logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Emploi : Des contrats aidés pas si aidants

Le point sur | publié le : 14.09.2020 | Benjamin d’Alguerre

Image

Emploi : Des contrats aidés pas si aidants

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Pour relancer l’emploi des jeunes, le gouvernement a ressorti les contrats aidés destinés au secteur de l’économie sociale et solidaire. Mais, après la grande purge de 2017 sur les emplois d’avenir et les contrats uniques d’insertion, le principal levier à la disposition de l’exécutif reste le parcours emploi compétences, un dispositif qui n’a pas percé auprès des employeurs associatifs.

Il est des crises qui réveillent les consciences. Alors que 750 000 jeunes s’apprêtent, en ce mois de septembre, à tenter d’entrer dans un marché du travail fortement dégradé par les conséquences de la pandémie de Covid-19, les emplois aidés retrouvent grâce aux yeux du gouvernement. En 2020 et 2021, l’exécutif devrait ainsi sortir de son chapeau, dans le cadre du plan de relance de l’emploi des jeunes, 60 000 nouveaux parcours emploi compétences (PEC) et 135 000 contrats liés au secteur de l’insertion par l’activité économique (soit 35 000 de plus qu’initialement budgétés dans le cadre du pacte de l’IAE). Un retour en grâce pour un dispositif d’emplois subventionnés qui n’avaient plus réellement la cote depuis 2017. À l’époque, la mode était plutôt à leur dépréciation. « C’est le dispositif le moins efficace des politiques de l’emploi », avait affirmé l’ancienne ministre du Travail Muriel Pénicaud pour qualifier les emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion-contrats d’accompagnement vers l’emploi (CUI-CAE) et contrats uniques d’insertion-contrats initiative emploi (CUI-CIE). Ces emplois étaient accusés de ne faire baisser le chômage « qu’artificiellement », de maintenir leurs bénéficiaires dans une forme de précarité et, surtout, de ne pas être le tremplin espéré vers l’emploi durable puisque « seules 26 % des personnes trouvent ensuite un emploi ». Conséquence : dès 2018, ces contrats s’étaient vus supprimés et remplacés par un dispositif unique, le PEC, un nouvel outil comprenant un volet formation et accompagnement de ses bénéficiaires renforcé.

Sauf que, trois ans plus tard, les PEC n’ont jamais rencontré le succès de leurs prédécesseurs. Alors que l’on comptait près de 400 000 emplois d’avenir en fin de vie du dispositif, le nombre de parcours emploi compétences n’a jamais vraiment décollé. En février 2020, la Dares recensait seulement 74 480 jeunes engagés dans ce type de parcours. Décevant, car sur les 200 000 PEC programmés entre 2018 et 2020, seuls 130 000 avaient été « consommés » par les employeurs associatifs. À comparer aux 300 000 emplois aidés « ancienne formule » détruits dans le même temps, la balance ne penche pas en faveur des PEC.

Un financement insuffisant

Raison de ce désamour des employeurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) pour les parcours emploi compétences ? À l’usage, le dispositif est jugé « lourd », moins souple d’utilisation que ne l’étaient les précédents contrats, générateur d’un important reporting et surtout… moins bien financé. « La prise en charge publique d’un PEC s’échelonne entre 30 % et 60 % du Smic brut avec une moyenne tournant dans les faits autour de 40 % à 50 %. Pour les emplois d’avenir, l’aide financière pouvait monter jusqu’à 90 % de la rémunération », résume Tarek Daher, délégué général du Comité national de liaison des régies de quartier et de territoire (CNLRQ), un réseau qui chapeaute 140 structures qui proposent des emplois d’insertion à des personnes en grande difficulté sociale. Pour des associations au budget parfois serré, l’affaire n’est pas rentable.

À Saint-Jean-de-la-Ruelle, la régie Respire a choisi de convertir ses 15 CUI-CAE en PEC, mais la facture finale s’est révélée salée : « Nous ne pouvions nous résoudre à nous séparer de ces personnes, mais le différentiel financier sur un an s’élève à 41 000 euros », témoigne sa présidente, Marie Chambonneau. Résultat : cette régie située dans les environs d’Orléans a conservé ses emplois, mais a renoncé à ses autres investissements. Conséquence : 100 % des régies de quartier ont choisi de se conventionner sous le régime de l’IAE afin de bénéficier de la prise en charge à 90 % des actions de formation budgétées dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC) et ainsi soulager leur trésorerie. « Pourquoi faire du PEC alors que nous disposons avec l’IAE d’un dispositif d’accompagnement et de formation bien financé et pérenne qui ne met pas notre modèle économique en danger ? », s’interroge Tarek Daher. « Même si le volet formation et accompagnement est renforcé par rapport à ce qu’était celui des emplois d’avenir, le financement insuffisant des PEC les rend inaccessibles à beaucoup de petites associations », tranche Lucie Suchet, responsable plaidoyer au sein du Mouvement associatif, un réseau qui fédère 600 000 associations. Dans ces conditions, pas sûr que les 60 000 nouveaux PEC inscrits dans le plan de relance de l’emploi des jeunes trouvent preneurs.

Rupture du lien social

Pire : la suppression de ces 300 000 emplois aidés a brutalement déstabilisé le secteur de l’ESS. Selon les calculs du mouvement associatif, ce sont l’équivalent de 1,3 milliard d’euros de subventions qui se sont évaporés des caisses des employeurs associatifs en trois ans, entraînant la disparition de 12 500 associations. « C’est le plus grand plan social jamais vu… et il est passé totalement inaperçu », s’étrangle Lucie Suchet. Pour Hugues Vidor, président de l’Udes, la confédération des employeurs associatifs, cette situation risque d’entraîner deux conséquences : « Le retour à la précarité de certains des anciens titulaires de ces emplois et une déchirure dans le tissu social de certains territoires où le secteur privé ne viendra jamais compenser les activités perdues. » Exemple concret de cette rupture dans le lien social : près de 20 % des associations sportives ont disparu en l’absence des moyens nécessaires pour rémunérer les entraîneurs, coachs et autres encadrants embauchés en contrat aidé. Et celles qui tentent de surnager s’engagent parfois dans des démarches relevant du parcours d’obstacles par manque d’information.

Geneviève Manigaud, trésorière de l’association Élan sportif et Elfes de Limoges, qui propose une demi-douzaine d’activités à ses adhérents (du football au tai-chi en passant par la gym et la danse), dit avoir dû remuer ciel et terre – élus locaux, direction régionale des sports, Direccte, Pôle emploi… – pour sauver un unique poste d’animateur sportif au sein de l’association. « Personne ne nous avait informés que le préfet avait le pouvoir dérogatoire de prolonger un contrat d’insertion d’un an. Ce qu’il a fait au final, mais quel temps perdu », se souvient-elle. Du temps, il lui en a également fallu pour proroger un emploi PEC qui aurait dû arriver à terme au moment de la crise sanitaire. La disposition était bien prévue, mais l’information peu diffusée… « Si les associations employeuses ne grattent pas pour la chercher, personne ne leur facilite la démarche ! », peste la Limougeaude.

L’ESS dans l’expectative

Côté gouvernement, la relance de l’emploi aidé semble surtout passer par le développement de l’IAE dont le pacte, signé en septembre 2019, prévoit la création de 100 000 emplois qui se verront donc renforcés par les 35 000 contrats supplémentaires inscrits dans le plan de relance. « Il n’y a pas à critiquer l’IAE dont l’utilité sociale est indéniable, mais ces structures s’adressent surtout à des personnes en très grande difficulté sociale, en situation de handicap ou nécessitant un suivi médical, par exemple. Son périmètre est bien plus restreint que celui de l’ESS », indique-t-on du côté de l’Udes. La dérogation accordée à l’insertion par l’activité économique pour pouvoir bénéficier des PEC non consommés par le reste de l’économie sociale et solidaire avait d’ailleurs créé une certaine tension entre les réseaux de l’IAE et le mouvement associatif. L’Udes, de son côté, avait planché, depuis 2017, sur de nouveaux types de contrats aidés permettant à la fois à l’ESS de répondre à sa mission d’insertion sociale dans l’emploi, mais aussi de permettre au secteur de se développer comme une vraie puissance économique et de former ou attirer les cadres dont elle a besoin. Las. Les « emplois d’utilité citoyenne » ou « emplois boost » n’auront pas rencontré le succès auprès du ministère du Travail. Pas plus que le crédit d’impôt à l’innovation sociale (CIIS) fléché vers les structures non lucratives, imaginé par les patrons associatifs.

Aujourd’hui, si l’ESS se félicite des avancées contenues dans le plan de relance, comme le développement de l’économie circulaire, de nouveaux investissements dans les secteurs sanitaires et sociaux, les 3 milliards d’euros de garantie de l’État pour le développement des fonds propres des entreprises et la création de 200 000 nouvelles places de formation fléchées en partie vers le social et le médico-social, elle avoue que le compte n’y est pas. « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une véritable politique d’aide à l’emploi associatif : les associations ne sont pas une variable d’ajustement des politiques de l’emploi », lâche Lucie Suchet. Quant aux PEC, ils pourraient devenir un dispositif pertinent… à condition « que l’État les associe à une meilleure prise en charge financière, adapte les critères pour les rendre plus accessibles à toutes les associations et annule leur fongibilité avec l’IAE », poursuit la responsable du mouvement associatif. Des priorités qui ne semblent pas à l’heure actuelle à l’agenda d’Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion.

Glossaire

Emplois d’avenir : dispositif créé en 2012. Contrats destinés aux jeunes de moins de 26 ans de niveau bac maximum (sauf en Outre-mer : niveau licence) issus prioritairement des quartiers « politiques de la ville » ou des zones de revitalisation rurale. Ciblés vers l’emploi associatif et les collectivités. Rémunérés au Smic, comprennent un volet formation.

CUI-CAE : contrats uniques d’insertion-contrats d’accompagnement vers l’emploi. Contrats de 24 mois réservés au secteur non marchand et bénéficiant d’un accompagnement par le service public de l’emploi. L’employeur bénéficie d’une exonération de charges patronales.

CUI-CIE : contrats uniques d’insertion-contrats initiative emploi. Contrats de 3 à 24 mois réservés au secteur marchand ainsi qu’aux GEIQ. Aide financière publique correspondant à 47 % du Smic brut.

PEC : parcours emploi compétences. Dispositif créé en 2018 pour remplacer les précédents. Destiné aux personnes éloignées du marché du travail. Réservé au secteur non marchand. L’employeur doit s’engager à fournir un accompagnement au titulaire, mais aussi à mettre en place une politique de formation ou de qualification à son endroit (VAE, préqualification, professionnalisation…). Aide publique prenant en charge de 30 % à 60 % de la rémunération (Smic).

Emplois francs : dispositif créé en 2018. Il s’agit d’une aide à l’embauche de 15 000 euros sur trois ans pour les employeurs (marchands ou non marchands) recrutant une personne issue d’un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre