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Spécial n° 1500

Un futur plus digital, plus stratégique et très humain

Spécial n° 1500 | Du chef du personnel au directeur des richesses humaines | publié le : 26.10.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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Un futur plus digital, plus stratégique et très humain

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Digital, data, transformation des entreprises, engagement et santé des collaborateurs : autant d’enjeux qui vont modeler le futur de la fonction RH et la projeter dans une nouvelle dimension, de plus en plus stratégique.

Sans surprise, le futur de la fonction RH sera en grande partie modelé par la digitalisation. Car la vie des salariés va elle aussi connaître une mutation majeure, selon Michel Barabel, professeur affilié à Sciences Po Executive Education : « L’expérience du collaborateur sera à la fois physique et virtuelle. » Ce mouvement de digitalisation devrait conduire à « une externalisation de certains métiers administratifs, mais aussi d’autres, ne serait-ce que du fait de l’offre des éditeurs qui combinent désormais outils et prestation de services », estime Aline Scouarnec, professeur à l’université de Caen. Selon elle, un deuxième scénario possible « inclut la montée en compétences globale dans le digital pour accroître la performance RH, en lien avec la data et l’IA », même si aujourd’hui la data RH reste encore insuffisamment utilisée. Cette montée en puissance sur le digital se fera de concert avec les autres directions ainsi que les opérationnels. Mieux encore : « Les RH devront aussi accompagner la montée en maturité digitale des autres métiers et tiendront un rôle de conseil », estime la spécialiste. Une telle évolution implique l’émergence de profils mixtes, combinant notamment les compétences de la data science et celles du contrôle de gestion sociale. Ce qui laisse augurer d’un futur prometteur pour cette profession, ajoute Aline Scouarnec : « C’est un métier d’avenir à condition d’avoir une vision renouvelée du contrôle de gestion sociale et des compétences data. » La maîtrise de la data sera à ce point essentielle qu’il faut d’ores et déjà les inclure dans les formations, selon des modalités qui peuvent être très variables. « Pourquoi ne pas imaginer un parcours complémentaire dans une école spécialisée comme l’école 42 ? », suggère-t-elle.

S’il prévoit lui aussi une plus forte digitalisation de la fonction RH, Michel Barabel anticipe un autre phénomène : « Il y aura également un accroissement du recours à la RPA (robotic process automation) pour automatiser les processus administratifs. Sans doute y aura-t-il beaucoup plus d’assistants digitaux pour aider les collaborateurs et leur faire des propositions pertinentes. » De quoi transformer radicalement les RH telles que nous les connaissons, postule Frédérique Giavarini, secrétaire générale du groupe Fnac-Darty en charge des ressources humaines de la RSE et de la gouvernance : « Les fonctions RH historiques comme la paie ou l’administratif vont devenir une “commodity” et seront gérées comme une usine de production. Elles ne fonderont plus la valeur de la contribution de la DRH. »

Enjeu : la qualité des données

Cet avenir centré sur la data n’est pas si lointain. « Les outils existent et sont accessibles à des prix raisonnables », estime Jérôme Nanty, DRH de Carrefour. L’essentiel de l’effort à produire porte plutôt sur la qualité des data qui permettraient d’utiliser tout le potentiel du machine learning, de l’IA, etc. « Aujourd’hui, il manque des données ou elles n’ont pas été mises à jour, déplore Jérôme Nanty. Il faut arriver à ce que tous les acteurs du processus, collaborateurs et managers, les saisissent. La question n’est pas de réunir plus d’information, mais de la compléter, de la rendre plus fiable et plus connectée. » Il souhaite notamment que les données réunies dans le cadre de l’entretien d’évaluation professionnel puissent enfin être connectées à celles relatives aux possibilités de mobilité. Cette importance croissante de la data pourrait aussi modifier profondément les relations entre RH et éditeurs de logiciels. « Il y aura de moins en moins de “cathédrales” SIRH et de plus en plus recours à des startups pour améliorer la qualité du parcours de carrière », prévoit le DRH de Carrefour.

Les attentes vis-à-vis de la data sont en tout cas très fortes. « L’irruption de la data va changer le métier, lui permettre d’aller plus loin dans la résolution des problèmes humains, souligne Rémi Boyer, DRH du groupe Korian. Dans un groupe comme Korian, l’intelligence des données peut faciliter la gestion du planning, qui est la pièce maîtresse de notre organisation. La fonction RH va ainsi gagner en légitimité dans le domaine de la gestion chiffrée. » Une position largement partagée par Frédérique Giavarini qui rappelle immanquablement que les salariés sont le premier poste de dépenses, en particulier dans les entreprises à forte intensité de main-d’œuvre : « L’analyse de la data va permettre une gestion optimisée des ressources, l’identification des talents clefs, ainsi qu’une analyse prospective qui permettra de rendre plus performants les plans de formation tout en améliorant l’employabilité des collaborateurs. L’exploitation des data va aussi permettre de recenser les compétences présentes et identifier celles qui manquent pour atteindre les objectifs visés et finalement construire les plans de formation adaptés. » Si elle salue l’émergence des outils de Strategic Workforce Planning, corollaire d’une politique data mûre, elle déplore cependant leur faible niveau d’utilisation actuel.

Vers une « société aplatie »

Autre évolution peut-être encore plus conséquente : la fonction RH pourrait devenir un protagoniste majeur des projets de transformation des entreprises. « Historiquement, c’est un domaine dévolu aux managers, reconnaît Aline Scouarnec. La fonction RH traite des conditions de travail, mais pas de l’organisation proprement dite. » Elle appelle pourtant à une transformation du positionnement stratégique de la fonction : « Les RH de demain doivent être au cœur de la transformation organisationnelle en lien avec la transformation business. Ils devront aussi accentuer l’accompagnement managérial et aller au-delà du coaching, individuel ou collectif. Il faudra aller au-delà du changement, qui marque une amélioration, pour prendre en charge la transformation. » Elle note que le sujet commence à « percer » dans certaines organisations et que les réflexions gagneraient à être menées avec les équipes business.

Chez Carrefour, une telle perspective est déjà intégrée dans la réflexion. « Le rapport au temps, à l’autonomie, à l’espace, au collectif et au lien hiérarchique a évolué », constate le DRH Jérôme Nanty.

Il en déduit que de la réponse des entreprises dépendra aussi la fidélisation des jeunes générations : « Nous allons vers une société aplatie où la verticalité n’est pas comprise. » De fait, nombre de DRH constatent que le principe d’autorité ne suffit plus et qu’il faut argumenter les décisions pour que les collaborateurs s’engagent.

Cet enjeu de transformation implique une vision, une transformation culturelle, un travail sur les métiers et les compétences. « La fonction RH est donc pleinement légitime dans un tel cadre, assure Aline Scouarnec. Ce sera sans doute le cœur stratégique de la fonction RH de demain qui aura besoin d’une vision renouvelée en lien avec la transformation et les nouvelles organisations du travail. » Elle anticipe déjà une fonction RH impliquée dans une réflexion sur le fonctionnement interne qui va intégrer plusieurs aspects : organisation, management, compétences, recrutement, rémunération, QVT, etc.

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) pourrait même se tourner vers un horizon inédit. C’est en tout cas la conviction d’Alain Petitjean, directeur du Centre d’études et prospective du groupe Alpha : « Elle va évoluer vers une dimension plus territoriale et plus directement greffée sur la notion de mobilité, interne et externe. Les salariés doivent pouvoir changer de métier à travers des groupements d’entreprises territoriaux. L’enjeu est de ne pas reporter le risque de mobilité à 100 % sur le salarié comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut pouvoir mettre en place des congés mobilité ou des systèmes de prêt de main-d’œuvre pour tester les possibilités. » À condition cependant de revenir sur les dispositions prises en 2017, qui font reposer tout le poids de la décision sur le salarié, censé définir lui-même son parcours. « Cette vision ne correspond pas à la réalité, déplore Alain Petitjean. La plupart des salariés n’ont pas une idée précise de tous les métiers ni des formations accessibles. Il faut que la mobilité soit envisagée dans une perspective positive alors qu’aujourd’hui, elle prend souvent la forme de plans sociaux. Préparer des plans de reconversion serait se placer à un autre niveau d’ambition. C’est vers l’élaboration d’une stratégie des compétences que va s’orienter la RH. »

Un tel franchissement marquerait l’ouverture d’un nouveau chapitre de l’histoire des RH. « Si cette dimension du fonctionnement devient centrale dans la fonction RH, il ne doit plus être question de DRH, mais de directeur du travail, souligne Aline Scouarnec. Le vocabulaire RH ne correspond déjà plus au périmètre réel de la fonction qui est celui du travail. » À condition toutefois de sortir d’une vision économique du travail, centrée sur l’emploi, pour adopter une vision managériale.

Transformer la culture

Loin d’être une pure spéculation, une telle perspective fait déjà son chemin. Au sein du groupe Fnac-Darty, Frédérique Giavarini défend cette option : « Dans un environnement très mouvant et incertain, il faut transformer la culture pour faciliter l’agilité. Les DRH auront un rôle d’accompagnement transverse pour mobiliser le collectif en s’appuyant sur les compétences des différentes directions. Y parvenir suppose une remise en cause des modes de management traditionnels verticaux. » Une telle démarche impliquera de « mobiliser les compétences nécessaires où qu’elles se situent dans l’entreprise, sous la forme d’appel à projet ou contribution volontaire par exemple ». Un premier pas a déjà été franchi puisque la réflexion sur le plan stratégique du groupe Fnac-Darty a été menée auprès d’un panel assez large de contributeurs.

Cette mutation des organisations, impliquant de nouveaux modes de management et d’engagement des collaborateurs, doit aussi amener la fonction RH à porter une attention beaucoup plus soutenue à la santé mentale. Une nécessité qui tient à un constat sans appel, relève Alain Petitjean : « Il y a une montée tendancielle de l’absentéisme dû au mal-être. Deux tiers des RPS ont pour origine de mauvaises relations entre collègues ou l’ambiance générale. » À quelles causes attribuer une telle situation ? « Cela tient à l’évolution des attentes des entreprises. Il y a quarante ans, elles demandaient de la loyauté, de la disponibilité et un bon fonctionnement quotidien. Depuis trente ans, elles diffusent un message sur la mobilisation et l’engagement au service de la performance individuelle. Le balancier atteint le bout de sa course. »

Créer une « troisième voie »

Avec des conséquences que nombre d’entreprises ne mesurent pas ou ne veulent pas mesurer : « Mettre en permanence la pression sur la performance fragilise la personne, y compris celle qui réussit, car elle vit avec la crainte de ne pas pouvoir toujours réaliser le niveau de performance attendu. Aujourd’hui, c’est soit le travail, soit le médecin. » Alain Petitjean estime urgent de créer une « troisième voie ». Autrement, les entreprises risquent de s’engager dans un cercle infernal : « Sinon, les salariés vont apporter de la performance sur des périodes de plus en plus courtes avant de basculer en arrêt maladie, ce qui reporte la charge de travail sur les collègues et peut déclencher un effet boule de neige. » Les salariés arrivés à un point de rupture manifeste produisent du désengagement, assure-t-il, avec un impact global irrémédiable : « Ce désengagement à la marge à un impact massif sur la performance globale de l’entreprise, or aujourd’hui, c’est sur les derniers 5 % que se fait la différence. Il faut remettre en cause cette course permanente à la surperformance. »

Il appelle les DRH à devenir les « gardiens d’un niveau de performance normal » afin de laisser « une marge pour, si nécessaire, aller concrétiser un moment de surperformance ». Reste à savoir comment y parvenir. Alain Petitjean estime que deux conditions au moins devront être réunies : « Il faudra un suivi plus fin, au-delà du suivi statistique général, afin de déceler le plus tôt possible les situations qui risquent de s’envenimer. Une politique de prévention en matière de santé mentale doit donner des temps de respiration aux salariés qui sont en difficulté. »

Les rapports entre l’entreprise et la société sont aussi appelés à une refonte majeure, assure Olivier Cagnac, DRH de ExterionMedia : « Il y a clairement aujourd’hui un rapprochement, une porosité évidente entre les aspirations exprimées ou intériorisées par les salariés dans l’entreprise et celles exprimées à l’extérieur. » Dès lors, l’entreprise « doit avoir une politique en phase avec ces attentes, à travers la QVT, mais aussi les politiques éthiques, de diversité – y compris l’accueil dans la durée de salariés de plus en plus âgés – et aussi de maîtrise des risques ». Prenant acte que désormais « les entreprises sont composées de groupes qui partagent totalement ou de manière plus éclatée des valeurs multiples », il estime que le DRH doit être « un veilleur pour mieux intégrer ces valeurs dans l’action de l’entreprise, ne serait-ce que pour rester attractif et mieux gérer les collaborateurs dans la durée ».

La multitude des exigences et l’incertitude croissante sur l’environnement placent les temps futurs sous le signe de la frugalité. Une conséquence de la succession des crises, rappelle Michel Barabel : « Les acteurs de l’entreprise vont devoir faire plus avec moins. Les budgets seront plus contraints et le recours aux prestataires va se réduire. Les fonctions RH vont devoir déployer des programmes au meilleur prix. » Et de se montrer clair sur la suite : « Le relatif confort dans lequel ont vécu les services RH de certains grands groupes fera bientôt partie du passé. » Le spécialiste souligne que ce mouvement de frugalité aura aussi une dimension environnementale croissante : « Les politiques RH vont devoir démontrer leur contribution à la société, à leur territoire et aux parties prenantes. La RSE a longtemps été considérée à part. Cette dimension va devenir de plus en plus structurante dans les politiques RH. »

Au final, pourraient bien ne rester que deux grands scénarios, selon Michel Barabel : « Plus l’environnement sera fragmenté et imprévisible, plus la situation des entreprises sera hétérogène. Cela va conduire à deux chemins pour la fonction RH. Soit elle saura se transformer en acteur crédible avec des budgets sanctuarisés, soit au pire elle disparaîtra. » Dans le meilleur des scénarios, Michel Barabel estime qu’elle « deviendra codécideur de la stratégie au même titre que les financiers, à condition de maîtriser les technologies, de produire des chiffres et en ayant à la fois une expertise sur les aspects sociologiques et psychologiques du corps social de l’entreprise ainsi qu’une capacité à analyser ». Quant aux futurs DRH, ils maximiseront leur chance de se retrouver en « bonne posture » s’ils savent « constituer une équipe très diversifiée, composée de sociologues, de juristes, de geeks, voire d’artistes, afin de pouvoir gérer une complexité croissante ». La saga de la fonction RH entame donc un nouveau chapitre de son histoire et elle a toutes les chances d’être surprenante à bien des égards.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins