À l’heure où de nombreuses entreprises et des secteurs entiers sont confrontés à de grandes difficultés sur le plan du maintien de l’emploi, il peut paraître un peu incongru de poser la question du sens dans l’entreprise. Mais c’est peut-être précisément en période de forte incertitude, comme nous la vivons actuellement avec la résurgence de la pandémie, que la question du sens en entreprise prend tout son sens pour jouer un peu avec les mots. Poser la question du sens c’est en effet passer du monde des causes (la question « pourquoi ? »), qui est celui de la science et de la technologie, au monde des finalités (la question « pour quoi ? ») qui est celui des valeurs et des croyances1.

Le sens est habituellement défini sous la forme de trois acceptions : le sens comme direction ; le sens comme signification et le sens comme expérience2. Or aujourd’hui, ce dont nous avons sans doute le plus besoin dans les entreprises est un point fixe à l’horizon dans une mer que nous savons tourmentée pour encore plusieurs mois voire des années : les trois acceptions du mot sens peuvent représenter ce point fixe. Les collaborateurs veulent bien évidemment savoir où va l’entreprise dans les mois et les années à venir, ils sont également de plus en plus sensibles au rôle de l’entreprise dans la société d’où l’importance grandissante de la raison d’être, et enfin ils souhaitent que leur expérience collaborateur soit au niveau de leurs attentes dans cette période difficile. En répondant à ces trois exigences, l’entreprise peut en faire un puissant levier d’engagement comme le démontre l’exemple du groupe Yves Rocher devenu la première entreprise à mission en France en décembre 2019 avant la pandémie et qui a démontré sa capacité à définir un cap pour les années à venir y compris depuis le confinement, à affirmer le rôle de l’entreprise par sa raison d’être « reconnecter ses communautés à la nature »3 et à permettre aux 18 000 collaborateurs du groupe d’avoir une expérience conforme à leurs attentes et particulièrement durant cette période si particulière.

Pour les DRH, leur rôle dans la création du sens en entreprise est éminent comme le soulignait, il y a déjà 13 ans, un livre précurseur sur le management par le sens4. Trois champs d’intervention de la fonction RH étaient en effet mis en évidence par les auteurs pour créer du sens et renforcer l’engagement des collaborateurs : les projets sur l’éthique, la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et le marketing RH. Ces trois champs n’ont pas perdu de leur actualité bien au contraire, car les projets sur l’éthique font référence à l’acception du sens comme direction, la RSE est une illustration de l’acception du sens comme signification, et le marketing RH s’inscrit pleinement dans l’acception du sens comme expérience. Mais au-delà de ces champs d’intervention, l’enjeu pour les DRH est de faciliter le développement de situations de travail qui renforcent au quotidien le sens et l’engagement des collaborateurs : en démontrant que ces situations sont socialement utiles, moralement justifiées, sont l’occasion d’apprendre et de se développer, renforcent l’autonomie et améliorent la qualité des relations humaines surtout dans un contexte où le télétravail devient plus la règle que l’exception5.

En définitive, la feuille de route pour les DRH est ambitieuse si la question du sens dans l’entreprise devient prioritaire pour renforcer l’engagement des collaborateurs dans une période de si forte incertitude. À charge pour eux/elles d’embarquer leurs collègues du comex et l’ensemble des managers qui sont, en fait, les véritables créateurs de sens.