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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 26.10.2020 | Jean Pralong

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Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Crédit photo Jean Pralong

Télétravail, télédécision ?

En sciences sociales, certaines notions sont maudites : l’identité, la personnalité ou la résilience font partie de ces concepts qu’on croit comprendre et qui, en réalité, sont bien différents de la compréhension spontanée que nous en avons. La prise de décision fait bien partie des notions maudites, car elle est souvent réduite aux capacités ou aux compétences du décideur.

En réalité, une décision provient de deux séries de ressources. La première est évidemment l’information disponible sur le sujet à traiter. Ces informations sont des données, mais aussi des croyances, des habitudes et des routines, bref, tous les schémas cognitifs qu’ont déduits les individus au contact de la culture de l’organisation. Ils attirent l’attention vers des solutions routinières et la détournent d’autres. Les mécanismes de coordination entre les acteurs sont la deuxième ressource de la prise de décision. Une décision peut être négociée, discutée, commentée, votée… ou simplement appliquée « top-down. » Pour toutes ces raisons, l’analyse des décisions est un exercice utile. Elle révèle les cultures, les biais, la tentation pour le risque ou pour le conservatisme. En un mot, disséquer une décision est un excellent crash-test pour un manager ou une organisation. Et l’évolution des mécanismes de décision dans le « nouveau normal » du télétravail est un indicateur à suivre pour voir les organisations changer (ou pas).

Les efforts pour développer des organisations plus agiles et des décisions moins descendantes se heurtent à la frontière symbolique entre ceux qui décident (les cadres, les managers) et ceux qui exécutent. Il est facile de comprendre que les cadres n’aient pas le monopole de la connaissance. Il est plus délicat de partager le pouvoir et les responsabilités. Le confinement et le télétravail imposé ont nécessairement fait bouger des lignes dans ce domaine. Le télétravailleur est plus autonome, plus responsabilisé et plus isolé. La coordination interstitielle, à la machine à café par exemple, ne lui est plus accessible. Or c’est par ce canal informel que sont les mieux diffusés les besoins, les attentes, les idées et les résistances. La tentation est grande de se replier sur des moyens plus formels. Le télétravail incite au contrôle. Il adore les process bien respectés, les indicateurs bien suivis et les actions bien planifiées. La créativité et l’innovation ne sont pas ses points forts, comme s’il fallait compenser les assouplissements du cadre de travail par la rigidification des missions. Inventer de nouveaux mécanismes de coordination pour décider autrement est un enjeu pour les télétravailleurs, mais aussi pour l’agilité des organisations.

À ces dérives possibles, la digitalisation apporte les pires comme les meilleures des réponses. Ce sont les pires quand une application métier process-based, un ATS par exemple, devient l’outil de communication principal d’un service. Dans ce cas, la communication est moins que formelle : elle est standard, c’est-à-dire enfermée dans son objet. Mais la digitalisation propose aussi des outils collaboratifs. Grâce à eux, elle ouvre la voie à de nouveaux modes de coordination plus agiles, plus créatifs et moins hiérarchiques.

Ces outils ont connu des débuts difficiles et, en un mot, décevants. Conçus pour décloisonner les organisations, ils avaient fini par reproduire les canaux de communication hiérarchiques typiques des bureaucraties. Le télétravail imposé par le confinement leur donne une nouvelle jeunesse.

Auteur

  • Jean Pralong