Jusqu’au 19 janvier 2021, date du premier forum de la transformation RH, organise par entreprise & carrières, liaisons sociales magazine et Nextstep, Benedicte Tilloy tiendra, tous les quinze jours, cette chronique de la vie au travail à l’ère du coronavirus. Cette spécialiste des ressources humaines y décrira les bouleversements dans nos existences de travailleurs, avec sérieux et légèreté. et en couleurs puisqu’elle manie aussi bien le stylo que le pinceau !
Le ciel est laiteux.
À travers la fenêtre, les feuilles du marronnier d’en face sont toutes du même vert délavé. Pas de relief, pas de jeu d’ombres et de lumières. Juste du vert vert.
Le canapé fait la gueule, les coussins sont de travers et la maison a l’air de s’ennuyer.
Quand on travaille dans une salle à manger vitrée, on aspire l’ambiance de l’extérieur : quand il fait vilain dehors, il fait aussi vilain dedans. Rentrée depuis 15 jours, les vacances sont loin.
Elle est mal assise et parle à son écran. « Ah non pas maintenant ! », lui dit-elle, en réponse à la notification qui lui propose d’installer la dernière version de son navigateur. Elle s’est exprimée à voix haute, depuis qu’elle télétravaille, elle a pris l’habitude de lui faire la conversation. Personne à qui parler, sinon.
Il lui reste vingt minutes avant son call. Vingt minutes exactement pour rédiger trois e-mails et lire la note envoyée hier tard dans la soirée par Rémy, lequel Rémy croit sans doute qu’à 22 heures elle ne rêvait que de prendre connaissance de la politique de rémunération du groupe. Mine de rien, il vaudrait mieux qu’elle commence par ça. Le truc fait au moins trois pages et Rémy n’a pas la prose fluide. Le lire est même souvent un pensum.
Elle n’y est pas depuis deux lignes qu’elle est interrompue dans sa lecture par la sonnette de la porte d’entrée. En regardant par la fenêtre, elle aperçoit le facteur qui s’apprête déjà à lui mettre un avis de passage dans la boîte aux lettres. Le temps d’enfiler des chaussures et de descendre lui ouvrir, le préposé a tourné le coin de la rue. Il faudra en plus de tout le reste aller faire la queue à la poste pour récupérer une lettre recommandée, sans doute de la direction générale des impôts qui lui rappellera qu’elle a laissé passer les échéances.
Back to Rémy, enfin retour à sa note, tellement indigeste… Encore cinq minutes pour une lecture en diagonale. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas inspirant. N’en rajoutons pas dans sa galère, quand vient l’instant de se connecter, elle est à jour sur ce qu’elle doit savoir. Ouf !
À peine sa caméra branchée, voici que s’invite en plein écran un Rémy tout sourire, qui pose en chemise blanche devant une bibliothèque si parfaitement rangée, qu’en penchant la tête, on pourrait lire les titres des livres sur leur tranche. Puis on voit Gilles, ou plutôt son crâne frisé et sa couverture à carreaux, et enfin Marie-Pierre, les écouteurs dans les oreilles. Marie-Pierre, elle est debout dans son entrée, ses gosses dans ses jambes, elle enfile sa veste d’une main pendant qu’elle tient son smartphone de l’autre. Elle s’apprête à conduire les enfants à l’école et elle suivra le call pendant le trajet.
Ils sont finalement tous les quatre, prêts à attaquer la journée. Chacun dans son cadre et tous ensemble dans la même fenêtre.
Les échanges commencent par un rituel bien rodé. Chacun doit noter son humeur sur une échelle de 1 à 10. Rémy démarre par un 9 flamboyant, la méthode Coué sans doute, l’enthousiasme est sa principale qualité, parfois désespérante pour les autres, Marie-Pierre est à 8, et elle, Carine, elle pose un 8 aussi. Et voilà que Gilles les surprend tous en abattant un 4. En effet, il n’a pas l’air dans son assiette, et ce ne sont pas seulement les reflets bleutés de son écran qui lui altèrent le bronzage… ?
(à suivre)