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Le grand entretien

« La crise sanitaire a révélé l’utilité sociétale des entreprises »

Le grand entretien | publié le : 28.09.2020 | Lys Zohin

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« La crise sanitaire a révélé l’utilité sociétale des entreprises »

Crédit photo Lys Zohin

Que retenez-vous de la crise sanitaire que nous venons de traverser ?

Elle a mis le projecteur sur des faits que personne ne voulait voir ni entendre avant : en ce sens, la crise a fonctionné comme un système de preuve. Preuve d’abord que les risques identifiés peuvent survenir ! Le risque de pandémie avait été maintes fois pointé par différentes organisations internationales, qui mettaient en garde l’humanité contre la possibilité de tomber dans les mêmes affres que la pandémie de grippe espagnole de 1918, et qu’une épidémie d’une telle gravité se propagerait aujourd’hui beaucoup plus rapidement et à plus grande échelle, avec de graves conséquences sur l’économie mondiale… Ce n’est pas l’analyse des risques qui doit sortir renforcée de cette crise mais notre capacité à y croire : il faut accepter de penser l’impensable pour produire des systèmes de prévention efficaces.

Révélatrice, la crise sanitaire l’a été également de l’utilité sociétale des entreprises. Elles se sont mobilisées pour trouver rapidement des solutions, les unes en transformant leur appareil de production pour faire du gel hydroalcoolique ou des masques, les autres en s’associant pour fabriquer des respirateurs. Se faisant, elles sont entrées de plain-pied dans l’économie de la fonctionnalité et ont fait l’apprentissage de formes contractuelles inédites. Tout ce qui paraissait difficile et complexe dans la mise en œuvre de nouveaux modèles a été bousculé au nom de l’urgence : des recettes qu’il faudrait analyser et appliquer par temps calme pour accélérer le passage à l’échelle, notamment en matière d’économie circulaire ou de partenariats public-privé. La solidarité et la contribution à la gestion de l’urgence se sont exercées de bien des manières : un certain nombre de dirigeants ont réagi en baissant leur rémunération, en révisant ou en suspendant les dividendes versés aux actionnaires et en mettant en place des fonds de solidarité, vis-à-vis de salariés comme des petites entreprises. Au cœur de la crise, ce sont les rôles respectifs des acteurs publics et des acteurs privés qui se sont combinés et définis de manière nouvelle et animés par la même volonté : servir l’intérêt général. Une reconfiguration des rôles qui dessine un écosystème d’un nouveau genre et dont on peut penser qu’il laissera des traces.

Comment les entreprises peuvent-elles capitaliser sur cette nouvelle perception ?

Il va s’agir d’entretenir, désormais, ce capital d’utilité sociale. Et cela inclut évidemment les collaborateurs, qui ont vu, surtout chez ceux qui effectuaient des tâches essentielles pour la santé et l’économie, le sens de leur travail renforcé. Il reste aux entreprises qui, de mon point de vue, ont bien cela en tête, à utiliser ces leviers de mobilisation pour leur performance, aussi bien financière que sociétale.

Et si elles se concentrent essentiellement sur la reprise économique ?

La tentation est grande ! Cela dit, il s’agit désormais d’intégrer ou de renforcer la dimension environnementale et sociétale dans leurs activités, d’autant que l’opinion publique le souhaite. Les citoyens ont compris le lien entre environnement et crise sanitaire. Et les entreprises mesurent elles-mêmes cette prise de conscience. Il leur reste à faire la synthèse de ces différentes injonctions. Début mai, l’Ifop a interrogé les Français sur la crise et les mesures à déployer pour relancer le pays. Non seulement il apparaît que la crise a entraîné une prise de conscience plus forte concernant les enjeux de développement durable, mais en plus, que la légitimité des entreprises comme acteurs pouvant se substituer à l’État a été largement renforcée dans plusieurs situations. Une stratégie du Made in France et une responsabilité dans le développement d’une société plus respectueuse de l’environnement sont, selon les répondants, deux priorités essentielles à cultiver pour les entreprises à l’issue de la crise sanitaire. La demande citoyenne pour l’émergence d’un monde davantage conscient de l’environnement et plus équitable se fait d’ailleurs jour un peu partout dans le monde.

Quelles sont les actions de l’Orse dans ce domaine ?

Nous sommes un relais des attentes sociétales. La crise a servi de laboratoire à de nouvelles pratiques. Elle a, par définition, stoppé les déplacements. Les politiques de déplacement sont revisitées dans un certain nombre d’entreprises : évaluation comparative des empreintes environnementales des différentes modalités de transport, promotion des modalités douces, optimisation des voyages d’affaires, etc. Même chose pour le télétravail. Les collaborateurs qui ont dû réaliser, pour nombre d’entre eux, l’intégralité de leurs tâches chez eux, ne vont sans doute plus se contenter d’une seule journée de travail par semaine. De quoi gagner en temps de transport mais aussi en empreinte carbone. Au-delà, c’est toute la question de la valeur travail qui est réinterrogée. Enfin, d’autres thèmes vont probablement émerger, en lien avec la volonté de relocalisation qui est aussi un enjeu d’ancrage territorial et d’économie circulaire. Au fond, la crise autorise à dire : se transformer pour s’inscrire dans des modèles plus résilients, c’est possible, on l’a fait ! Cette transformation est d’autant plus importante qu’elle correspond à de nouvelles attentes et qu’elle séduit les investisseurs : les fonds durables ont d’ailleurs surperformé par rapport aux fonds classiques pendant la crise.

Comment les entreprises vont-elles avancer sur le chemin de la RSE ?

Aussi bien en entretenant un dialogue avec les autorités sur les filières de production décarbonées qu’en faisant de la formation et en détectant des opportunités de conquête de nouveaux marchés grâce à l’innovation. Certes, tout ce qui a été initié pendant la crise ne va pas rester et je ne suis pas en mesure de dire ce qui le sera pour l’instant, mais nous avons à tirer des conséquences vertueuses pour la suite et la reprise économique.

Quelle devrait être la stratégie du gouvernement ?

L’équation est difficile, puisqu’il lui faut à la fois gérer un pouvoir d’achat en berne et faire en sorte que les consommateurs adoptent des comportements respectueux de l’environnement. Mais le green deal européen tout comme l’affirmation de la volonté d’une relance verte sont de nature à dessiner un nouveau chemin, pour peu que la vision des enjeux devienne véritablement transversale et systémique.

Etes-vous optimiste sur l’émergence d’un nouveau modèle économique ?

Je veux croire qu’une prise de conscience collective et individuelle va se produire, nous avons des ressources, nous avons prouvé dans nos entreprises que nous pouvions être agiles, innovants, solidaires durant cette période. Un nouveau modèle avec un partage de la valeur, notamment, l’instauration de dialogue entre le secteur public et le secteur privé, entre les grandes entreprises et les plus petites. Des nouvelles formes de coopérations aussi : entreprises, start-up, associations, peuvent participer à cette renaissance. Cela passera sans aucun doute par l’échelon du territoire.

La raison d’être, dont certaines entreprises se sont dotées, joue-t-elle un rôle ?

Absolument ! Plus qu’un outil, c’est une boussole, et qui permettra de passer à la vitesse supérieure dans les domaines que nous venons d’évoquer. Et je suis convaincue, en observant que de plus en plus d’entreprises travaillent sur les aspects sociaux (que ce soit sur le dialogue social ou la flexibilité des modes de travail), sociétaux, environnementaux et territoriaux, que les dirigeants d’entreprise, en France, sont en avance sur l’invention d’une autre manière de faire et de produire.

Parcours

Depuis janvier 2020, Hélène Valade est directrice développement environnement chez LVMH. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris, elle est également détentrice d’une maîtrise de sciences politiques et d’un DEA d’histoire contemporaine.

Elle a débuté sa carrière en 1991 au sein de sociétés de sondages et a successivement dirigé le département Opinion publique de l’Ifop, puis le Pôle Opinion de TNS Sofres.

Elle rejoint le groupe Suez environnement en 2005, en tant que directrice du développement durable de la Lyonnaise des eaux. En 2008, elle prend également en charge la déontologie et la prospective. De 2014 à décembre 2019, elle est directrice du développement durable de Suez.

Cofondatrice du Collège des directeurs du développement durable (C3D) en 2007, elle en a été la présidente à partir de 2009 et en est vice-présidente actuellement. Depuis 2015, elle est administratrice de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse) et depuis juin 2018, présidente de l’Orse. Elle a par ailleurs présidé la plateforme RSE de France Stratégie entre 2016 et 2017.

En reconfigurant les rôles des acteurs privés et publics, la crise sanitaire ouvre la voie à des actions en matière de RSE toujours plus soutenues dans les entreprises, afin d’entretenir leur capital d’utilité publique, sociétale et environnementale.

Auteur

  • Lys Zohin