire : « C’est un décret qui a pour but de compliquer le recours des livreurs qui voudront obtenir la requalification de leur contrat en contrat de travail. Il contribue à apporter un blanc-seing aux plates-formes au lieu de leur imposer des obligations. Elles vont pouvoir décider du prix et des conditions de travail qui sont des éléments déterminants dans la subordination. Grâce à cette charte, les plates-formes pourront faire homologuer la formule du contrat commercial par la DGT. Les chartes devront être dénoncées devant les tribunaux. Si les tribunaux les valident, cela va compliquer la tâche des Prud’hommes. »

Il estime que ce décret va contribuer à maintenir des comportements comme celui de la plate-forme Nestor : « Elle ne payait pas ses livreurs depuis plusieurs mois. Ils sont allés au siège et ils ont été payés dans l’heure, mais quelques heures plus tard, ils ont reçu un mail les informant que leurs comptes étaient désactivés. » La plate-forme Nestor indique avoir été contrainte d’appeler la police pour libérer une salariée qui était « empêchée de quitter les lieux » et avoir suspendu pour un mois les livreurs « pour manquement à leurs obligations contractuelles ». Elle ajoute que « tous les coursiers (à l’exception d’un seul) ont émis le souhait de retravailler avec Nestor à l’issue de la période suspensive » et qu’un livreur Nestor « gagne, en moyenne, 15,23 euros par heure ».

Établir les modalités du dialogue social

Franck Bonot, co-animateur de Sharers &Workers, un réseau européen qui met en relation les acteurs sociaux des plates-formes, rappelle de son côté que l’instauration d’un dialogue social pose problème depuis longtemps : « Lorsque la loi Grandguillaume était en discussion, en 2016, 19 représentants des chauffeurs VTC ont participé à une réunion. Mais les conseillers du ministre des Transports de l’époque ne savaient pas avec qui discuter. » Il estime donc nécessaire de trouver un mécanisme pour déterminer quels acteurs seront légitimes pour que puisse avoir lieu un dialogue social : « C’est un point essentiel. Nous préconisons une approche sectorielle. C’est un maillage plus pertinent que l’interprofessionnel ou l’approche par plate-forme, puisque certains travailleurs sont affiliés à plusieurs d’entre elles. »

L’un des problèmes de la représentation des travailleurs des plates-formes tient à l’asymétrie de pouvoir entre les travailleurs et les dirigeants des plates-formes. « Si ce sont des travailleurs de plate-forme qui portent les revendications de leurs collègues, ils seront dans une position de faiblesse par rapport aux revendications qu’ils pourront porter », estime Franck Bonot. Dans une entreprise classique, cette asymétrie de pouvoir est compensée par la protection des représentants du personnel que prévoit le Code du travail. « La transposer à l’univers des plates-formes serait trop complexe, estime le co-animateur de Sharers &Workers. Il serait plus intéressant que les travailleurs votent pour choisir des organisations qui désigneraient ensuite des personnes chargées du dialogue social avec les plates-formes, sur le modèle qui existe déjà pour les TPE. » Cette formule permettrait d’avoir des représentants des travailleurs sans lien direct avec les plates-formes et donc moins exposés aux effets de l’asymétrie de pouvoir entre travailleurs et plates-formes. En janvier, le Premier ministre avait confié à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, la mission de définir, avec un groupe d’experts, les différents scénarios pour « construire un cadre permettant la représentation des travailleurs des plates-formes numériques ». Les préconisations, attendues à la mi-novembre, devraient marquer une nouvelle étape dans ce dossier.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins