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Sur le terrain

Canada : Le télétravail… sous télésurveillance

Sur le terrain | publié le : 26.10.2020 | Ludovic Hirtzmann

Au Canada, si la crise sanitaire a forcé les entreprises à se convertir au télétravail, des centaines d’entre elles surveillent la productivité de leurs employés via des logiciels dédiés. Sans jamais le dire ouvertement.

Ils s’appellent Hubstaff, Time Doctor ou encore ActiveTrack. Ces logiciels surveillent la productivité des télétravailleurs canadiens. Ils mesurent le temps passé devant l’écran d’un ordinateur et les mouvements de la souris de l’employé. Ils peuvent aussi le géolocaliser et voir à distance ce qui s’affiche sur l’ordinateur de ce dernier. La plupart, comme Hubstaff, effectuent des captures d’écran. Fondée en 2012 par des Américains d’Indianapolis qui souhaitaient surveiller leurs travailleurs autonomes à distance, Hubstaff a été téléchargée par des centaines d’entreprises canadiennes depuis la crise sanitaire et propose des abonnements mensuels de traçage pour 7 dollars par mois et par employé. Pourtant, si la dizaine de logiciels sur le marché a été téléchargée par des milliers de sociétés canadiennes, un phénomène dénoncé par les médias du pays, aucune entreprise ne veut le reconnaître.

Entreprises dans le déni

Questionnée à plusieurs reprises sur l’utilisation de logiciels de cybersurveillance par la Banque de Montréal (BMO), Marie-Catherine Noël, la porte-parole de l’établissement financier, botte en touche : « Chez BMO, la mesure de performance de nos employés passe par la satisfaction de nos clients », déclare-t-elle. Et d’ajouter : « Lorsque la pandémie s’est déclarée plus officiellement, à peine 3 % de nos 4 600 employés au Québec travaillaient à distance. En quelques jours, c’est passé à 90 %. Il a donc fallu mettre en place rapidement des infrastructures technologiques sécuritaires, à tous les niveaux, pour soutenir l’ensemble des employés qui travaillent de leur domicile. » Afin de mesurer la productivité, Marie-Catherine Noël assure que l’équipe des ressources humaines de la BMO n’a procédé qu’à des sondages. « Nous avons constaté que la grande majorité de nos employés se sentaient beaucoup plus efficaces à la maison que lorsqu’ils étaient physiquement au bureau », dit la porte-parole. Même son de cloche pour la vice-présidente de la compagnie énergétique Enbridge, Tanya Mushynski. « Nous mesurons un certain nombre d’indicateurs », a-t-elle déclaré à Radio-Canada. Sans autres explications. La Banque nationale du Canada a, elle, refusé de répondre à des questions sur le sujet.

Condamnée par les syndicats

Dans un rapport, Alison Walsh du cabinet juridique Dentons, à Edmonton en Alberta, note que « malgré les difficultés que pose le télétravail, la surveillance avec un logiciel ne doit pas remplacer le management ». Le président du principal syndicat québécois, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau, rappelle que « la CSN s’oppose au principe de la télésurveillance, dans la mesure où ce type de surveillance est généralement trop invasif de la vie privée des travailleurs, et ce, même lorsqu’ils sont au travail ou encore en télétravail ». Selon le patron de ce syndicat de 323 000 adhérents : « Aucun salarié ne devrait être télésurveillé à son insu et les données recueillies via cette télésurveillance devraient être accessibles à la personne salariée ». Le cabinet Dentons demande aux managers de former les employés qui surveillent les autres pour ne pas déraper. Pour la deuxième vague du coronavirus qui vient de commencer au Québec, Marie-Catherine Noël prévoit : « Environ 70 % de nos employés seront en télétravail. Pour certains d’entre eux, un mode hybride sera implanté, soit quelques jours au bureau et quelques jours à la maison. »

Une pratique aux contours flous

Au Canada, les textes législatifs sur la télésurveillance permettent toutes les interprétations. Les lois fédérales exigent le consentement du travailleur, mais au Québec seulement, l’obligation de l’informer d’une telle pratique. Selon le patron de la CSN : « La télésurveillance doit se limiter aux seules situations de nécessité, l’employeur devrait s’assurer qu’aucun autre moyen n’est disponible pour atteindre l’objectif qui est recherché par la télésurveillance. » Dans une récente décision judiciaire qui opposait la ville de Montréal et son syndicat d’employés, un tribunal d’arbitrage a jugé la validité de la surveillance par l’équipe d’informaticiens de la municipalité statuant que le logiciel de cybersurveillance « ne cible pas en particulier un employé ou un groupe d’employés dans un lieu de travail précis, mais l’ensemble des consultations sur internet effectuées par les 22 000 employés de la ville, et ce, afin d’assurer une utilisation sécuritaire des outils et des données informatiques auxquels les employés ont accès ».

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann