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Le grand entretien

« Le levier humain est facteur de business »

Le grand entretien | publié le : 26.10.2020 | Gilmar Sequeira Martins

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« Le levier humain est facteur de business »

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Praticien expérimenté et enseignant, Gilles Verrier identifie les grands enjeux et les champs d’action possibles que la fonction RH va pouvoir investir sur les dix prochaines années. Avec une certitude : c’est l’humain qui fera la différence.

Quels sont les grands facteurs qui vont faire évoluer la fonction RH dans les dix ans à venir ?

Je distinguerai deux niveaux d’analyse. D’un côté, ce qui va faire évoluer la place du facteur humain dans l’entreprise d’ici 2030. De l’autre, ce qui va faire évoluer la part que prendra la fonction RH dans le traitement de ce facteur humain. Sur le premier aspect, le point de départ est dans l’environnement de l’entreprise qui vit des transformations économiques, sociologiques, démographiques, technologiques, sociétales et environnementales sans précédent. Ce contexte fait que le facteur humain est un levier de plus en plus puissant pour générer de la performance. Tout d’abord parce que le travail requis pour faire face à ces transformations change de nature. Pour ne prendre qu’un exemple, si vous devez répondre à des clients de plus en plus sollicités avec des attentes de plus en plus fortes et spécifiques, vous ne pouvez plus être sur du travail d’exécution, où le collaborateur applique des normes et des procédures. Vous devez développer ses marges de manœuvre et son autonomie, de manière à ce qu’il puisse faire preuve d’intelligence des situations. Ensuite, parce qu’un nombre croissant d’entreprises font la différence du fait de leurs expertises spécifiques. Et, quand nous parlons d’expertises, nous parlons bien sûr de celles des collaborateurs. Enfin, l’impact de l’engagement sur la performance est de plus en plus fort au fur et à mesure que le travail devient « travail du savoir ». Dans cette situation nouvelle, les entreprises qui sauront prendre en compte ce potentiel renforcé du levier humain disposeront d’un avantage concurrentiel. Concernant la part que prendra la fonction RH dans le traitement de ce facteur humain, rien n’est écrit. Mais nous savons bien que, selon les entreprises, le positionnement de la fonction RH est très variable, de celles où elle n’est qu’un gestionnaire cantonné à ses activités traditionnelles à celles où elle crée de la valeur en investissant les terrains de la transformation et de la stratégie.

Quelles seront les nouvelles articulations entre les trois étages de la fonction RH : administratif, expertise, maximisation des apports du facteur humain ?

Cette typologie en trois étages aide à comprendre le chemin à parcourir. Les entreprises les plus avancées auront poussé à leur maximum les logiques d’optimisation de l’étage administratif, aidées en cela par les nouveaux outils technologiques, ce qui leur permettra de dégager des moyens pour le troisième étage. Elles auront repositionné le deuxième étage, celui de l’expertise, au rang de moyen pour développer le troisième étage, celui de la contribution de la fonction RH à la création de valeur. Ainsi, en anticipant les compétences requises à trois ans pour que celles-ci servent les axes de développement stratégique, la fonction RH permet à l’entreprise d’être prête le jour venu. Et cette approche conduit à réorienter les politiques de recrutement, de développement des compétences et de gestion des parcours au service du développement de l’entreprise. Autre exemple, lorsqu’un DRH travaille l’identité employeur, non pas sous l’angle de ce qui ferait a priori plaisir aux collaborateurs ou bien sous celui de la communication, mais à partir de ce qui fera du facteur humain le levier du business, elle repositionne alors l’ensemble des politiques RH pour atteindre l’identité employeur ciblée.

Comment vont évoluer les coûts de la fonction alors qu’ils ont déjà augmenté à un taux annuel supérieur à 2 % entre 2010 et 2017 et que la fonction entre dans une phase d’acquisition technologique accélérée ?

Si la fonction RH en reste à ses deux premiers étages, 2 % c’est déjà beaucoup trop. Et effectivement les outils coûtent cher. Mais si elle mène les projets qui permettent à l’entreprise de se développer, il faut investir beaucoup plus. Plus que le coût, c’est le ratio entre valeur créée et coûts qui importe. Bien sûr, le retour sur investissement des projets RH est difficile à quantifier. Mais les entreprises qui accroissent le niveau d’engagement de leurs collaborateurs, qui développent les compétences requises demain sur leurs marchés, qui font évoluer leur culture pour l’adapter à leurs enjeux business et qui transforment leur organisation pour la rendre plus agile et plus fluide, voient bien l’impact de ces projets RH sur leur développement.

Par quelles étapes va passer l’approfondissement de la digitalisation de la fonction ?

Trop souvent, l’entreprise part de l’outil disponible pour construire une politique. Alors que ce dont il s’agit, c’est de partir d’un besoin, de l’analyser, de définir la politique qui y répond, pour ensuite identifier l’outil qui va y contribuer. Les technologies ne transforment pas, elles rendent possibles et facilitent les transformations. Il y a deux terrains sur lesquels la digitalisation de la fonction a un vrai intérêt. Le premier, déjà évoqué, est celui de l’optimisation du premier étage. Les outils disponibles permettent d’accélérer la rationalisation de ces activités, voire de certains processus RH relevant des expertises du deuxième étage. Attention néanmoins à ce que les moyens dégagés puissent être réinvestis dans les autres étages. Le second terrain, plus prometteur encore, est celui de l’utilisation de l’intelligence artificielle par les RH. Là, l’objectif n’est plus seulement de réduire les coûts. Il est d’assurer une performance augmentée. Une entreprise de grands magasins a ainsi introduit dans le recrutement de ses managers les critères caractérisant les managers recrutés durant les années précédentes et qui ont réussi. Les caractéristiques communes de cette population avaient été identifiées grâce à l’intelligence artificielle. L’utilisation de ces critères a ensuite conduit à un taux de réussite beaucoup plus élevé des nouveaux managers embauchés.

Comment va évoluer le positionnement stratégique de la fonction RH dans l’entreprise ?

Le positionnement stratégique de la fonction RH, ce n’est pas la participation du DRH au Comex ! Mais bien la valeur que crée cette fonction, et qui se mesure au niveau du chiffre d’affaires et du résultat de l’entreprise. Sur le positionnement futur de la fonction RH, il sera très hétérogène selon les entreprises. Dans certaines, elle restera une fonction régalienne, gestionnaire et administrative. Dans d’autres, elle investira les terrains qui lui permettront d’apporter cette contribution stratégique. Elle mènera les projets qui auront été identifiés comme participant à la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise. Elle ne se posera pas la question préalable de sa légitimité à intervenir sur les terrains de la transformation, de la stratégie, de l’organisation ou de la culture : elle agira ! Et au regard du potentiel qui est désormais celui du levier humain, elle permettra à l’entreprise de construire un avantage concurrentiel.

Parcours

Gilles Verrier a assuré des responsabilités RH dans plusieurs grandes entreprises (Philips, Elf Aquitaine, Unilever) avant d’occuper les fonctions de DRH et de membre du comité exécutif des laboratoires Pierre Fabre, puis de Décathlon. Fondateur d’Identité RH en 2005, il a aussi mené une activité d’enseignement et codirigé pendant dix ans les masters RH de l’Institut d’études politiques de Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Réinventer les RH, paru en 2007, Stratégie et RH : l’équation gagnante et Faut-il libérer l’entreprise ? et vient de publier, avec Nicolas Bourgeois, Les RH en 2030 (éditions Dunod).

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins