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Emploi : La crise propice aux transferts de main-d’œuvre

Le point sur | publié le : 12.10.2020 | Lys Zohin

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Emploi : La crise propice aux transferts de main-d’œuvre

Crédit photo Lys Zohin

Face aux déséquilibres sur le marché de l’emploi – entre des secteurs quasiment à l’arrêt et d’autres qui souffrent d’une pénurie de candidats –, la loi des vases communicants commence à jouer. Certaines entreprises, victimes de turbulences, tentent de préserver, de cette façon, l’emploi et les compétences, quand d’autres améliorent leur sourcing à travers des transferts de main-d’œuvre.

La restauration est toujours mal en point, mais la grande distribution n’arrive pas toujours à suivre la demande des consommateurs. Les Ehpad souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre, tandis que l’hôtellerie attend encore les clients. L’industrie aéronautique et, dans une moindre mesure, celle de l’automobile accusent le coup de la crise, mais la métallurgie spécialisée repart, de même que l’agro-alimentaire, l’industrie pharmaceutique ou la logistique… Face à cette diversité de situations, certaines entreprises sont tentées d’effectuer des transferts de main-d’œuvre d’un secteur à un autre. « Notre rôle est d’anticiper la situation sur le marché de l’emploi, et à ce titre, nous nous sommes regroupés entre professionnels des ressources humaines pour trouver des solutions », explique ainsi Rémi Boyer, DRH de Korian. Une initiative spontanée, enclenchée d’ailleurs par Cathy Desquesses, la DRH de Sodexo, à partir de son expérience aux États-Unis, où le groupe, suivant l’exemple de sociétés américaines comme Walmart, a noué des partenariats pour réorienter certains de ses salariés, privés de tâches dans les cantines des écoles ou les restaurants universitaires fermés pour cause de Covid-19, vers des postes de manutentionnaires chez Amazon ou Unilever.

En France, Korian et Sodexo se sont rapprochés dans le même but, celui de faire passer des collaborateurs d’un secteur à l’autre. Leurs DRH ont mis sur pied, avec ceux de Transdev et d’Accor, un groupe de travail informel afin de réfléchir à des passerelles, au niveau des bassins d’emplois, en profitant de dispositifs existants pour favoriser les mobilités internes et externes et les reconversions professionnelles, notamment par la formation. Ils pourraient bientôt être rejoints par les spécialistes RH d’Air France, de Tui ou de Derichebourg. « Chacun d’entre nous pense qu’il y a quelque chose à construire. Nous discutons également avec le ministère du Travail pour voir comment l’État pourrait nous aider », précise Rémi Boyer. Car la crise économique née de la crise sanitaire a clairement rendu prioritaire le sujet des transitions professionnelles, sur fond de maintien des emplois et de développement des compétences.

Encourager le prêt de main-d’œuvre

Ce sont bien ces différents aspects qui ont inspiré à Franck Morel, senior fellow-travail, emploi, dialogue social à l’Institut Montaigne, un rapport intitulé « Rebondir face au Covid-19, neuf idées efficaces en faveur de l’emploi », publié en septembre 2020 par le think tank libéral. L’ancien conseiller social du Premier ministre Édouard Philippe préconise ainsi d’encourager le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif. « Les souplesses mentionnées dans la loi d’urgence pourraient être pérennisées », écrit-il. Il fait allusion à la loi du 17 juin 2020 d’adaptation à la crise de la Covid-19, dont l’un des objectifs est de faciliter le recours à cette pratique, d’ordinaire très encadrée en France. La nouvelle loi allège le dispositif de prêt de main-d’œuvre jusqu’au 31 décembre 2020. Ainsi, alors qu’il était nécessaire de conclure une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice pour chaque salarié faisant l’objet d’un prêt de main-d’œuvre, il n’est plus nécessaire, jusqu’à la fin de l’année, de conclure une telle convention pour chaque salarié. Les conventions pourront inclure plusieurs collaborateurs. De même, la nouvelle loi indique qu’il n’est plus besoin de mentionner les horaires d’exécution du travail du salarié prêté dans l’avenant à son contrat de travail. L’information et la consultation préalables du CSE sont également allégées. Enfin, l’exigence d’un but non lucratif est supprimée lorsque l’intérêt de l’entreprise utilisatrice le justifie, compte tenu de difficultés économiques liées à la pandémie, ou si elle relève de secteurs d’activité particulièrement nécessaires à la sécurité du pays et à la continuité de la vie économique et sociale, selon la nouvelle loi.

Développer les compétences

C’est aussi cette situation inédite à laquelle la France doit faire face qui a incité 20 dirigeants de grandes entreprises – Emmanuel Faber (Danone), Antoine Frérot (Veolia), Florent Menegaux (Groupe Michelin), Stéphane Richard (Orange) ou Jean-Dominique Senard (Groupe Renault) sans oublier ceux de Korian et de Sodexo – à plaider (dans Les Échos du 1er octobre 2020) pour le développement de plateformes d’emploi territoriales, faisant écho aux propositions du Medef (lire page 13). Après avoir lancé une plateforme commune d’offres d’alternance dans le but d’accroître le nombre d’apprentis et d’alternants accueillis dans leurs entreprises (près de 70 000 en 2020), les 20 patrons veulent « optimiser les transitions professionnelles, en assurant la protection des salariés les plus exposés et en les formant aux métiers d’avenir ». Comment ? En créant deux mécanismes complémentaires visant à « renforcer localement la résilience du marché de l’emploi ». Il s’agit, d’une part, d’une plateforme de mobilité territoriale, qui jouera le rôle d’accélérateur de transitions professionnelles et permettra de fluidifier les parcours interentreprises au sein d’un territoire, et de l’autre, d’offrir un parcours de développement de compétences qui protégera les salariés peu qualifiés et dont l’emploi est menacé, en leur proposant un cycle long de formation certifiante pour les préparer à des métiers d’avenir, tout en maintenant leur contrat de travail et leur salaire pendant la durée de la formation. Autant d’initiatives qui répondent « aux enjeux de transformation durable des entreprises et des compétences », déclarent les 20 patrons, qui concluent sur un appel aux pouvoirs publics : « Pour faire face aux tensions économiques et sociales qui se profilent, nous souhaitons mettre, dès aujourd’hui, ces deux mécanismes au service de la mobilisation engagée par les différents acteurs de l’emploi pour en accélérer l’expérimentation et le déploiement là où cela est nécessaire et pertinent, et pour enrichir le dialogue social et territorial. Nous appelons ainsi, pour en massifier urgemment le recours et l’efficacité, à leur insertion dans les dispositifs publics existants. » Nombreux sont les économistes et les dirigeants d’entreprises qui en appelaient à ce changement culturel. Reste à savoir s’il sera massivement adopté sur le terrain.

Auteur

  • Lys Zohin