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Gestion RH : L’évolution de carrières est en panne de modèles

Le point sur | publié le : 21.09.2020 | Catherine Abou El Khair

Femmes, personnes de couleur, travailleurs handicapés restent encore à l’écart des postes à responsabilités. Pour donner l’exemple, les entreprises cherchent à identifier les rares rôles modèles qui ont réussi à percer.

Ancien membre du comité exécutif de Total et conseiller du président Patrick Pouyanné, le Sénégalais Momar Nguer se sent bien seul parmi les instances dirigeantes du groupe pétrolier. Pour relancer les politiques de diversité, certaines sociétés essaient malgré tout de promouvoir des rôles modèles, ces profils sous-représentés dans le monde du travail qui ont réussi à percer chez eux. « L’idée du rôle modèle est de montrer qu’il est possible d’évoluer dans l’entreprise, même quand elle manque de diversité », explique Guy Tisserant, fondateur de TH Conseil, un cabinet spécialisé dans le handicap et la diversité. Encore faut-il identifier ces profils, plutôt tentés de raser les murs. Intronisé rôle modèle par l’Autre Cercle, une association de défense des droits des LGBT, Sébastien Petit, aujourd’hui directeur marketing digital Europe chez l’éditeur de jeux vidéo Blizzard, confie avoir caché son homosexualité dans les premières entreprises où il est passé. Responsable dans le service RH d’un grand groupe de distribution et malentendante profonde, Juliette* a mis du temps avant de parler de son handicap. « Mais aujourd’hui, quand la directrice diversité me sollicite pour une interview en interne, je me porte toujours volontaire », explique la trentenaire.

Manque de formation

« Parce que je suis une femme noire issue de la diversité, on veut me mettre en lumière pour montrer que l’entreprise est multiculturelle. Ce n’est pas une démarche totalement bienveillante », estime Johanna1. Âgée de 34 ans, cette responsable commerciale d’origine antillaise chez un éditeur de logiciels n’est pas dupe quand son manager souligne la diversité de ses équipes en la prenant à témoin. « On a un vrai manque dans la formation des managers, autour des notions de diversité et d’égalité. Mon milieu est très dur, avec la pression d’atteindre des objectifs. C’est inconfortable pour beaucoup de personnes, dont des femmes. On travaille à prendre en considération les retours de congés maternité ou à inciter les hommes à les prendre eux aussi. Mais en France, c’est encore très mal perçu », constate-t-elle.

Aujourd’hui directeur technique de Dataiku, une licorne française spécialisée dans la donnée, Joël Belafa insiste sur la démarche proactive que doit adopter l’entreprise pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Originaire du Cameroun, ce geek trentenaire est un autodidacte qui a commencé à travailler dès 19 ans, avec pour seul bagage son bac S. Et une particularité, celle d’être atteint d’albinisme, ce qui lui a valu nombre de moqueries, voire des discriminations dans les entreprises où il a travaillé. Des expériences qui l’ont inhibé. « Je n’ai jamais demandé d’augmentation, de promotion ou de formation. J’ai toujours été payé 20 % à 30 % de moins que mes collègues », témoigne-t-il.

Des normes qui excluent

À l’opposé, Katia Efitier souligne l’impact de certains actes managériaux pour faire émerger les diversités. « À certaines étapes de ma carrière, mon potentiel a été reconnu avant même que je m’en rende compte. Je n’ai pas candidaté à mes premiers postes de direction. On est venu me les proposer », explique cette femme de 49 ans, d’origine antillaise, qui a gravi les échelons chez American Express (950 salariés en France). Elle est aujourd’hui directrice des comptes globaux et membre du top management de l’entreprise américaine. « Les femmes attendent souvent d’être parfaites pour postuler, là où les hommes vont moins hésiter. C’est pourquoi je leur répète régulièrement qu’elles sont en capacité d’y arriver. » Ce qui, espère-t-elle, permettra de relever le taux de femmes cadres, inférieur à la part des femmes dans l’entreprise (52 % contre 60 %).

« Les femmes ne peuvent pas aller trop loin dans leurs revendications, car, sinon, on leur coupe les vivres. Mais il faut aussi qu’elles soient force de proposition pour changer les choses », reconnaît Emmanuelle Gagliardi, cofondatrice de Connecting Women, une agence spécialisée dans la mixité. Elle en veut pour preuve la difficulté à remettre en cause des normes telles que l’ultramobilité professionnelle requise pour atteindre les sommets. Des modèles de carrière qui les excluent de fait. « Il y a une hémorragie des femmes de 40 ans ou plus qui quittent ces entreprises. Elles ne voient plus comment évoluer sans sacrifier tout ce qui est important », estime cette connaisseuse des réseaux féminins.

(1) Par souci d’anonymat, les prénoms ont été changés.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair