Le nez dans le guidon, la tête dans les étoiles. C’est le grand écart auquel sont soumis aujourd’hui les responsables des ressources humaines. Après le DRH protecteur de la crise sanitaire, les voici dans un rôle moins flatteur d’accompagnateur de la gestion de l’emploi, mais, aussi, de concepteur de nouvelles façons de travailler dont les salariés sont demandeurs. Reste que beaucoup s’interrogent sur ce monde d’après…
Frédérique Giavarini (Fnac-Darty) : On entend beaucoup de discours sur le monde d’après, ses nécessaires changements plus ou moins radicaux… Je suis un peu pessimiste sur la conciliation des exigences court-termistes et des évolutions nécessaires pour gérer les risques climatiques, pandémiques… Il y a un risque que le monde d’après soit pire que le monde d’avant ! Faire les choses autrement requiert beaucoup de courage aujourd’hui, car les attentes des investisseurs n’ont pas changé par rapport à la période d’avant crise. Je suis donc dubitative même si je n’ai pas un caractère pessimiste.
Serge Derick (BPCE) : Je suis quelque peu sceptique sur des changements spectaculaires. Nos entreprises sont avant tout tirées, et logiquement, par l’économie. En conséquence, il est difficile de changer rapidement les modes de management et les organisations avec de nouvelles prises de risques. D’autant que, si l’on prend le secteur bancaire, les banques françaises restent très solides, certes, mais leur priorité sera à la consolidation ou la reconstitution de leurs fondamentaux. Certaines convictions récemment acquises risquent de s’étioler rapidement – entre l’intention et la capacité effective à changer au quotidien. Même si je reste convaincu qu’il faut mettre les salariés au cœur des entreprises et piloter la performance humaine et sociale.
Olivier Carlat (Veolia) : Avant de penser le jour d’après, il va falloir faire face « aux jours d’avec » qui peuvent être plus ou moins difficiles selon les secteurs d’activité, nous le voyons clairement bien au-delà de Veolia. Nous aurons bien sûr à tirer les enseignements de cette crise. Notre raison d’être, nos valeurs seront des leviers majeurs. Nos métiers ont démontré leurs impacts. Ils seront encore plus essentiels demain.
Cathy Desquesses (Sodexo) : Une fois encore, la crise est un accélérateur de tendances. Elle accélère la digitalisation et le retour au local. Plus que jamais, les gens vont évoluer sur un périmètre beaucoup plus restreint. On le voit dans les échanges internationaux, les voyages, dans la façon de consommer. La durabilité va être mise en exergue. Chez Sodexo, par exemple, 30 % de nos menus vont être composés à base de plantes d’ici 2022, c’est un engagement que l’on s’est donné. Il va y avoir de la frugalité, alors la question que nous devons nous poser en tant qu’entreprise est « comment nous contribuons à la collectivité autour de la durabilité ». C’est un sujet sur lequel nous avions commencé à travailler avant la crise, et qui est inscrit dans notre feuille de route, mais qui prend aujourd’hui encore plus d’acuité.
Jérôme Leparoux (Daher) : Nous sommes avionneur et équipementier aéronautique. Or, nous venons de vivre dans un monde sans avions et même presque sans voitures. Le niveau de pollution a baissé drastiquement. Cela interroge tout le monde, hors de l’entreprise et dans l’entreprise ! Il faut donc établir une nouvelle légitimité pour nos activités, à l’aune de ce que nous venons de vivre. Ce n’est qu’un exemple, et nous travaillons au développement de technologies qui permettront de « décarboner » le transport aérien.
Dominique Laurent (Schneider Electric) : Notre stratégie ressort confortée par cette crise : plus de digital et plus de multilocal. Être le plus multilocal des leaders globaux. Allier la force d’une stratégie globale très visionnaire et disposer de fortes capacités et compétences dans les 90 pays où nous opérons pour en assurer un parfait déploiement. Cette crise, c’est le retour de la gestion locale au plus près du terrain. Il est du reste intéressant de voir les régions et les villes émerger dans cette fin de crise. Schneider Electric a été agile dans cette crise, car disposant d’une capacité à agir et agir bien, très localement.
Jérôme Nanty (Carrefour) : Des crises ont lieu régulièrement. Celle de 2020 pose la question de la limitation du risque pandémique. Le « monde d’après » doit adopter une posture d’anticipation et de protection par rapport à ce risque. À la crise sanitaire succède une crise économique. Les réponses apportées doivent être très conjoncturelles pour limiter puis effacer l’impact économique de la crise. Le « monde d’après » doit nous permettre d’éviter de revivre ce que nous avons vécu !
Xavier Chéreau (PSA) : De plus en plus, nous allons vers une organisation de communautés plutôt qu’une organisation verticale. Donc tous les outils digitaux sociaux vont être majeurs dans l’animation de l’entreprise. Le groupe PSA est leader en matière de CO2 sur nos produits. Nous avons démontré notre capacité à réagir et à proposer des véhicules conformes à l’attente de nos clients et à la législation. Maintenant, il faut aussi pouvoir continuer à avoir une liberté de mobilité individuelle et les voitures sont une réponse positive à ce besoin. On le voit dans les grandes villes où les transports en commun soulèvent des questions de sécurité sanitaire et génèrent du stress. Mais se déplacer dans des véhicules conformes aux contraintes environnementales répond à une partie de ces craintes. Charge à nous de proposer les bons produits. Mais réduire notre empreinte immobilière répond aussi à la réduction de notre « carbon footprint ». Avoir moins de déplacements domicile-travail y contribue également.