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Le fait de la semaine

Dialogue social : La négociation télétravail sur les rails

Le fait de la semaine | publié le : 28.09.2020 | Benjamin d’Alguerre, Gilmar Sequeira Martins

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Dialogue social : La négociation télétravail sur les rails

Crédit photo Benjamin d’Alguerre, Gilmar Sequeira Martins

Le Medef vient de donner son feu vert à l’ouverture d’une négociation sur le télétravail. Celle-ci, qui doit s’ouvrir le 3 novembre, sera l’occasion de ripoliner et d’harmoniser des textes plus anciens désormais surannés, mais aussi de permettre aux entreprises et à leurs salariés de faire évoluer l’organisation du travail.

Le patronat aura hésité, mais finalement cédé. Lorsque le 22 septembre, peu après 13 heures, à l’issue de l’ultime pause de la dernière journée de concertation sur le télétravail, Hubert Mongon, chef de file du Medef, s’est rassis devant sa webcam pour faire connaître la position patronale aux organisations syndicales réunies en visioconférence, c’était pour leur annoncer la bonne nouvelle : le Medef consentait à ouvrir une négociation sur le télétravail susceptible de déboucher sur un accord national interprofessionnel (ANI). Et pas seulement sur le seul « diagnostic paritaire partagé » dont voulait initialement se contenter l’organisation de Geoffroy Roux de Bézieux. Avec une réserve de taille : l’accord sur lequel les partenaires sociaux s’entendront peut-être en bout de course ne devra être ni « normatif », ni « prescriptif ». Comprendre : l’ANI final ne devra pas comporter d’éléments contraignants pour les employeurs. « Cette demande du patronat risque d’être le point noir de la future négociation », indique Cyril Chabanier, président de la CFTC, une organisation qui avait choisi de boycotter la dernière séance de discussions, faute d’engagements patronaux sur son évolution en vraie négociation. Toutefois, les organisations syndicales s’accordent à reconnaître les concessions faites par le patronat dans la dernière ligne droite de la concertation. « Là où leur texte initial était très centré sur le caractère managérial du télétravail, le projet de diagnostic partagé qu’ils nous ont transmis en dernière séance était beaucoup plus ouvert sur le dialogue social », reconnaît Catherine Pinchaut, la négociatrice CFDT. De quoi laisser augurer d’une négociation consensuelle ? « Il sera difficile d’imaginer un ANI sans caractère normatif, mais nous saluons le changement de position du Medef sur plusieurs points, notamment sur la nécessité de toiletter le précédent accord télétravail de 2005 devenu désuet, mais surtout contredit par les ordonnances Travail de 2017 », reprend Cyril Chabanier.

Les entreprises « peu pressées » de négocier des accords

Ainsi la prise en charge financière des frais des salariés liés au télétravail était-elle prévue dans l’ANI 2005… mais annulée par les ordonnances. La négociation qui s’ouvre le 3 novembre devra trancher même si d’autres syndicats non négociateurs comme l’Unsa craignent qu’une négociation qui ne sortirait pas du cadre tracé par le Medef n’accouche que d’un simple « guide des bonnes pratiques », sans portée impérative.

Pour justifier son refus d’un accord « prescriptif », le Medef se retranche derrière les quelque 500 accords télétravail signés depuis le début de l’année par les entreprises qui n’ont nécessité ni chapeautage par un ANI, ni production de normes nouvelles, laissant le stylo aux seuls partenaires sociaux. « Sauf que la réalité post-confinement montre une rapide décrue de la pratique du télétravail », objecte Antoine Rémond, directeur adjoint du Centre d’études & Prospectives du Groupe Alpha. « Celle-ci est passée de 25 % des salariés en mai à 17 % en juin, puis à 10 % en juillet. Une tendance inverse à celle observée dans d’autres pays, comme en Grande-Bretagne par exemple. » Les patrons français seraient-ils pressés de faire revenir leurs salariés dans les locaux ? En tout cas, « les entreprises ne s’empressent pas de conclure des accords sur le télétravail ». Pourquoi ? D’abord pour des raisons organisationnelles, explique Antoine Rémond : « Les employeurs ont dû gérer le déconfinement et le retour sur site, les congés, le chômage partiel. » L’incertitude du cadre juridique en l’absence d’ANI joue aussi. Et maintenant que le principe de la négociation est entériné, les employeurs sont tentés d’attendre ses conclusions… « Négocier un accord ne se fait pas en quelques jours, surtout pour les entreprises qui prennent le temps d’un retour d’expérience, d’autant que les discussions sur le télétravail interviennent souvent simultanément à des projets immobiliers ou peuvent être incluses dans le cadre de négociations plus globales comme la QVT ou le temps de travail. »

Sans oublier le caractère inhabituel de l’environnement actuel, ajoute Marie Bouny, directrice de la practice Performance sociale de LHH : « Il est délicat de négocier un système pérenne de télétravail alors que nous sommes toujours en situation exceptionnelle de crise sanitaire. » En arrière-plan de ces obstacles conjoncturels persistent d’autres freins, note François de Jouvenel, délégué général de l’association Futuribles International, l’une des organisations consultées par les partenaires sociaux pendant la concertation. « Ces obstacles sont toujours les mêmes : disponibilité ou non des équipements nécessaires pour entretenir des échanges et une collaboration fluide, mais aussi persistance d’une culture du travail en présentiel dont le monde de l’entreprise a du mal à s’éloigner. » Le déclin massif du télétravail depuis le déconfinement marque-t-il un simple retour à l’ancien système ? Pour Antoine Rémond, le futur n’est pas écrit. « La reprise des contaminations au Covid-19 et les incertitudes au niveau sanitaire devraient inciter les entreprises à se doter rapidement d’accords de télétravail. Par ailleurs, il y a un mouvement général de développement du télétravail dans les autres pays et la France ne restera pas à l’écart. »

Un « outil juridique idoine » pour le télétravail

Faut-il pour autant se doter d’un nouvel ANI ? L’ANDRH aurait préféré laisser les mains libres aux partenaires sociaux au niveau de l’entreprise. Sauf que les textes antérieurs sur lesquels ces derniers s’appuieront pour négocier commencent à dater, relève Marie Bouny : « Le télétravail est devenu un phénomène de société avec de multiples implications : territoriales en lien avec des questions environnementales, immobilières, de mobilité… Il est, dans un contexte de crise sanitaire, devenu un dispositif barrière pour protéger les salariés et assurer la continuité de l’activité. Il est également un levier d’attractivité et s’inscrit dans une forme de modernité qui vient faire évoluer l’organisation du travail et les modèles managériaux. Ces éléments doivent être appréhendés dans les accords sur le télétravail. » À ses yeux, conclure un accord au niveau interprofessionnel serait « indispensable, car [cela] aiderait les PME, très nombreuses dans le tissu économique, à mieux déployer le télétravail ».

Pour Paul-Henri Antonmattei, professeur de droit du travail à l’université de Montpellier, si les accords d’entreprise constituent « l’outil juridique idoine » pour organiser le télétravail, le système qui les encadre présente encore des lacunes. Selon cet ancien avocat associé du cabinet Barthélémy, les partenaires sociaux seraient bien inspirés de plancher sur un système juridique complet sur le télétravail qui « devrait traiter des questions d’hygiène et de sécurité, pour éviter de se trouver dans des situations de non-respect de la réglementation actuelle, mais aussi des sujets liés à la prise en charge des coûts liés au télétravail. Les partenaires sociaux pourront aussi enrichir la liste des garde-fous puisqu’ils ont annoncé vouloir aussi discuter du volontariat, de la réversibilité et du coworking ». La question des tiers-lieux, ces espaces mis à disposition des indépendants et des télétravailleurs devrait aussi s’inviter dans la négociation à venir. Selon Catherine Pinchaut (CFDT), il s’agirait d’une occasion « de placer l’échelon territorial au cœur du dialogue social ».

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre, Gilmar Sequeira Martins