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L’emprise au travail : vers la fabrique du consentement ?

Les clés | À lire | publié le : 05.10.2020 | Lydie Colders

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L’emprise au travail : vers la fabrique du consentement ?

Crédit photo Lydie Colders

Dans Les métamorphoses de l’emprise dans les organisations, ouvrage coordonné par Vincent de Gaulejac, quatorze sociologues et psychologues évoquent une « domination » des salariés devenue plus individuelle et psychologique. Un regard critique intéressant.

En quarante ans, les organisations du travail ont bien changé mais, sous l’influence du néolibéralisme, l’emprise des salariés « reste une réalité très présente et vivace », selon le sociologue Vincent de Gaulejac, qui avait étudié ce phénomène dans les années 1880 chez IBM. Dans le dernier numéro de La Nouvelle Revue de Psychosociologie, publiée par les éditions Eres, une quinzaine de sociologues et de psychologues analysent les transformations de « l’exercice du pouvoir et la domination » du management des entreprises, mais aussi les formes de résistance des salariés. On connaît certes les outils de contrôle classiques, comme les entretiens de performance ou « la culture du chiffre » qui gagne le public, sur lequel cet ouvrage revient. Mais les auteurs tirent le fil d’une emprise au travail devenue aujourd’hui plus subjective : plus que jamais, elle « passe par le discours managérial utilisant les notions d’autonomie, de responsabilité ou encore d’implication » pour mobiliser les salariés, constate le sociologue.

Valoriser l’humain au travail

À ce sujet, on pourra lire le point de vue de Danièle Linhart, qui fustige les entreprises qui se veulent « post-tayloriennes » et disruptives et « font le choix d’une surhumanisation » (chaque salarié est unique) au nom du changement technologique. Selon elle, cette fabrique du « consentement » personnel, cette sollicitation de l’ego (challenges d’équipes, politique RH du bonheur au travail) a surtout pour objectif « de décrocher les salariés de l’identité collective que le travail confère ». Une emprise aisée, « car il est plus facile d’amadouer et de convaincre un individu » que de gérer des conflits collectifs, écrit-elle. À la marge, les auteurs montrent que les salariés ne sont pas dupes de cet état d’esprit (voir l’étude sur « l’imposture » de la novlangue managériale d’Agnès Vandevelde-Rougale). Mais, plus intéressant, ils pointent le virage insidieux vers « l’autoemprise ». À lire notamment, cette analyse subtile de deux psychologues cliniciens au sujet d’une formation chez des urgentistes. Ces stages visant « à mettre de côté ses émotions » pour se protéger sont une sorte « de répression douce » qui atteint l’intime, dénoncent-ils. Par extension, ils s’interrogent sur la manipulation de la psychologie positive, qui renverse les causes : du bonheur de l’individu dépendrait son bien-être au travail, et non l’inverse. « Voir le verre à moitié plein » permettrait de mieux supporter des conditions de travail difficiles ou des réorganisations. Jusqu’à un certain point, tout de même…

Auteur

  • Lydie Colders